Le tassement des exportations chinoises devrait bien provoquer un ralentissement des volumes d’échanges mais pas forcément une diminution des risques à couvrir pour des clubs qui assurent à eux seuls 90 % de la flotte mondiale de commerce. Au contraire, Alan McLean, comme ses collègues, a plutôt connu un exercice 2011 « assez calme en termes de sinistres, avant que ne surviennent plusieurs accidents importants à la fin de l’année », qui par tradition se termine le 19 février pour les P&I Clubs, veille de la reprise de la navigation en mer Baltique au xixe siècle. « Nous constatons en moyenne une hausse de 3 à 4 % des risques chaque année », confirme Douglas Jacobsohn, directeur du club norvégien Skuld, qui s’attend à une accélération du rythme dans les prochains mois, surtout si la perte d’activités se confirme dans un avenir proche pour les compagnies maritimes. Le calcul des clubs est en effet simple sans être simpliste. « Une baisse des revenus pour les armements les obligera à faire des économies, notamment sur leurs polices d’assurances », reprend Douglas Jacobsohn. Sans compter une réduction des coûts de maintenance des navires ou de formation des équipages, « qui se répercutent toujours par une augmentation des accidents, donc des demandes d’indemnisation pour les assureurs », redoute déjà le Norvégien. Dans l’immédiat, les P&I Clubs disposent de suffisamment de réserves sonnantes et trébuchantes pour ne pas encore céder à la panique, même si cet argent, placé sur des marchés financiers eux-mêmes souffreteux, « rapportent actuellement moins qu’auparavant », observe comme les autres Alan McLean, qui s’inquiète à plus long terme: « Des faillites de compagnies ne sont pas à exclure, et lorsqu’un club perd un membre, il perd aussi sa cotisation. » En même temps, « moins de navires signifie également moins de risques », soupire un responsable du UK P&I Club. Comme une confirmation des incertitudes qui planent actuellement sur le marché maritime en général et celui de ses assureurs en particulier.
Éviter de lancer des appels de fonds imprévus
Malgré le manque de visibilité actuel, la priorité des clubs reste surtout d’éviter de lancer des appels de fonds imprévus auprès de leurs membres. « Les armateurs détestent ce genre d’opérations, qui doivent rester exceptionnelles », précise Alan McLean. Les clubs tentent donc d’éviter au maximum ce genre de « mauvaise surprise » à leurs adhérents, au point parfois de se mettre eux-mêmes en danger, comme l’a appris à ses dépens le South of England, contraint de mettre la clé sous la porte fin 2011 « pour ne pas avoir été renfloué à temps par ses membres », explique Douglas Jacobsohn. Le contexte se prête pourtant à une correction des tarifs vers le haut. Les clubs sont en effet aujourd’hui toujours plus exposés suite à l’augmentation constatée de la valeur des cargaisons, découlant de la mise en ligne de porte-conteneurs ou de navires de croisières aux capacités toujours plus grandes, « présentant donc des risques plus importants », constatent les clubs d’une seule et même voix. « C’est l’un des principaux changements de ces dernières années », selon Alan McLean, alors que beaucoup de ses confrères estiment que le secteur a atteint « un maximum » en la matière. Les risques augmentant en proportion de la taille des navires, les clubs redoutent une flambée des coûts engendrés par ces géants des mers, en termes de dépollution ou de collision avec des ouvrages portuaires ou fluviaux, « comme cela est arrivé ces dernières années sur le Rhône », souligne Alan McLean. L’actuelle surcapacité du secteur maritime fait également craindre le pire aux clubs, qui craignent de se voir submerger par les sinistres à mesure que la flotte mondiale augmente. Au point que de nombreux responsables insistent ces derniers mois auprès de leurs armateurs afin que ces derniers en profitent pour envoyer à la casse les unités les plus anciennes, « dans l’objectif de rééquilibrer le marché et les risques qui y sont liés », pointe la direction du UK P&I Club. Le moment serait particulièrement favorable à une telle mesure, « alors que les prix de l’acier restent assez élevés », pour Douglas Jacobsohn, qui voit également une belle opportunité de se débarrasser « des navires les plus polluants et surconsommateurs en carburant ».
L’arrivée de nouveaux cadres législatifs dans le cadre des règles de Rotterdam (Rotterdam Rules), Solvency II (Solvabilité II) ou encore de la convention d’Athènes relative au transport sur mer des passagers, va également accroître la pression sur les armateurs et ceux qui les assurent. « En élargissant les responsabilités, ces nouvelles réglementations risquent d’allonger la liste des victimes », redoutent les dirigeants des principaux clubs, parmi les compagnies maritimes, voir même chez les assureurs. Les points d’interrogation ne manquent donc pas, au point que certains professionnels redoutent même une remise en cause du principe mutualiste qui, depuis 160 ans, régit les P&I. « Avec l’augmentation des difficultés auxquelles pourraient faire face les armateurs à l’avenir, est-ce que ces derniers vont encore accepter de payer pour les autres, notamment lorsqu’il s’agit de secteurs d’activités ou de types de navires différents », demande par exemple Douglas Jacobsohn chez Skuld. « Nous sommes dans le monde du risque », rappelle Alan McLean. Où plus que jamais, les P&I Clubs et leurs adhérents semblent être aux avants-postes.
Au rythme de la croisière
L’année 2011 restera dans les annales des P&I Clubs comme celle de l’accident du Costa-Concordia. « Une affaire étonnante », pour reprendre la formule d’Alan McLean, qui refuse d’en dire plus mais attend avec une impatience certaine le procès qui aura lieu en Italie. Comme après chaque catastrophe de cette envergure, « il est urgent d’en connaître les causes », estime Douglas Jacobsohn qui, à l’instar de ses confrères, pointe trois fautes évidentes: de navigation, de comportement de l’équipage au moment du drame et de celui du capitaine lors du naufrage. « Il y aura certainement des leçons à retenir », reprend le Norvégien pour qui l’exemple à suivre vient de l’aérien, « très bon pour apprendre de ses erreurs ». Surtout lorsqu’elle coûte aussi cher en vies humaines. Les deux clubs qui couvrent le Costa-Concordia ont pourtant fait leur travail. « Ils ont procédé à tous les contrôles nécessaires sur ce genre de navire à risque », assure Alan McLean. Le président du groupe McLean connaît très bien le secteur de la croisière pour être le correspondant en France des clubs assureurs des clients comme la SNCM, Dreyfus ou Brittany Ferries. « Tous les navires transportant des passagers dans le pays sont couverts par des P&I », précise-t-il encore, ne s’attendant à aucune augmentation des polices à moyen terme en France, « où les risques sont bons et les navires ont d’excellentes statistiques ». Ce qui n’est apparemment pas le cas partout. Nombreux sont les responsables de clubs à pronostiquer « un coup de semonce » de la part des armateurs membres des P&I couvrant le paquebot de Costa, même s’il reste difficile d’imaginer de réelles mesures punitives à l’encontre de Carnival, le premier opérateur de croisière de la planète. Surtout que les P&I Clubs s’attendent à des coûts supplémentaires pour leurs adhérents présents sur le transport de passagers, dans la foulée de la Convention d’Athènes, prévue pour voir le jour dans le courant de l’année. Cette nouvelle disposition européenne prévoit des indemnisations plus importantes en cas d’accidents corporels, obligeant les navires à prendre une assurance de responsabilité civile, « qui sera forcément une police P&I », précise Alan McLean.
Piraterie, les P&I en soutien des compagnies
La recrudescence ces dernières années des actes de piraterie le long des côtes africaines et asiatiques pose de sérieux problèmes aux compagnies, que les P&I Clubs ne peuvent que constater. « Il existe des fournisseurs spécialisés sur ce genre de risques, sur lesquels l’assureur P&I ne peut venir qu’en complément », explique Alan McLean. « Notre travail consiste essentiellement à conseiller en amont nos adhérents, en les aidant à choisir les polices les plus adaptées et les consultants à utiliser, ou en les assistant à soutenir les équipages lorsqu’ils ont été relâchés », confirme Douglas Jacobsohn chez Skuld. Essentiellement témoin plus qu’intervenant sur la question, les P&I Clubs attendent surtout de voir les états passer à l’action, notamment ceux concernés par la présence de pirates dans leurs eaux territoriales. Ils sont également d’accord dans leur ensemble pour promouvoir la présence de gardes armés à bord des navires croisant dans les régions affectées, « même si la question relève essentiellement des États pavillons », rappelle Alan McLean, qui ne peut que constater une absence d’unanimité sur le sujet. « C’est ensuite aux assureurs de risques de guerre de savoir s’ils acceptent de prendre ce risque ou pas avec l’extension de la garantie spéciale Kidnap & Ransom », conclut le représentant marseillais des P&I Clubs.