Un port… un mot, un lieu et mille et une visions*

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Le 20 octobre, dans une salle fraîche du site nantais de l’École nationale supérieure maritime, s’est tenu le colloque scientifique présentant les premiers fruits des recherches universitaires du programme Gécope (voir encadré page suivante). Financé par l’Agence nationale de la recher­che, Gécope a pour objectif de mener des études comparatives de différents modèles de gestion portuaire en Espagne, Italie et France « afin de comprendre la recomposition du rôle de l’État et de l’autorité publique en général dans les espaces portuaires ». Ont donc été passés au crible Bilbao et Vigo, Gênes et Naples, Nantes, Rochefort et Sète.

Les réformes de la gouvernance portuaire des trois États présentent de nombreuses similitudes, même si l’Espagne et l’Italie ont commencé leur marche vers « l’autonomie » du Land port bien avant la France, estiment les quatre auteurs de la présentation intitulée « l’évolution de la gouvernance dans les ports espagnols, français et italiens: unité et diversité ». Cependant, l’ensem­ble des 46 ports espagnols d’intérêt général, grands et petits, est placé sous l’autorité d’une seule agence gouvernementale, Puerto del Estado, qui coordonne et contrôle 28 autorités portuaires. Celles-ci sont tenues de dégager une rentabilité de 2,5 % sur leurs capitaux investis. En France, aucun contrat pluriannuel entre un grand port maritime et l’État n’a été signé, de sorte que l’on ne connaît pas la politique de l’État en matière de dividende, ont souligné les auteurs. Ils notent que l’Espagne a réellement pris conscience de l’importance économique de ses ports. Conséquence de la géographie, la faible porosité entre la France et l’Espagne pourrait au moins en partie expliquer cette prise de conscience. Les « déviations » de trafic espagnol (et italien) par les ports français doivent être exceptionnelles.

Coopération portuaire: mythe et réalité

Sur le thème « relations interportuaires en France (éclairages européens): concurrence et coopération », les deux auteurs recensent trois questions relatives à la coopération: quels domaines? Quels effets quantitatifs ou qualitatifs? Pour qui?

Il y a des domaines plus ou moins sensibles. Ainsi quand Ravenne, Venise, Trieste et Koper s’associent pour promouvoir le nord de l’Adriatique en tant que porte d’entrée vers l’Europe centrale, alternative au range Nord, il s’agit d’une démarche marketing qui profite à tous de manière égale, sans arrière-pensée possible. Par contre, lorsque le port de Rot­terdam s’associe à celui de Flessingue pour y construire des terminaux à conteneurs avec l’idée de contrôler les tarifs, donc la concurrence, l’affaire tourne court.

Lorsque Le Havre et Caen souhaitent monter une ligne feeder entre eux, chacun devrait y trouver son compte, à des degrés divers.

En ce qui concerne les conseils de coordination interportuaires, il y a un « risque de défaut d’arbitrage, de consensus facile sur des non-sujets », le tout étant facilité par une quasi-absence de politique d’aménagement du territoire, à l’exception du projet du Grand Paris.

Conflits portuaires

Le thème de recherche « analyser les conflits portuaires pour comprendre les dynamiques et la gouvernance portuaires. Comparaison entre Sète, Gênes et Naples » a dressé la liste des nombreuses tensions possibles qui peuvent déboucher sur un conflit: la concurrence entre places portuaires, entre usagers portuaires de la même place, entre entreprises du même secteur, bien sûr entre salariés et employeurs. Sans oublier les possibles tensions entre l’Autorité portuaire et les collectivités territoriales ou la tutelle. Les premières pourraient s’intéresser au foncier dont dispose le port, la seconde, rendre des arbitrages discutables. L’opinion publique, de plus en plus étrangère à son port, et les groupes écologistes peuvent également avoir un avis sur les particules fines générées par le passage portuaire.

Après 43 interviews en Italie, il apparaît que les 24 autorités portuaires italiennes luttent pour que soit installé un système de financement déconnecté des aléas politiques et pour disposer d’une véritable autorité de décision.

À Sète, on regrette « le poids des dissensions politico-personnelles entre acteurs politiques et leur impact sur les choix de développement ».

Points de vue des professionnels

Si le ministère de tutelle ne figurait pas parmi les « communicants », il était présent dans la salle. Adjointe au sous-directeur des ports, Isabelle Palu-Gouesclou a expliqué « qu’il n’y aurait pas de nouvelle réforme portuaire à court terme, sauf en ce qui concerne les ports d’outre-mer. La priorité est au rétablissement de la confiance ainsi qu’à la simplification des procédures ». Il semble également que le ministère s’intéresse à la façon dont les autorités étrangères règlent ou ont réglé le problème de la concentration dans la manutention portuaire. Vaste et délicat sujet. L’auto-assistance pourrait être une solution.

Le 21 octobre, invité à s’exprimer sur le thème « les acteurs portuaires et les mutations de l’autorité publique », Laurent Castaing, président du directoire du Grand port maritime du Havre, a d’abord rappelé qu’il venait de l’industrie. Puis il a expliqué qu’il a deux tutelles: l’une exercée par l’actionnaire représenté par le ministère des Finances, et l’autre, technique, exercée par le ministère des transports. Dans le premier cas, comme dans le privé, l’actionnaire veut une justification pour chaque euro investi. Dans le second cas, du fait d’une politique portuaire « moins affirmée », il faut un peu plus de temps pour arriver à un accord. « Mais nous ne nous voyons que sur les grands dossiers. » Avantage de la nouvelle gouvernance: lorsque les deux tutelles ne sont pas d’accord, elles doivent s’en expliquer devant le conseil de surveillance.

Déjà évoqué il y a plus de 20 ans par le d.g. du Port autonome de Marseille, Michel Péchère, la concentration des opérateurs portuaires fait « qu’il y a de moins en moins de patrons d’entreprises dans les ports français », a constaté à son tour Laurent Castaing. Il a ajouté que quand un port comme Le Havre a une vocation nationale, voire européenne, « il faut s’ouvrir. Ouvrons toutes les barrières que toutes les professions ont mises en place ».

Intervenant dans une table ronde sur le thème « entrepreneriat portuaire face aux marchés », Bruno Hug de Larauze, p.-d.g. de MTTM (Manutention, transit, transport et magasinage), a souligné la « schizophrénie » qui guette l’opérateur portuaire: « On nous deman­de des engagements de trafic sur quatre à cinq ans et d’investir des sommes considérables dont le retour sur investissement se fera entre 10 et 12 ans. Entre-temps, les normes sismiques ou environnementales se durcissent. Il faut avoir les reins solides du point de vue financier. » Tout cela va finir par augmenter le coût horaire de la manutention alors qu’il faut faire baisser le coût de l’escale en la rendant plus courte. Autre perspective, le désinvestissement du portuaire au profit d’activités moins aléatoires. Ce qui rappelle la cession d’une bonne partie de la manutention anversoise à des intérêts asiatiques, il y a quelques années.

Si le monde portuaire européen évolue, il conserve au moins en France trois caractéristiques, a constaté John Barzman, professeur d’histoire à l’université du Havre: « Une réelle force syndicale sur le terrain, la persistance de la tradition d’accords de site entre patronat et syndicat et la perception que l’intervention gouvernementale perturbe l’équilibre local. » Tout serait dit.

Aude Mahé dans « Urbanité des cités portuaires », éditions L’Harmattan

Le poids des maux

Quand un représentant de chargeurs déjeune avec le représentant d’un grand armateur, de quoi parlent-ils? Des conflictualités portuaires Peu. Ils parlent du poids des conteneurs mal estimé et d’empotage perfectible. Comme dans les années 1970. Le second réfléchit même à la meilleure façon de peser le conteneur dès son arrivée sur le terminal à concevoir. « Dans les instructions du chargeur pour la rédaction du B/L, nous savons rarement si le poids brut marchandise comprend ou non la tare du conteneur. Certaines compagnies ajoutent systématiquement la tare au poids indiqué par le chargeur », explique un chef d’agence intégrée. Dans les prochains mois devrait se tenir une journée d’information destinée à sensibiliser les chargeurs, voire les commissionnaires de transport à la meilleure façon d’empoter les boîtes et à déterminer leur poids. Autre sujet de déjeuner: la communication de moins en moins bonne entre le premier port de France, Anvers, et les chargeurs français. En effet, l’évolution politique et sociologique de la Belgique fait que la langue française est de moins en moins apprise par les Flamands. Les jeunes portuaires anversois parlent sans doute bien l’anglais; ce qui n’est pas nécessairement le cas de certains responsables d’usines françaises. Pour des sujets nécessitant certaines nuances, il y aurait des pertes en ligne in english. Un nouvel argument pour réduire les « déviations » de trafic?

Gouverner et administrer

En 2008, l’Agence nationale de la recherche lance un appel à projet sur le thème « gouverner et administrer » en souhaitant que des équipes de recherche en sciences humaines et sociales proposent des études innovantes sur la recomposition du rôle de l’État en Europe, et plus largement sur celui des autorités publiques dans un contexte de profond changement. Le programme Gécope constitue la réponse à la demande. Il est constitué par des universitaires espagnols, italiens et français (dont Nantes).

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