Une des alternatives à la route royale est le transport ferroviaire via la Russie. Une autre alternative à la route royale est la combinaison de deux modes de transport tel que le sea-air. C’est également une alternative à un acheminement door-to-door par voie aérienne, très onéreux. Le sea-air consiste à réaliser sous un même document de transport, dit « document de transport combiné », un segment maritime entre des ports asiatiques et ceux des pays du golfe Persique, suivi d’un segment aérien pour rallier les aéroports majeurs de l’Europe. Le sea-air est une prestation de transport plus rapide que le transport maritime et moins onéreuse que le transport aérien. À titre d’exemple, sur une liaison Shanghai-Francfort, pour l’équivalent d’un conteneur 20’ dry, la prestation de services sea-air est pratiquement trois fois moins onéreuse qu’un transport par voie aérienne entre ces deux destinations. Par ailleurs, les principaux ports sur la Northern Range étant congestionnés en raison des fréquences soutenues des liners, le transport combiné sea-air présente un intérêt certain. En effet, relier le port de Shanghai à l’aéroport de Francfort, via le port puis l’aéroport de Dubaï, est réalisable en 15 jours dont deux à Dubaï pour la rupture de charge, soit la moitié du temps de transport par la route royale en door-to-door. Précisons que le coût de la rupture de charge sea-air est généralement minimisé par des prestations logistiques lors du dépotage des conteneurs maritimes pour l’empotage des conteneurs aériens. Malgré les avantages cités, l’alternative sea-air reste onéreuse et n’est valable que pour les familles de produits conteneurisables à forte valeur ajoutée.
La route maritime Nord, nouvel itinéraire?
Ces alternatives (transport ferroviaire, prestation sea-air ou transport aérien) présentent des atouts, mais aussi des freins qui limitent les possibilités de report modal. Aussi est-on tenté de s’intéresser de nouveau au transport maritime en s’intéressant à une nouvelle route maritime. Avec le réchauffement climatique et la fonte des glaces, un nouvel itinéraire pourrait être envisagé pour la pratique du transport maritime de lignes régulières entre les marchés nord-asiatiques et les marchés nord-européens: la route maritime Nord (RMN), via l’océan Glacial arctique.
Plusieurs facteurs justifient l’intérêt d’effectuer un transport de conteneurs sur la RMN. Nous avons évoqué la question d’un report de trafic conteneurisé de la route royale vers la RMN pour pallier les éventuelles limites de cette première (travaux sur le canal de Suez, augmentation des temps d’attente, augmentation de la taille des navires donc diminution du nombre de navires par convoi, etc.). Les atouts de la RMN sont étroitement liés à la nouvelle géographie des lieux qui se met en place à l’échelle internationale, avec le déplacement des bassins de production et des marchés de consommation. En Europe, le déplacement du centre de gravité économique se fait de l’Ouest vers le Nord-Est suite au développement de l’Europe centrale et de l’Est. Dans le même temps, celui de l’Asie évolue du Sud-Est vers le Nord en raison de l’essor de l’économie chinoise. Via cette nouvelle route maritime internationale, la distance physique séparant Shanghai de Rotterdam serait plus courte d’environ 2 500 miles nautiques. La RMN permettrait également un gain de temps d’environ 10 jours, soit 1/3 du temps de transport par la route royale. Les experts internationaux – réunis sur le sujet lors d’un colloque sur les impacts qu’aura l’ouverture de la RMN sur les routes maritimes commerciales (Honolulu, août 2011) – rappellent qu’une navigabilité pendant 4-6 mois sera envisageable dans les 20 années à venir. Ce phénomène malheureusement lié à l’activité humaine, le réchauffement climatique, se déroule dans un climat géopolitique apaisé depuis l’ouverture de cet océan en 1991 suite à la chute de l’URSS. Là encore, nous y voyons un environnement contextuel favorable à l’exploitation de la RMN. Mais l’éventualité d’emprunter régulièrement la RMN relance les convoitises des cinq États riverains sur cette partie du Globe, et cette voie de communication pourrait très rapidement devenir le nouvel enjeu des relations internationales. La RMN présente certes d’autres atouts que la route royale liée à la nouvelle géographie des lieux, mais également des inconvénients en termes de logistique. En effet, ces atouts sont contrecarrés par des freins liés aux caractéristiques géographiques des territoires traversés par la RMN, notamment le long des 2 500 miles nautiques de côtes sibériennes situés entre le détroit de Béring et le port de Mourmansk, territoire où l’œkoumène ne s’est quasiment pas étendu. Là, aucune escale n’est envisageable. Cela a pour première conséquence d’empêcher l’optimisation de la productivité de la ligne maritime régulière de conteneurs sur le même modèle que ce qui se pratique sur la route royale grâce à un réseau de voies de communication développé dans les hinterlands portuaires (prestations fluviales, ferroviaires de feedering de qualité). Ensuite, il n’existe pas ou peu de réponses à un important besoin en prestations de service généré par les aléas techniques liés aux conditions climatiques extrêmes, à savoir la présence de plaques de glace dérivantes, d’icebergs, de brouillards et autres vents violents. En effet, maintenir le cadencement de lignes régulières implique certaines garanties. Il faudrait pour cela bénéficier de délais minimes d’assistance aux navires, de mises à disposition de navires de remplacement, d’assistance de brise-glace et de moyens de transbordement adaptés. Ajoutons à cela le fait que les contraintes climatiques se traduisent forcément par des surcoûts d’assurance aujourd’hui encore prohibitifs et peuvent porter lourdement atteinte aux portefeuilles clients des compagnies maritimes qui opèrent actuellement sur la route royale et qui souhaiteraient transférer une partie de leurs lignes vers la RMN. Actuellement, ce n’est qu’au transit de certains types de produits, à savoir les matières dangereuses ou les colis lourds, que le caractère isolé des territoires longés par la RMN peut réellement profiter. Le dernier frein à aborder concerne les lourdeurs administratives imposées actuellement par l’autorité compétente de la RMN en Russie, la Northern Sea Road Authority (NSRA), et pouvant rebuter les compagnies maritimes.
RMN et droits de passage: une source de profits
Il est évident que l’émancipation de l’économie russe aurait pour conséquence de dynamiser les importations de produits manufacturés et rendrait plus attractif, car plus rentable, le passage de porte-conteneurs. Mais cette dynamique russe tarde à venir. Pourtant, si la RMN était appelée à devenir un réel axe de délestage de la route royale pour le transit international, elle deviendrait une source de profits très importante pour la Russie grâce aux droits de passage, à l’instar du canal de Suez pour l’Égypte. En effet, la délivrance d’autorisations de passage pour naviguer sur la RMN s’accompagne de taxes multiples facturées par la NSRA: les NSR fees. Leur montant s’échelonne de 4,36 US$/t à 23,82 US$/t selon la coque du navire et la saison du passage (le taux le plus faible s’applique pour un navire à coque brise-glace transitant en été). Ces tarifs incluent l’assistance d’un navire brise-glace, la fourniture des prévisions météorologiques et l’élaboration d’un itinéraire adéquat le long du parcours. Pour des navires comparables, les NSR fees sont en moyenne deux fois plus élevées que le droit de passage du canal de Suez.
Le questionnement sur la faisabilité de la RMN montre que des freins rendent la RMN apparemment peu adaptée aux principes de base de la ligne régulière de transport de conteneurs sur le marché Asie-Europe. Pour autant, ils ne sauraient à eux seuls empêcher techniquement le report du trafic de la route royale vers la RMN.