Denrée sans doute moins prisée du touriste moyen en goguette d’Amsterdam, cette spécialité a pourtant hissé la ville néerlandaise au rang de capitale mondiale. De fait, une bouchée de chocolat sur cinq que vous dégusterez lors des fêtes de fin d’année a toutes chances d’avoir transité par le port d’Amsterdam.
Avec quelque 600 000 t de cacao débarquées chaque année sur ses quais – soit un sixième de la production mondiale – et un tiers des stocks de la planète dans ses entrepôts, Amsterdam détient le titre de premier port cacaoyer du monde. Pour garder son rang au fil des années, malgré la concurrence du port de Rouen, d’Anvers ou d’Hambourg, Amsterdam a su attirer l’ensemble des secteurs que regroupe la filière cacao.
Outre les sociétés de manutention, de transport, de logistique et d’entreposage (voir encadré) liées directement aux arrivages du port, les débouchés commerciaux du cacao d’Amsterdam ont attiré des groupes d’agroalimentaire et de cosmétiques, mais aussi des agences de certification de qualité de ces fèves et des offices de négoce suivant les cours du cacao pour les investisseurs financiers.
Cette suprématie batave n’aurait jamais dû se produire puisque le cacao a été introduit en Europe par les conquistadors espagnols au 16e siècle. Mais justement, ce sont eux qui ont donné aux Hollandais leur goût pour le chocolat.
D’abord en leur cédant la partie nord du Venezuela dans les années 1580. De là, les Néerlandais ont exporté la culture du cacao vers l’île de Curaçao en leur possession, puis ont organisé un commerce lucratif avec l’Europe qui perdure aujourd’hui.
Des liens commerciaux privilégiés
L’activité a d’autant pris son essor que les catholiques espagnols qui avaient annexé les Pays-Bas à la même époque ont chassé d’Anvers la communauté de commerçants juifs versée dans le négoce du cacao. Réfugiés à Amsterdam, ces négociants ont donc déplacé avec eux une grande partie de ce commerce.
L’autre tour de force des Néerlandais est d’avoir réussi à transférer le centre névralgique du marché mondial du cacao de l’Amérique du Sud vers l’Afrique. Chassant les Portugais du Ghana en 1637, ils demeurent à la tête de ce pays jusqu’en 1870, période durant laquelle ils vont importer à partir de l’autre côté de l’Atlantique leur savoir-faire dans la culture des cacaoyers. Pays voisin, la Côte d’Ivoire emboîte le pas au Ghana. À eux deux, ces pays vont finir par devenir les poids lourds de la production mondiale de cacao (voir encadré page suivante).
Témoin de ces liens commerciaux privilégiés encore existants entre Amsterdam et l’Afrique, l’accord entre les grands armateurs, au rang desquels le groupe français Delmas/CMA CGM, l’italien Grimaldi et l’alliance entre l’Israélien ZIM et l’Allemand Hapag-Lloyd, désignant Amsterdam first port of call pour les liaisons maritimes cacaoyères avec les pays d’Afrique de l’Ouest.
À Amsterdam, les 600 000 t de cacao qui vont arriver entre octobre et mars, les seuls six mois pour ce négoce, vont trouver rapidement preneur. Outre une partie de la cargaison qui filera vers l’Allemagne, la Belgique et la Suisse, une bonne moitié sera absorbée par l’industrie agroalimentaire installée dans la région.
Cette expansion dans les environs d’Amsterdam de la branche agroalimentaire dédiée au chocolat et ses dérivés remonte aux découvertes de Coenraad van Houten au 19e siècle. Par le biais d’une nouvelle technique de pression des fèves huileuses de cacao et l’invention d’un procédé d’alcalisation, il réussit à multiplier les usages du cacao. Ces innovations attirant nombre d’industriels permettent au port de la ville de conforter sa position incontournable dans l’importation de ces fèves remontant à plusieurs siècles.
Aujourd’hui, ces géants de l’industrie du chocolat ont la mainmise sur l’ensemble de la filière cacaoyère. Présents en Afrique, ils maîtrisent sur place la production des fèves qu’ils transformeront ensuite en préparations chocolatées de toutes sortes dans leurs usines amstellodamoises.
Mais entre le quai où la cargaison de cacao sera déchargée et la porte de l’usine du fabricant de chocolat, Amsterdam s’est doté d’une kyrielle d’infrastructures et des services dédiés au transport et à la logistique du cacao à la hauteur de sa réputation.
Pour l’avenir, le développement durable fait partie des préoccupations majeures. La construction de silos destinés à charger le cacao sur des trains est à l’ordre du jour afin de diminuer l’usage polluant de la route. Une politique nationale vise aussi à renforcer le transport fluvial (40 % du cacao d’Amsterdam est acheminé par bateaux vers le centre de l’Europe). Autres objectifs déjà annoncés: la moitié des fèves de cacao importées aux Pays-Bas en 2015 devront provenir du commerce équitable, et en 2025, tous les produits chocolatés également.
La vermine ennemie publique de l’entreposage
Proie d’une foultitude de petits prédateurs (mites, chenilles, papillons, souris), le cacao doit bénéficier d’un entreposage sans faille pour conserver ses qualités. À Amsterdam où un tiers des stocks mondiaux est entreposé sur une superficie de 500 000 m2, la conservation du cacao a été élevée au rang de « grand art ». Afin d’enrayer le cercle infernal consistant à rendre la vermine plus résistante avec des produits plus efficaces mais ravageurs pour l’environnement, les sociétés d’entreposage les plus en vue à Amsterdam (Steinweg Handelsveem, HD Cotterrel, Unicontrol Commodity & Vollers Holland) mettent au point des méthodes plus « écolos » sous la pression de Bruxelles. Contre les mites qui se reproduisent dans les coutures des sacs de jute, l’aspersion de phéromones permet de détraquer leur système de reproduction de manière inoffensive. Pour venir à bout des chenilles, des guêpes qui raffolent de ces bestioles, ont été appelées à la rescousse. Les souris quant à elles sont éloignées avec des fils électrifiés. Mais, comparé aux ports d’Hambourg ou d’Anvers, Amsterdam doit faire face à l’interprétation plus stricte de La Haye de ces textes européens relatifs à des questions environnementales.
Le cacao en chiffres
• Dominée par deux pays producteurs, la Côte d’Ivoire (34,5 % du marché mondial) et le Ghana (18,1 %), la production mondiale de cacao dépasse 4,1 Mt par an.
• Ce marché porte sur 3 Md$ avec un prix moyen du cacao de 2 000 $/t.
Les principaux pays importateurs sont:
• Les Pays-Bas (20,6 %)
• Les États-Unis (18,5 %),
• La Malaisie (10,8 %)
• L’Allemagne (8,3 %)
• La Belgique (6 %)
• La France (4,7 %)
• Le Royaume-Uni (4,2 %)
• L’Espagne (2,4 %).