Assurance transport: les risques croissants de la conteneurisation

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Si l’accumulation de valeurs sur les porte-conteneurs ou la mise en garde des réassureurs de ne plus s’intéresser à l’assurance maritime, faute de rentabilité, ont fait frémir les participants au premier Rendez-vous de l’assurance transport de 2009, les frissons de ceux qui ont participé à la 4e édition ont été plus surprenants et pourraient agacer les transporteurs maritimes.

Démarrant dans les années 1960, la conteneurisation a été perçue comme un important facteur de réduction des risques: meilleur « emballage » et meilleures conditions d’acheminement de la marchandise de porte-à-porte. Mais la croissance à ce jour, sans limite de la taille des porte-conteneurs, génère, selon Fabrice Levesque, expert technique, une remontée des risques. Si la « massification » que représente le porte-conteneurs est toujours soulignée (sans qu’apparaisse un début de solution), le délai de transport que la conteneurisation raccourcissait, semble aujourd’hui s’allonger du fait de la multiplication des transbordements, souligne Franck Levesque. Cela n’est pas sans conséquences, notamment pour les produits périssables. En effet, outre la multiplication des manutentions qui favorise les avaries pour tous les types de marchandises insuffisamment arrimées, les fruits et légumes supportent mal l’allongement du délai de transport. Dans certains cas, la demande peut même disparaître, Franck Levesque citant ainsi l’avocat du Kenya qui ne peut supporter plus de 20 jours de transport de bout en bout. Dans les années 2000, il a trouvé des compagnies qui lui ont assuré une arrivée directe en Europe du Sud en moins de 18 jours. Depuis quelques années, il faut compter entre 25 et 30 jours. L’avocat reste au Kenya à moins d’utiliser d’autres techniques plus coûteuses comme le transport sous atmosphère contrôlée qui double le prix de transport. La multiplication des transbordements augmente également le risque de condensation dans le conteneur, sauf à utiliser des boîtes dites « super-ventilées », qui sont rares, ou des systèmes dits « anticondensation » à l’efficacité « relative », note Frédéric Levesque.

Jamais évoqué dans la présentation, le slow steaming généralisé sur les marchés est-ouest ne semble donc avoir aucune incidence négative sur les marchandises transportées.

À ces risques liés au navire s’ajoutent ceux, traditionnels, du commerce international: les risques « papiers » que constituent les blocages documentaires ou certaines pertes de poids en cours de voyage, les risques « culturels techniques » comme l’indépendance toute relative de certains organismes de contrôle ou de certains experts. « La globalisation, et ce qu’elle engendre en termes de recherche d’économie de coûts, au travers du gigantisme en matière de transport maritime, a globalement un impact plutôt négatif en termes de risque », a résumé Frédéric Levesque.

Le Brésil, un nain logistique

Au terme d’un exposé sur le récent développement économique du Brésil, pays continent de 8,5 Mkm2 dont 84 % des 194 millions d’habitants vivent dans des villes proches de la mer, Jean-Yves Carfantan a souligné la faiblesse de ses infrastructures logistiques. Elle figure dans les cinq premiers facteurs handicapant la croissance nationale. Selon la Banque mondiale, les coûts logistiques au Brésil représentent 15 % du PIB, soit 124 Md$, contre 8 % aux États-Unis et 9 % dans les États membres de l’OCDE.

Dans un pays de 3 900 km du Nord au Sud, le ferroviaire représente moins du quart des tonnages transportés, la route, 62 % et le maritime, 14 %. Le Brésil est « l’un des déserts ferroviaires du monde ». Cela handicape ses exportations de produits agricoles: en janvier 2011, une tonne de soja vaut 332 $ en FOB Santos, sachant que le soja est produit dans la région de Sorriso, au centre de l’État du Mato Grosso qui borde la frontière avec la Bolivie. Les transports routiers sur 835 km et ferroviaire sur 1 100 km représentent un coût de 100 $/t, soit 30 % du prix FOB Santos. Pour développer ses activités nationales, le groupe minier Vale est également propriétaire exploitant d’un réseau de 10 000 km de voies ferrées sur lesquelles roulent 1 059 locomotives tractant plus de 44 850 wagons. Il gère 12 terminaux portuaires et a investi 14,6 Md$ dans les moyens logistiques entre 2004 et 2011.

Conscient de ces difficultés, le Brésil est en cours de construction de quatre lignes dont la longueur est comprise entre 1 638 km et 2 254 km. Cette dernière sera terminée à la fin 2013 afin de relier le Nord (Barcanera) au réseau du Sud qui amène sur Santos. D’ici à 2020, le réseau ferroviaire devrait donc faire un bond important permettant de désenclaver environ 28 Mha de terres cultivables, ce qui représente la surface agricole française.

Cela laisse un peu de temps pour réduire « l’inefficacité » du système portuaire brésilien. Jean-Yves Carfantan identifie trois faiblesses qui affectent les 34 ports maritimes publics: faiblesse des infrastructures en ce qui concerne le dragage, l’entretien et les extensions de capacités; gestion des ports publics entravée par le « peu de dirigeants compétents », par une bureaucratie importante et une insécurité juridique pesant sur les contrats de concession; enfin, la « médiocrité » des services portuaires qui est le fruit du « monopole » de coopératives de pilotes et de l’organisation des dockers. De sorte qu’en 2010, selon la Banque mondiale, le coût de transit portuaire d’un 40’ dans un port brésilien était de l’ordre de 940 $, légèrement moins qu’en Russie mais loin devant les 700 $ en Inde, le coût chinois étant d’un peu plus de 400 $.

Pour pallier partiellement ces insuffisances coûteuses, trois ports privés sont en cours de construction. En 2013 doit entrer en exploitation le « port géant » d’Açu (Nord Est de Rio de Janeiro) et son complexe industriel. Opéré par LLX, filiale du groupe d’énergies EBX, ce port doit, selon son promoteur, être capable de traiter un trafic de 350 Mt. En 2011, l’ensemble des ports ont traité 850 Mt. MMX, autre filiale d’EBX construit un port minéralier dans l’État du Sudeste.

Enfin, en 2013 doit entrer en service Embraport chantier d’Odebrecht TransPort (OTP) en partenariat avec DP World, FI-FGTS et Coimex. Il s’agit du plus grand terminal privé multiusage du Brésil. Tout cela doit contribuer à faire du Brésil, vers 2025, une puissance agricole mondiale capable d’assurer à des prix compétitifs la sécurité alimentaire de pays émergents et des classes « pauvres » du monde occidental, un fournisseur majeur et compétitif de différents minerais (y compris stratégiques) et un exportateur net de pétrole et produits pétroliers ainsi que de gaz naturel. Le Brésil devrait également devenir le principal pôle d’innovation technologique de l’hémisphère Sud dans les secteurs agroalimentaire, de la chimie, de la médecine et aéronautique. Pour autant que le taux de croissance économique du Brésil ne passe pas en dessous des 4 % par an, comme cela est en train de se produire avec la crise, nuance Dominique Moïsi, géopoliticien conseiller spécial de l’Institut français de relations internationales dont il a été le directeur adjoint.

« Ce ralentissement inquiète les Brésiliens qui considèrent toujours que l’avenir est radieux grâce à l’énergie et l’agriculture », constate Dominique Moïsi.

La peur, l’humiliation et l’espoir: pour comprendre le monde

« La subjectivité est aussi importante que la rationalité pour (tenter de) comprendre le monde », note Dominique Moïsi, géopolitologue conseiller spécial de l’Institut français de relations internationales dont il a été le directeur adjoint. Invité vedette des assureurs transports, l’ancien professeur à Sciences Po, à l’université Harvard, ou au Collège d’Europe a développé ce point de vue dans La géopolitique de l’émotion parue chez Flammarion en 2008. « Quatre ans plus tard, l’Europe a encore plus peur et l’Asie un peu moins d’espoir. La crise occidentale s’aggrave et semble entraîner un renversement de la tendance haussière que connaissait l’Asie. La crise en Europe serait-elle un révélateur des faiblesses asiatiques » s’interroge Dominique Moïsi. Les États émergents comme la Chine, l’Inde ou le Brésil sont sensibles à deux poisons puissants: la croissance des inégalités sociales et l’absence d’un État de droit. Retrouvant la place qui était la sienne avant l’arrivée massive des Européens au XIXe siècle, la Chine voit actuellement son taux de croissance se ralentir et passer en dessous des 7 % à 8 %. À ce niveau, le régime politique « n’a plus de légitimité. La Chine aurait-elle mangé son pain blanc? », se demande le géopoliticien, d’autant que la transition politique se passe mal pour la première fois depuis longtemps. Le risque de dérapage du système est réel. Et la crise européenne accélère les doutes chinois. Autre élément d’interrogation, la Chine renforce de plus en plus sa flotte de guerre et a terminé une grande étude sur les choix politiques qui s’offraient à l’Allemagne entre 1890 et 1914: maintenir un profil bas ou montrer sa puissance? La démocratie indienne ne fonctionne pas, estime le conseilleur spécial de l’IFRI: « Il faut rester au pouvoir coûte que coûte. Les campagnes sont de plus en plus pauvres. Les inégalités sociales croissent et les élites n’ont aucun sentiment de responsabilité vis-à-vis des pauvres. » Un profond silence a accompagné l’intervention de Dominique Moïsi.

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