Il y a quelques années encore, La Pallice était à la fois le port lui-même et le quartier qui le borde. Les habitants de l’un étaient les travailleurs de l’autre. Le soir ou les jours de congés, les cannes à pêche s’alignaient tout au long du môle d’escale, tandis que des petites mamies, après les départs des cargos, venaient remplir des sacs de grain glané sur les quais pour nourrir leurs poules. Les deux mondes, très imbriqués, vivaient en bonne intelligence, en harmonie, même. Quant aux marins en escale, beaucoup ignoraient même l’existence de La Rochelle, ne connaissant des lieux que le nom de La Pallice. Puis le port, à la faveur de son ascension dans le club très prisé des Ports autonomes puis des Grands ports maritimes, est devenu un monde à part, isolé du reste de la ville et de ses tout proches voisins. Avec les lois sécuritaires qui ont suivi le 11 septembre, des grilles ont été érigées, les portes se sont fermées, le port de La Pallice est devenu celui de La Rochelle. Et les voisins se sont sentis dépossédés de lieux qui, jusque-là, leur « appartenaient ». « Cela a été un véritable traumatisme », affirment certains.
C’est dans ce contexte que sont apparus les premiers griefs faits à des activités portuaires: poussières des céréales ou des phosphates qui transitent par les quais, omniprésence des camions… Puis est venu le projet Holcim d’une unité de broyage de clinker. L’agacement est monté d’un cran. Mais le clash est venu des dépôts pétroliers. D’abord des odeurs qui s’en dégageaient et qui ont suscité, au printemps 2009, une première pétition et, surtout, une première mobilisation des quartiers riverains.
Quel développement pour le port?
« On s’est penché sur le dossier de ces odeurs et on s’est aperçu qu’il existe aussi un projet de quatre nouvelles cuves pour 43 000 m3 de produits pétroliers », indique Raymond Bozier, vice-président de l’association Respire. « Le permis de construire a été délivré tacitement par la mairie fin 2008 et les riverains n’ont jamais été informés. » L’agacement devient alors colère. D’autant que les explications du maire, en réunion publique, ne convainquent personne. De réunions en rencontres, les élus et les représentants du port se font houspiller, voire malmener.
C’est dans ce contexte qu’est née en septembre 2009 l’association Respire. « Avec sa création, le débat a été mis sur la place publique, et non plus seulement entre gens de la bonne société qui s’entendent comme larrons en foire pour le bien de tous et surtout le leur… » Elle compte aujourd’hui 417 adhérents, tous habitant les quartiers qui bordent le site portuaire, La Pallice et Laleu. Ils se veulent vigilants sur les activités du port et leurs incidences sur l’environnement, le leur en tant que voisins et plus largement le milieu dans son ensemble. Ils questionnent notamment sur son impact sur les pertuis charentais, zone marine fragile. « Toute pollution qui va s’ajouter aux pollutions existantes est inquiétante, souligne Raymond Bozier. L’implantation d’Holcim aurait dû se faire ailleurs. Et cela va aussi occasionner des camions supplémentaires. »
Quant à la dimension économique de l’usine, « une unité de clinker est sûrement une bonne chose pour le port. Mais elle ne va créer qu’une vingtaine d’emplois. » Plus globalement, Respire se demande si un port enclavé comme l’est le Grand port maritime se doit bien d’avoir une vocation industrielle. « L’Anse Saint-Marc, La Repentie, ce sont des territoires que le port gagne sur la mer. Est-ce que le port peut se développer à l’infini? Et s’il le fait, est-ce que ce sera encore côté mer? Ou ont-ils l’intention de raser le quartier? » demande perfidement Raymond Bozier.
Le fusil à côté du lit
Cette perspective, que rejettent évidemment les dirigeants du port ou les élus locaux, hante quand même les esprits des riverains. Le point de plus forte tension est en effet celui du PPRT, le Plan de prévention des risques technologiques. Selon ce plan, neuf maisons voisines des cuves de carburants doivent être expropriées et 45 autres « délaissées », c’est-à-dire que leurs occupants et propriétaires ne pourront y rester qu’à condition de réaliser à leurs frais des travaux coûteux, alors qu’il s’agit pour la plupart de personnes de condition modeste. « Mais ces gens étaient là avant les cuves, s’insurge Raymond Bozier. C’est Picoty qui est venu s’installer près de leurs maisons, pas l’inverse! »
Parmi ces personnes, certaines y ont perdu le sommeil. D’autres dorment désormais avec le fusil posé à côté de leur lit, au cas où… Toutes reçoivent un soutien massif de l’association Respire et, plus globalement, des autres habitants du quartier, consternés par ce qui leur est proposé. Côté mairie, on essaie de maintenir des échanges, face à des riverains désormais mobilisés et ayant totalement perdu confiance en leurs élus. Quant au port, « il ne peut plus ignorer la contestation. Il a été contraint de changer d’attitude et d’entamer le dialogue ». Mais le passif est encore lourd et la défiance règne. Une réunion s’est tenue au début du mois entre la direction du port et des membres de Respire. Jugée très satisfaisante côté port, elle laisse les défenseurs des riverains plus circonspects. Ils attendent la suite et ont encore du mal à croire à cette subite virevolte du silence à la transparence.