L’annonce a fait l’effet d’une véritable bombe. La Cour de cassation pourrait annuler la procédure judiciaire de l’affaire de l’Erika. Ce pétrolier, coulé le 12 décembre 1999, a provoqué une marée noire sur les côtes atlantiques.
La bombe vient de l’avocat général, Didier Boccon-Gibod. Dans son avis, il conclut à la cassation sans renvoi de l’arrêt de la cour d’appel. Il motive sa décision en faisant valoir que la justice française n’est pas compétente car le naufrage est survenu hors des eaux françaises et le navire battait pavillon de Malte. L’avis de l’avocat général intervient dans le cadre de la procédure en cassation de Total, l’affréteur de l’Erika, condamné à 375 000 € d’amende, de Rina, la société de classification, condamnée à 175 000 € d’amende, de Giuseppe Savarese, ex-propriétaire du navire, et d’Antonio Pollara, ancien gestionnaire du navire (condamnés à 75 000 € d’amende chacun). Ces condamnations sont intervenues lors du jugement en appel du 21 mars 2010. Le parquet général demande l’annulation définitive de la condamnation sans autre possibilité de recours. De plus, l’avocat général demande que soit abandonnée la notion de préjudice écologique reconnu lors de ce procès. Corinne Lepage, avocate des parties civiles et ancienne ministre de l’Environnement, a replacé cet avis dans son contexte. La Cour n’est pas obligée de suivre les recommandations de l’avocat général, indique l’avocate. « Ce serait une double catastrophe juridique, non pas pour les communes […] mais sur le plan du droit en général. Cela signifie que des affréteurs pourraient continuer comme Total à prendre des navires pourris comme l’était l’Erika pour des raisons de pure cupidité et polluer les côtes sans qu’il ne se passe rien », a-t-elle déclaré à l’antenne de RTL.
Le retour de la loi de la jungle en mer
Pour Jean-Yves Le Drian, président de la Région Bretagne, cet avis annulerait tout simplement le procès en appel. « C’est tout simplement le retour de la loi de la jungle en mer. Chacun fait ce qu’il veut, là où il veut, sauf dans la zone des 12 milles. C’est insupportable pour les Bretons. Nous avions le sentiment d’avoir fait des avancées, notamment en matière de reconnaissance du préjudice écologique. Mais là, si cet avis est suivi, on instaure un droit à polluer et on organise l’irresponsabilité totale. Il n’est pas tolérable que l’État du pavillon ait tous les droits hors des 12 milles. C’est pour cette raison que, dès la semaine prochaine, en tant que président de la Conférence des Régions périphériques maritimes, je réunirai tous les présidents de Région qui souhaitent débattre de la sécurité maritime sur l’île de Giglio, île symbolique, s’il en est, de cet enjeu crucial, puisque c’est là qu’a sombré le Costa-Concordia il y a quelques semaines. L’Europe doit donc avoir une position forte sur ce sujet. Nous devons aller vers un Schengen maritime. » Eva Joly, candidate à l’élection présidentielle pour EELV (Europe Écologie Les Verts), s’est déclarée choquée. « Comment se défaire de l’idée que l’État français cherche à protéger son soi-disant fleuron industriel, lui qui a toujours cherché à éviter un procès à Total, lui qui a organisé les tractations du groupe pétrolier avec les parties civiles lésées? » Les élus représentant les collectivités locales de l’ouest de la France se disent aussi inquiets, même si les indemnités reçues de Total ne seront pas remises en cause, même en cas d’arrêt défavorable de la Cour de cassation. Maître Jean-Pierre Mignard et Émmanuel Tordjman, leurs avocats, ont commencé à contester les arguments soulevés par le parquet général. « Le droit de la mer, le droit à la mer, n’est pas équivalent au droit de polluer la mer ni de polluer les côtes. Chaque État doit s’en défendre et coopérer avec les autres pour protéger la mer », écrivent-ils dans un communiqué. Jacques Auxiette, président (PS) de la Région Pays-de-Loire, a dit avoir ressenti « de la surprise, de la colère et de l’inquiétude. […] La justice française a établi une responsabilité, on pouvait penser qu’il y aurait un coupable. Et là, on nous dit qu’il n’y a ni coupable, ni responsable. Après le naufrage en mer, c’est un naufrage judiciaire », a-t-il dit. Les avocats de l’État et de quelque 80 collectivités locales concernées par l’affaire pourront plaider sur leur point de vue à la Cour de cassation le 24 mai.