« Nous sommes contraints d’arrêter l’acceptation de tous bookings avec effet immédiat, afin d’éviter une détérioration plus importante de cette situation, et ainsi, limiter l’impact que celle-ci pourrait avoir sur votre chaîne d’approvisionnement. Nous espérons un retour à la normale d’ici le début du mois de mai et ne manquerons pas de vous aviser de l’évolution de la situation. Nous mettons néanmoins tout en œuvre afin de charger dans les plus brefs délais tous bookings déjà acceptés. » La version anglaise du communiqué est plus tendancieuse, mettant en avant la saturation des terminaux européens avant d’expliquer que celle-ci est la conséquence de l’annulation de plusieurs départs d’Extrême-Orient. Toujours selon Mærsk, la faible demande de transport asiatique après le nouvel an chinois a amené « plusieurs » transporteurs à annuler de « multiples » départs qui, mécaniquement, manquent également en sortie d’Europe. « Malgré la crise dans l’eurozone et les augmentations générales de février, mars et d’avril, la demande européenne de transport continue à augmenter fortement vers l’Asie ».
« Nos clients nous indiquent que d’autres lignes ont également arrêté d’accepter des bookings jusqu’à mai, souligne un porte-parole de la compagnie. Les chargeurs sont, bien sûr, déçus par ces manques de capacité mais il est trop tôt pour estimer les conséquences sur les approvisionnements. » Le 17 février, Mærsk a annonçé une baisse de 9 % de sa capacité de transport entre l’Europe et l’Extrême-Orient et sa volonté de défendre sa part de marché coûte que coûte.
Le 27 mars, lors de la conférence sur la « révolution culturelle » dans le transport maritime, organisée dans le cadre de la SITL, Franck Dedenis, d.g. de Mærsk France, a expliqué qu’« on aurait dû l’annoncer avec un préavis plus important ».
L’augmentation « drastique » en sortie d’Europe vers l’Asie serait en partie due à des expéditions opportunistes de déchets de papier et autres produits à très faible valeur, attirés par des taux très bas. Franck Dedenis a évoqué une situation « dramatique », un choix pour « survivre ». « Nous entendons les critiques des chargeurs mais nous avons une crise à gérer. » 600 M$ de perte en 2011 pour Mærsk Line, toujours adossé à un groupe puissant.
Les chargeurs paieront le prix ou il n’y aura pas de service
Lors de la même conférence, Stephan Snijdders, d.g. de MSC France, a annoncé que sa compagnie est en cours de dénonciation de la majorité de ses accords tarifaires concernant les chargements en sortie d’Extrême-Orient vers l’Europe. Sur d’autres marchés, MSC refuse également les bookings. Toutes les compagnies maritimes sont dans une situation « assez difficile », a souligné le représentant de MSC: « Nous ne sommes pas aidés par les banques, que cela soit pour les navires ou les terminaux. Cette situation floue devrait durer un mois environ ». « Si les chargeurs ne le paient pas, ils n’auront pas le service, c’est aussi simple que ça », a estimé Ginaluigi Aponte, fondateur et dirigeant de MSC dans une interview accordée au JMM en juin 2010. MSC doit prendre livraison de 16 × 13 000 EVP cette année (voir p. 17)
Le précédent Argos
Philippe Bonnevie, délégué général de l’AUTF, a mis en garde contre les décisions « unilatérales ». La dénonciation de contrats rappelle des souvenirs lorsqu’Argos, importateur britannique de produits d’électroménager chinois, a porté plainte en août 2010 contre Mærsk, lui réclamant 13,9 M$ de dommages et intérêts pour rupture abusive d’un contrat de transport portant sur 5 000 × 40’. Ces comportements pourraient de nouveau attirer l’attention de la Commission européenne, a estimé Philippe Bonnevie. « Chargeur industriel et régulier, je paie 1 000 $ le 20’ . L’expédition spéculative de déchets de papier paie 300 $. Quelle est la différence de qualité de service? », s’interroge Vincent Rome, directeur du département Développement de Renault Nissan. Et avec la décision de Mærsk, les exportations régulières de pièces automobiles vers l’Asie sont bloquées. L’offre de transport danoise représentant 27 % de l’offre totale Europe/Extrême-Orient, a rappelé Frédéric Chabasse lead buyer transport maritime chez Lesaffre International. Quelles que soient leurs postures publiques, les chargeurs sont « condamnés » à trouver une solution avec les trois premiers transporteurs mondiaux, s’ils veulent éviter le chaos.