« En Europe, les terminaux méthaniers ont le vent en poupe »

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JOURNAL DE LA MARINE MARCHANDE (JMM): POUVEZ-VOUS RAPPELER LA SITUATION DU MARCHÉ DU GAZ EN 2009/2010?

NAÏMA IDIR (N.I.): Les années 2009/2010 sont fortement marquées par la bulle gazière. Cette dernière est la résultante de trois phénomènes survenus au niveau mondial. Le premier est la crise financière puis économique de la mi-2008 qui a conduit à une chute de la demande mondiale de gaz. Cette dernière a diminué de 4 % en 2009. Le deuxième phénomène est l’arrivée de nouvelles capacités de liquéfaction. Une augmentation de l’ordre de 50 % des capacités de production de GNL entre 2009 et 2013 était prévue car de nombreux projets étaient en cours de réalisation.

Ces derniers étaient largement portés par le Qatar, le premier exportateur de GNL en 2009.

L’arrivée prévue d’une quantité importante de GNL en lien avec les projets de liquéfaction répondait à une demande d’avant la crise quand l’économie était florissante. Le principal pays demandeur était alors les États-Unis. Et là se place le troisième phénomène: la révolution du gaz non conventionnel aux États-Unis. Les importations américaines de gaz se sont effondrées. La production de gaz non conventionnel a augmenté de 40 Mdm3 en 2008 puis de 20 Mdm3 en 2009. Les victimes de cette autosuffisance américaine ont clairement été les gaz canadiens et le GNL. En 2009, la demande mondiale de gaz a donc ralenti, les États-Unis n’importaient plus les volumes importants de GNL qui arrivaient sur le marché. L’Union européenne (UE) a alors profité de cette situation car des pays comme la Grande-Bretagne, la France, l’Italie ou l’Espagne avaient décidé d’anticiper le déclin de la production gazière européenne en mettant en place des capacités de regazéification supplémentaires. L’UE a capté l’afflux supplémentaire de GNL au niveau mondial à des prix intéressants. Il en a résulté un découplage des prix du gaz sur les marchés spots avec les prix des contrats de long terme.

JMM: QUELLE EST LA SITUATION EN 2011?

N.I.: La bulle gazière est toujours d’actualité car il y a toujours une décoréllation entre les prix spots et les prix de long terme. Toutefois, la tendance est au resserrement entre ces prix. Cette situation des prix est liée principalement à la demande asiatique et, plus particulièrement, celle du Japon. L’un des principaux événements de cette année pour le marché gazier est en effet la catastrophe de Fukushima et l’arrêt d’autres réacteurs nucléaires au Japon. Pour sa production d’électricité, ce pays a dû compenser le déclin du nucléaire par des importations de gaz. Les analyses sur les réservations de gaz montrent que la demande de GNL du Japon a augmenté de 10 % par rapport à l’année dernière. Un autre point important en 2011, ce sont les évolutions du côté de la production. Jusqu’à présent, le marché du GNL était dominé par le Qatar. Un nouvel acteur commence à émerger sur ce marché, c’est l’Australie où il y a eu de nombreuses annonces sur des projets de liquéfaction. L’Australie est présentée par de nombreux acteurs comme « le Qatar de demain ».

En Europe, les terminaux méthaniers ont le vent en poupe, aussi bien les existants que ceux en projet. Aux Pays-Bas, le Gate Terminal de Rotterdam a été inauguré en septembre 2011. En France, le terminal méthanier d’EDF a été lancé à Dunkerque. Il y a aussi le projet d’Elengy concernant l’évolution du terminal méthanier de Tonkin pour sceller en quelque sorte le devenir du site. Deux scénarios se dessinent: soit la demande est suffisante pour pérenniser le site au-delà de 2014, soit elle est insuffisante et il faut préparer la fermeture de Tonkin, lentement mais sûrement. À Fos encore, il y a aussi un projet d’extension du terminal méthanier de Cavaou mis en service en 2010. Pour ce dernier, il devrait y avoir sans doute des annonces en 2012 de la part d’Elengy. Cette entreprise mène aussi le projet d’une extension du site de Montoir qui pourrait être réalisée entre 2015 et 2017 en fonction de l’option retenue (12 bcm ou 16 bcm).

Enfin, il ne faut oublier le projet de Fos Faster, entré dans une nouvelle phase d’analyses techniques pour la construction avant de lancer les appels d’offres et surtout dans la phase commerciale, après la fin du débat public et la décision du porteur du projet de continuer.

JMM: LES PAYS EUROPÉENS RISQUENT-ILS DE MANQUER DE GNL SUITE À L’ESSOR DE LA DEMANDE DU JAPON?

N.I.: Il y a trois zones pour le GNL: l’Asie, l’Europe et les États-Unis. Les prix du gaz aux États-Unis sont durablement détachés des prix en Europe et en Asie. La place américaine a désormais sa propre logique d’évolution, une logique de marché intérieur. Aux États-Unis, les prix sont faibles, en lien avec la production de gaz non conventionnel, qui ne montre pas, pour l’instant, de signe de ralentissement. Du côté de l’Asie, c’est différent car ce qui s’y passe a des conséquences sur le marché européen. En effet, l’Europe et l’Asie sont en concurrence pour le GNL. Or la demande de GNL en Asie est en forte augmentation, tirée par le Japon mais également par la Chine, la Corée et l’Inde, avec des niveaux de prix élevés.

JMM: QUEL PEUT-ÊTRE LE RÔLE DE L’UNION EUROPÉENNE?

N.I.: La Commission européenne a entrepris un travail de remise à jour de la Roadmap à l’horizon 2050. L’ensemble des acteurs gaziers espère que la position par rapport au gaz sera différente de la Roadmap précédente pour prendre en compte les conséquences de Fukushima, les décisions d’un certain nombre de pays européens de sortir du nucléaire, notamment l’Allemagne. Le secteur de l’industrie gazière souhaite que le gaz ait une vraie place, pas seulement en tant qu’énergie de transition jusqu’en 2035, mais une vraie place pérenne dans le mix européen bien au-delà de 2035.

JMM: QUEL PEUT-ÊTRE L’INFLUENCE DU GAZ NON CONVENTIONNEL?

N.I.: L’exploitation du gaz non conventionnel est devenue possible aussi car le prix du gaz a suffisamment grimpé pour justifier les investissements techniques et la production à des prix élevés. Comme pour le pétrole. Or actuellement, le prix du gaz aux États-Unis est bas. Du coup, certains acteurs du secteur se de­mandent si ce n’est pas la production de pétrole qui va reprendre aux États-Unis. Les prix du gaz étant bas et les prix du pétrole restant élevés, on pourrait assister à une reprise de l’exploitation pétrolière aux États-Unis au détriment du gaz non conventionnel. Cela ne signifiera pas forcément un déclin de la production gazière américaine, puisque lors de l’exploitation d’un champ pétrolier, il y a souvent du gaz aussi. Enfin, la population américaine commence à se poser des questions sur les atteintes à l’environnement liées à l’extraction du gaz non conventionnel.

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