Nicaragua: un nouveau canal interocéanique à l’étude

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C’est aujourd’hui l’un des projets d’infrastructure les plus ambitieux de la planète. Le canal de Nicaragua est dans les tiroirs depuis des siècles, depuis que l’Espagne a colonisé ce qui est aujourd’hui l’Amérique latine. Il en sort enfin, de ces tiroirs, porté par plusieurs facteurs. D’une part, selon le gouvernement nicaraguayen, promoteur du projet, il répond aux besoins du transport maritime dont les navires, toujours plus grands, ne passent plus par l’actuel canal de Panama, et ce malgré les travaux titanesques qui sont en cours pour son agrandissement. D’autre part, il est porté par plusieurs pays, et non des moindres: Chine, Japon, Russie, Venezuela, Brésil, intéressés à la fois par l’acheminement de leurs matières premières et produits finis et par la valorisation des flottes marchandes qu’ils possèdent.

Le projet prévoit cinq tracés potentiels qui passent tous par l’immense lac Nicaragua, l’un des plus grands au monde (voir carte ci-contre). Côté Ouest du pays, ces cinq tracés n’en forment qu’un. Il relie la ville de San José, sur le lac, à l’océan Pacifique en débouchant au nord de la touristique ville de San Juan del Sur. Sur cette partie, il s’agit de creuser un canal à travers un relief très vallonné. Le dénivelé est de 31 m entre le lac du Nicaragua et le niveau de la mer. Pour le canal de Panama, ce dénivelé est de 28 m. Côté Est, quatre tracés ont déjà été étudiés, chacun d’eux utilisant un fleuve existant. Le cinquième tracé, le plus connu historiquement, est celui qui passe par le fleuve San Juan. Des études de faisabilité sur cette cinquième voie ont été commandées fin juillet par le Nicaragua à deux entreprises hollandaises (voir encadré).

Le principal avantage de ce cinquième tracé est aussi son premier handicap. Le fleuve San Juan est en effet une voie d’accès évidente jusqu’à l’immense lac Nicaragua. Il demande certes à être élargi, approfondi et rectifié pour éliminer ses méandres et permettre le passage des navires, mais il est incontestablement une excellente voie navigable. Cependant, il fait aussi office de frontière entre le Nicaragua et son voisin le Costa Rica. Un voisin avec qui les relations sont souvent tendues, précisément sur la question du tracé de la frontière aux abords du fleuve San Juan…

Appel aux financements extérieurs

Le canal représente un investissement de 30 Md$ (25 M€), près de 25 fois le budget annuel du pays. Un budget dont le Nicaragua, un des pays les plus pauvres d’Amérique latine, ne dispose pas. Ses gouvernants tablent sur les investissements de plusieurs États et sur ceux d’entreprises privées. Mais ils comptent garder la haute main sur la gouvernance du canal et ne surtout pas répéter ce qui s’est passé au Panama, avec un contrôle par les États-Unis qui a duré plusieurs décennies, non seulement sur la gestion du canal mais sur celle du pays tout entier. « Nous avons travaillé sur l’architecture financière du projet », indique Manuel Coronel Kautz, ministre en charge du projet (lire entretien p. 10). « Nous voulons que le Nicaragua ait les moyens de protéger sa souveraineté et l’intérêt social du canal pour le peuple nicaraguayen. » La société qui gérera le canal sera une entreprise privée par actions. « La gouvernance du canal sera ouverte aux investisseurs et l’entreprise même que constituera le canal sera dirigée par tous ces investisseurs, pas seulement le Nicaragua. » Mais celui-ci compte rester détenteur de 51 % de ces actions. Et ainsi élever sérieusement le niveau de vie du pays.

Vers une économie florissante…

L’énoncé du mot canal provoque immanquablement un sourire sur le visage de tout Nicaraguayen. Le projet fait l’objet d’un haut degré de consensus dans le pays. Même les détracteurs de Daniel Ortega, réélu à la présidence en novembre, sont séduits et rêvent d’un avenir plus radieux grâce au fameux ouvrage.

Politiquement, la situation est tout aussi consensuelle. Le pouvoir sandiniste a été conforté par la réélection de son candidat lors de la dernière présidentielle en novembre, et il détient aussi désormais la majorité à l’assemblée nationale, ce qui n’était pas le cas lors du précédent mandat présidentiel. De plus, même l’opposition soutient le projet. Lors du vote le concernant, en juin, 96 % des députés l’ont validé. « C’est une quasi-unanimité », se réjouit Manuel Coronel Kautz.

Si le canal se fait bel et bien, il va changer la physionomie du pays, physiquement, certes, et surtout économiquement. Alors que le Nicaragua est actuellement le deuxième pays le plus pauvre d’Amérique latine derrière Haïti, il pourrait passer au premier rang. « Selon les scénarios que nous avons établis, le PIB du pays devrait être multiplié par cinq ou six », souligne Manuel Coronel Kautz. Ce PIB est actuellement de 3 200 $ par habitant au Nicaragua, contre 35 000 $ pour la France ou 13 600 $ au Panama.

Le chantier en lui-même va déjà changer la donne. Il devrait durer au moins sept ou huit ans et nécessiter 600 000 ouvriers. « On considère que chaque travailleur représente une dépense de 20 000 $ à 25 000 $ par an », évalue Manuel Coronel Kautz. « Cela aura évidemment un impact énorme. » Ensuite, une fois le canal en fonctionnement, les droits de passage constitueront une manne colossale pour le pays, comme c’est aujourd’hui déjà le cas pour Panama.

… et un environnement dégradé

La seule ombre au tableau est l’impact du canal sur l’environnement, un environnement d’autant plus riche que le Nicaragua est situé au confluent des deux Amériques, celle du Nord et celle du Sud, et a, de ce fait, une densité d’espèces au kilomètre carré parmi les plus élevées de la planète. Le gouvernement sandiniste ne se voile pas la face. La construction du canal va effectivement mettre à mal cette richesse. Cependant, comme le rappelle le ministre président du canal, « Le canal de Panama a cent ans d’usage derrière lui, et pourtant il s’agit de la région la mieux préservée de toute l’Amérique latine ». Et ce précisément parce que le canal donne au pays les ressources nécessaires à la préservation de son environnement.

« Aux entreprises qui vont investir dans le canal, nous mettons en avant cet enjeu de la préservation de l’environnement », indique Manuel Coronel Kautz. « La construction du canal va nécessairement avoir un impact négatif sur la faune et la flore. Mais ensuite, nous restaurerons le milieu tel qu’il était il y a cent ans, alors qu’aujourd’hui, nous perdons chaque jour nos richesses naturelles. »

Les Hollandais sous contrat

C’est le consortium formé par Royal Haskoning-DHV et Ecorys qui a signé le premier contrat avec le gouvernement nicaraguayen. Ses experts hydrogéologues ont seulement six mois et demi pour plancher sur les aspects structurels du canal, les aménagements à réaliser, les dragages, les écluses et les digues, ainsi que sur le contexte économique. Une étude de marché du transport maritime international permettra ainsi de mieux connaître les futurs usagers potentiels du canal et de dimensionner l’ouvrage en fonction des navires attendus.

Le contrat pour cette étude porte sur 720 000 $. Deux raisons ont motivé le choix de ces entreprises hollandaises par le Nicaragua. D’une part, leur pays, par le biais de son ambassade, a fait une donation au Nicaragua il y a trois ans, précisément pour aider au développement du projet de canal interocéanique. D’autre part, parmi les entreprises candidates à la réalisation de l’étude, les hollandaises ont proposé le délai le plus court pour rendre leur expertise.

L’étude ne portera que sur le fleuve San Juan, les autres tracés ayant déjà fait l’objet d’études.

Panama sous contrôle

Selon les experts, la géographie du Nicaragua – et notamment son immense lac – se prête davantage à l’aménagement d’un canal que l’isthme de Panama. Pourtant, c’est bien ce dernier qui a été choisi à la fin du XIXe siècle. Le projet de canal a été alors mené par les États-Unis et, tout comme aujourd’hui, ses relations avec le gouvernement nicaraguayen de l’époque étaient tendues, le pays étant perçu comme hostile. En reportant leur intérêt sur Panama, les États-Unis ont créé de toutes pièces un nouveau pays, grâce à un traité passé avec la Colombie qui leur cédait le territoire nécessaire. Ce qui garantissait la souveraineté américaine sur le canal.

Lesseps déjà

Avant la construction du canal de Panama, 500 m d’un autre canal ont déjà été construits au Nicaragua, et ce par un Français, Ferdinand de Lesseps. Ces 500 m se situent à San Juan del Norte, exactement sur le tracé envisagé à nouveau aujourd’hui.

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