À en juger par les chiffres globaux du détroit, il n’y a pas vraiment péril en la demeure. Le marché des véhicules de tourisme sur le détroit a décliné de 2 % en 2011. Le marché du fret s’est redressé, en nombre de pièces, de 4 %. Encore ce dernier chiffre devrait-il être pondéré par une tendance des chargeurs à remplir toujours mieux leurs véhicules. Les résultats en tonnage sont dans l’ensemble légèrement meilleurs qu’en nombre d’ensembles routiers. Au nord-ouest versant Manche, on note des progressions de 1 % à 2 % en fret et passagers à Dieppe, de 8 % en fret et 28 % en passagers au Havre avec des valeurs absolues qui redeviennent respectables, avec 350 000 pièces de fret et 126 000 véhicules de tourisme. Mais Caen recule de 6,28 % en véhicules de tourisme (234 000 pièces) et de 5,13 % en fret (110 000 pièces). Cherbourg montre une progression en passagers sur la Grande-Bretagne comme sur l’Irlande, au total de plus de 8 % mais une baisse du fret avec la Grande-Bretagne de 15 %. On peut parler, en chiffres apparents, de fragilité, mais non d’effondrement.
Pourtant, la réalité de la vie des armements incite à une forte inquiétude. Fait sans précédent, SeaFrance est liquidée ce début 2012 avec un passif colossal et 1 600 suppressions d’emplois directs en deux ans. Eurotunnel, revenant pourtant de loin, enfonce les lignes et vient en chevalier blanc rentrer dans la mêlée maritime du détroit, en prenant pour alliés les anciens de SeaFrance… après avoir fait le nécessaire pour enfoncer la compagnie aux abois. Une situation inimaginable il y a encore quelques mois. Retoquée par le tribunal de commerce de Paris qui lui a refusé la reprise de SeaFrance, l’alliance franco-danoise DFDS-LD Lines s’efforce de se faire une place sur le détroit, avec des moyens, pour commencer, limités. P&O Ferries met en service le Spirit-of-France, dans une atmosphère en puissance surcapacitaire. Les prix, beaucoup trop bas depuis la crise de 2008, se sont à peine redressés tout récemment et risquent fort de replonger.
Enfin, l’annonce très prudente de Brittany Ferries sur son offre en 2012 montre combien l’atmosphère est lourde. Deux navires rapides et un fréteur à Cherbourg, un point c’est tout. Plus de Barfleur à Cherbourg, tandis que le Bretagne est désarmé à Dunkerque. L’analyse « approfondie du marché actuel de transport de passagers sur le Grand Ouest ne justifie pas la mise en œuvre de capacité supplémentaire », commente la compagnie, en forme de couperet. À l’ouest comme au nord-est, la lutte à venir s’annonce sans merci.