« Depuis 1996, le marché mondial de l’assurance corps de navires est déficitaire. Il y a donc un problème », soulève Bernard Duterque, directeur du département transports chez Generali France. Surtout que les profits engrangés grâce aux placements financiers des compagnies d’assurances et qui permettaient encore de compenser les pertes quelques années plus tôt « ont disparu », reprend Bernad Duterque qui, comme ses collègues, doit donc se contenter de ses résultats techniques pour tenter de dégager des bénéfices. Sauf que les assureurs ne sont évidemment pas les seuls à subir l’impact de la crise et qu’ils ne font en la matière que subir les difficultés de leur principale clientèle, celle des compagnies maritimes. « C’est encore plus vrai sur le conteneur, davantage touché que les autres », remarque encore Bernard Duterque. Gilles Mareuse, directeur général délégué chez Allianz Global Corporate & Specialty, parle même de « concurrence exacerbée sur le secteur », qui en plus de mettre des navires au chômage et de faire baisser les investissements dédiés à la maintenance, pourrait poser à terme quelques difficultés pour « le paiement des primes ». La hausse des coûts du pétrole conjuguée à la baisse des taux de fret dans une flotte mondiale en surcapacité n’arrange rien et pourrait bien pousser les armateurs à demander des « baisses de taux de prime », redoutent, dans leur ensemble, les assureurs français. Elles sont déjà en diminution ces dernières années, le trop grand nombre de navires présents sur le marché provoquant une valeur décroissante des unités, « donc des valeurs à assurer », constate Patrick de la Morinerie, qui chiffre cette chute à plus de 26 % sur les trois dernières années. La situation ne promet pas de s’améliorer alors que les carnets de commandes des chantiers sont pleins et que 30 % de capacités supplémentaires vont être mises en service dans les années à venir. La situation est donc critique pour les assureurs qui, selon Bernard Duterque, « ne peuvent plus se permettre de perdre de l’argent ». Le caractère cyclique qui régit l’économie maritime depuis des décennies est pourtant parfaitement connu de la part de ses principaux acteurs, et les compagnies d’assurance regrettent aujourd’hui « la mémoire courte des armateurs » qui semblent prendre leurs décisions à contre-courant, en commandant lors des périodes haussières de nouveaux navires mis en ligne lors des périodes baissières. « Même si dans le cas présent, l’ampleur de la crise était difficilement prévisible », reconnaît Gilles Mareuse.
2011 est restée dans la norme
Dans la foulée de ses principaux clients, le secteur de l’assurance maritime n’a donc pas été épargné ces dernières années par le contexte général de l’économie mondiale, alors que dans le même temps « la sinistralité s’est dégradée depuis 2007 », estime Patrick de la Morinerie. L’année dernière est restée dans la norme, présentant un taux de sinistralité jugé au mieux moyen par les professionnels, notamment sur les corps de navire, mais qui présentait la satisfaction de ne pas avoir connu de « sinistres significatifs ». Contrairement à 2012 déjà marquée par la catastrophe du Costa-Concordia, qui pèsera à elle seule pour « 10 % du niveau de prime mondial », d’après Patrick de la Morinerie. Un poids suffisamment lourd pour peut-être inverser la tendance, en poussant les assureurs et les réassureurs à se montrer plus durs sur leurs conditions de souscriptions. Au point que Bernard Duterque n’hésite pas à pronostiquer une possible hausse des primes, « en dessous de 5 %, mais bien supérieure aux années précédentes qui ont évolué entre − 2 % et − 10 % ». Tous ses confrères ne partagent le même optimisme, « tout dépendra de la conclusion des enquêtes et des responsabilités alors identifiées », estime de son côté le responsable d’AXA. Le naufrage du paquebot remet en tout cas en lumière une autre évolution importante du secteur ces dernières années, aux conséquences considérables pour les assureurs et les réassureurs, celle de la taille toujours croissante des navires, à commencer par les bateaux de croisière et les porte-conteneurs. Une tendance, « qui fait peur aux assureurs et encore plus aux réassureurs », observe Bernard Duterque, car elle immobilise des capitaux énormes par rapport aux primes perçues et qui sont dans le contexte actuel difficiles à trouver. « C’est un véritable défi pour le secteur », reprend le directeur de chez Generali. Cette course au gigantisme provoque bien une augmentation des primes selon Gilles Mareuse, « mais il n’est pas encore clairement établi qu’elle aggrave le risque », estime le responsable d’Allianz. « Notre métier consiste à nous adapter au marché, rappelle Patrick de la Morinerie, à nous de mesurer l’exposition en découlant et si le risque s’avère plus fort, alors nous devrons faire évoluer les primes en ce sens. » Bernard Duterque pointe également la difficulté à gérer, en cas d’avarie commune, le sinistre d’un navire transportant les marchandises de clients encore plus nombreux et qui pourrait prendre « plus de quinze ans à être réglé ».
L’heure est au juste prix
Grâce au cap haussier maintenu par le commerce mondial, les compagnies d’assurance « gagnent encore sur les facultés, mais sur les corps les marges se réduisent de plus en plus », s’inquiète Bernard Duterque. L’heure est donc plus que jamais au juste prix, afin d’équilibrer les sinistres avec les primes. « De faire notre métier », résume le dirigeant de Generali, « d’augmenter nos recettes, dans un contexte très compliqué pour les armements », note Patrick de la Morinerie. Déjà confrontées à des coûts d’exploitation en croissance continue sous les effets du pétrole, les compagnies maritimes devront aussi répondre de leur responsabilité environnementale, telle que définie par les réglementations internationales à venir. « C’est un des grands défis à venir pour tout le secteur maritime », confirme Gilles Mareuse, qui comme ses confrères réfléchit aujourd’hui aux solutions à trouver pour répondre aux enjeux qui attendent leurs clients demain. Sans trop savoir de quoi il sera fait. Habitués à courir et à couvrir le risque, les assureurs jugent pourtant la situation actuelle « préoccupante ». Le secteur veut absolument sortir du rouge et certains généralistes pourraient à terme repenser leurs stratégies « pour s’engager dans des secteurs qui rapportent ». Les transports ne représentent généralement pas plus de 1 % du chiffre d’affaires d’une compagnie d’assurances, mais il immobilise d’importants volumes de capitaux, pour des résultats depuis trop longtemps négatifs. « Il y aura toujours des assureurs, mais les capacités proposées seront moins importantes, plus éloignées encore des valeurs à assurer », craint Bernard Duterque, qui, comme l’ensemble des acteurs de l’assurance maritime préfère « ne pas trop y penser ».
Les assureurs manquent de munitions face à la piraterie
Confrontés depuis quatre ans à une augmentation des actes de piraterie, les assureurs se rassurent comme ils peuvent. « Avec 439 attaques recensées, les chiffres montrent une légère baisse en 2011 », observe Patrick de la Morinerie. Idem pour le montant des rançons qui retombe un peu. Le secteur ne peut de toute façon que constater. « En dehors de notre rôle de conseil et de nos recommandations, nous ne pouvons faire beaucoup plus que de nous adapter », confirme Bernard Duterque. Pas question d’obliger l’armateur à revoir sa route ou à lui imposer la présence de gardes armés. Les assureurs se sont contentés « d’ajuster les prix de leurs couvertures à ce risque particulier ». Leur avis est de toute façon plutôt mitigé sur la présence de milices embarquées. « Cela peut accroître les risques », redoute Patrick de la Morinerie. « Nous ne voulons pas assister à une escalade dans l’armement », ajoute Bernard Duterque. Même s’ils y sont majoritairement favorables, c’est aux pouvoirs publics des pays concernés et des États des pavillons de s’engager sur ce problème comme sur celui de la piraterie en général, qui ne pourra être résolu « que par un large consensus politique », s’accordent les assureurs.
La croisière assure
Les conséquences financières liées au naufrage du Costa-Concordia sont encore loin d’être estimées, mais les assureurs sont pour une fois confiants. « Cela ne devrait avoir qu’un impact marginal sur le secteur croisière, dont les résultats sont excellents ces dernières années », selon Gilles Mareuse. À raison de 7 % de croissance par an, la croisière poursuit son rythme entraînant, mené tambour battant par les marchés américains ou même français, qui enregistrent des résultats à deux chiffres. Sur l’accident du paquebot italien, les assureurs, qui « ont eu du mal à avoir accès au dossier », selon Patrick de la Morinerie, attendent que les responsabilités soient clairement établies, notamment celles des membres de l’équipage et de l’armement. En termes de normes de sécurité, « Costa, c’est quand même le top niveau », affirme Gilles Mareuse. Quel que soit le responsable, les assureurs anticipent déjà un effet sur le niveau des primes, dopé par le montant global du sinistre. « Cela ne les fera pas baisser en tout cas », estime un professionnel, pas mécontent de voir la tendance s’inverser.