« Il ne faut pas espérer envoyer un message à la piraterie au travers de ce procès »

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JOURNAL DE LA MARINE MARCHANDE (JMM): VOUS SORTEZ D’UN PROCÈS DE DEUX SEMAINES DES SIX ACCUSÉS POUR ACTE DE PIRATERIE SUR LE CARRÉ-D’AS. VOUS AVEZ ÉTÉ EN CHARGE DES INTÉRÊTS DE YOUSSOUF MOHAMED HAMED, MINEUR AU MOMENT DES FAITS. LE HUIS CLOS NORMALEMENT APPLICABLE POUR LES MINEURS A ÉTÉ LEVÉ À VOTRE DEMANDE. POURQUOI?

RACHEL LINDON (R.L.): En premier lieu, nous devons préciser que nous avons été commis d’office, mon confrère Thomas Heintz et moi-même, pour la défense de Youssouf Mohamed Hamed. Pour les faits de crimes, seuls les secrétaires à la conférence le sont, c’est pourquoi ce dossier nous a été transmis.

Ensuite, pour revenir sur la qualité de mineur de Youssouf Mohamed Hamed, il ne connaît pas sa date de naissance. Son père, décédé lorsqu’il avait trois ans, a raconté à sa mère qu’il est né quand le dernier président de Somalie, Mohamed Siyad Barré, a été renversé, soit à la fin de 1990, début 1991. Les faits se sont passés en septembre 2008, il aurait alors eu environ 17 ans au moment des faits. Une expertise osseuse a été réalisée et a confirmé sa minorité.

Au départ, notre client préférait qu’il y ait huis clos. Il nous a paru souhaitable que le public, notamment au travers de la presse, soit informé de la réalité de leur intervention comme simple exécutant et non commanditaire de cet acte. Notre client nous a suivis dans cette réflexion. Ainsi, la presse a pu également apprécier l’attitude des époux Delanne à l’encontre des accusés. Ils leur ont serré la main et ils ont reconnu la justesse de la décision rendue.

JMM: DEPUIS DES ANNÉES, AUCUN FAIT DE PIRATERIE N’A ÉTÉ JUGÉ SUR LE SOL FRANÇAIS. LES ACCUSATIONS ONT PORTÉ SUR LA PIRATERIE OU SUR D’AUTRES ÉLÉMENTS?

R.L.: Youssouf Mohamed Hamed a été accusé de trois crimes. D’une part, le vol des effets personnels des époux Delanne le premier jour de l’abordage, notamment de l’argent liquide et des Traveller’s Cheques. Youssouf Mohamed Hamed n’a pas participé à l’abordage. Il a été acquitté. Deuxième point, il était accusé d’association de malfaiteurs en vue de commettre un crime.

L’association de malfaiteurs se différencie de la circonstance aggravante de bande organisée lorsqu’il existe des faits matériels différents. La cour a considéré en l’espèce qu’il n’y en avait pas, et l’a donc relaxé de ces faits.

Troisième infraction, séquestration en bandes organisées sans libération volontaire au bout de sept jours. Il a été reconnu coupable de cette seule infraction, pour laquelle il a d’ailleurs reconnu les faits.

JMM: L’AUTRE VOLET DE VOTRE DÉFENSE A PORTÉ SUR LA PERSONNALITÉ ET LES CONDITIONS DE VIE DE VOTRE CLIENT. COMMENT AVEZ-VOUS BÂTI CET ASPECT DE VOTRE PLAIDOIRIE?

R.L.: Le second volet de notre défense a porté sur la personnalité de Youssouf Mohamed Hamed. Il a vécu 17 ans de misère avec une mère folle, une maison en carton, obligé de se marier à sa cousine germaine avec deux enfants qu’il n’arrive pas à nourrir. C’est la raison pour laquelle il a accepté d’être cuisinier pour les pirates. Ensuite, les conditions de détention ont été horribles. D’abord enfermé à Fleury-Mérogis où il a été victime de coups. Il est mineur quand il est emprisonné et ne peut pas travailler. Il a passé plusieurs mois sans pouvoir s’entretenir dans une langue qu’il comprend avec un tiers. Le regroupement avec d’autres somaliens a été difficile et a tardé. Il est aujourd’hui à la prison de Fresnes dans une cellule à côté d’autres somaliens avec qui il partage ses promenades. Les conditions de détention se sont un peu améliorées.

Ce déracinement entre la Somalie et les prisons françaises a été difficile. Il a été interné dans une unité psychiatrique en raison d’une psychose carcérale. Ces différents points ont pesé pour la défense, tout comme sa qualité de mineur.

La détention de Youssouf a été très difficile car ils ont souffert de l’enfermement. En trois ans de détention provisoire il a eu une demi-heure de parloir avec un cousin réfugié politique en Suède que nous avons retrouvé. Hormis cette entrevue, en trois ans et trois mois, il n’a eu aucune nouvelle de sa famille.

Il faut remettre les choses dans leur contexte. Youssouf a été pêcheur. Quand il a été arrêté, cela faisait un an qu’il avait cessé de travailler en raison du manque de poissons en Somalie. Il a, dans cette affaire, eu comme fonction de faire le cuisinier sur la terre ferme.

JMM: LORS DU PROCÈS, LA DÉFENSE À DEMANDER LA DIFFUSION DU DOCUMENTAIRE DE PAUL MOREIRA, TOXIC SOMALIA, LE TÉMOIGNAGE DE CE RÉALISATEUR ET LES COMMENTAIRES D’UN GÉOPOLITICIEN. QUELS ONT ÉTÉ LES EFFETS DE CES INTERVENTIONS SUR LA COUR?

R.L.: La diffusion du reportage de Paul Moreira, Toxic Somalia, a joué. Je ne peux pas croire que les images choquantes du documentaire n’ont pas eu un effet tant sur l’avocate générale que sur les jurés. Maintenant, les délibérations sont secrètes et nous ne le saurons jamais. La diffusion de ce documentaire a été faite surtout pour montrer la situation de la Somalie, d’une part, et des accusés dans leur métier de pêcheur. Tous les intervenants ont regardé le film avec intérêt. Les jurés, les magistrats, l’avocate générale et même les accusés qui n’ont pas vu d’images de leur pays depuis plus de trois ans ni entendu parler leur langue ont regardé avec attention ce film. Les six accusés ont tous voulu remercier Paul Moreira pour avoir dénoncé une des origines de la piraterie.

De plus, vous avez raison de le souligner, nous avons eu un géopoliticien qui est venu expliquer ce qui est dépensé pour le commerce international, ce qui l’est pour le pays lui-même et pour le programme humanitaire.

JMM: AU TRAVERS DE CE PROCÈS, IL A ÉTÉ QUESTION DU PROCÈS DE LA PIRATERIE OU DE CES SIX PIRATES?

R.L.: Nous avons été dans le procès de ces six pirates. L’avocate générale a eu des réquisitions lourdes. Elle voulait faire le procès de la piraterie et probablement justifier les dépenses de l’État français pour juger ces six pirates. Nous avons choisi de défendre les hommes qui ont été dans des situations très dures. Dans les jours fastes de sa vie, Youssouf Mohamed Hamed a gagné 4 $ par jour. Plus généralement, il a gagné 1 $ voire rien du tout. Cela explique les raisons de leur action. Notre message a été aussi de dire qu’il ne faut pas espérer envoyer un message à la piraterie au travers de ce procès. Ces six pirates ne représentent pas « la piraterie » dans le monde.

JMM: EXISTE-T-IL ALORS UN VÉRITABLE COMMANDITAIRE DE CES ACTES?

R.L.: M. Shiré serait le commanditaire. Il est décrit par le réquisitoire du procureur comme tel. Il n’a jamais été inquiété. Donc cela signifie que la cour a jugé cinq exécutants.

JMM: FEREZ-VOUS APPEL DE LA DÉCISION?

R.L.: Nos clients ne souhaitent pas, à ma connaissance, faire appel. C’est une décision juste parce que nous avons l’impression que nos clients ont été écoutés. D’ailleurs, même les parties civiles ont reconnu la justesse de celle-ci. Quand ils se sont séparés, Jean Delanne, son épouse et les six accusés se sont tous serré la main et se sont souhaités bon courage pour la suite.

Par contre, nous craignons un appel du Parquet qui a requis six ans pour le vendeur de langoustes, huit ans pour Youssouf Mohamed Hamed, et ensuite de treize à quinze pour l’un et de quatorze à seize pour les autres. Le parquet a dix jours. Si la hiérarchie de l’avocate générale décide de faire appel, nous le saurons rapidement.

Avec remise de peine automatique, Youssouf Mohamed Hamed pourrait être libérable dans quelques mois. Si le parquet fait appel, les remises de peine automatiques sont suspendues. Nous ne serons jamais audiencé pour l’appel avant la fin des peines, nous ferons donc une demande de mise en liberté.

JMM: YOUSSOUF MOHAMED HAMED A PRÉVU CE QU’IL FERAIT LORS DE SA LIBÉRATION?

R.L.: Il voudra peut-être rester en France pour travailler et envoyer de l’argent en Somalie. Pour cela, nous aurons des démarches à entreprendre qui seront extrêmement difficiles.

JMM: VOUS AVEZ DÉFENDU UN PIRATE DU CARRÉ-D’AS ET VOUS ÊTES AUSSI DANS LE CAMP DE LA DÉFENSE D’UN SUPPOSÉ PIRATE CAPTURÉ LORS DE LA PRISE DU VOILIER LE PONANT. LES FAITS SONT IDENTIQUES?

R.L.: Dans le cadre du Ponant, le cas est différent car les accusés sont interpellés sur la terre ferme. Dans le cadre de la procédure du Carré-d’As, la gendarmerie a déclaré ne pas pouvoir aller à terre. Ils sont six accusés somaliens à avoir été interpellé à terre pour le Ponant. Un seul se dit pirate, les autres disent tous qu’ils n’ont pas mis les pieds sur le navire. Il n’est jamais monté sur le navire, il n’a eu aucune fonction.

Pour l’affaire du Ponant, nous avons les mêmes qualifications que celles du Carré-d’As. La différence tient surtout à la médiatisation qui a été faite autour de ces faits de piraterie. De plus, il y a 22 parties civiles et le groupe CMA CGM.

– Le2 septembre 2008, le Carré-d’As est pris d’assaut dans le golfe d’Aden. À son bord, un couple de Fran çais est pris en otage par des pirates somaliens. Les assaillants ramènent le bateau vers la côte et réclament d’abord quatre, puis deux millions de dollars pour la vie des otages. Jean-Yves Delanne et son épouse Bernadette, sont retenus prisonniers dix jours avant qu’une opération militaire les libère.

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