Comment une simple petite phrase peut-elle mettre le feu aux poudres? En l’occurrence, la Fédération française des sociétés d’assurances (FFSA), qui a refusé de répondre à nos questions, a adressé une circulaire à ses adhérents proposant un modèle de clause (lire encadré) à insérer dans les polices d’assurance prévoyant la suspension du contrat lorsqu’une activité est prohibée où lorsqu’un armateur s’aventure dans un port dont les escales sont interdites. Cette clause vient compléter le dispositif existant qui faisait déjà référence à des activités prohibées à la fois dans les polices corps (art. 3 des polices d’assurance maritime) et facultés (art. 7). Difficile pour un armateur de se soustraire à cette clause sanction, le marché de l’assurance étant tenu par une poignée d’opérateurs qui n’a d’autre choix que de supporter le report de la charge juridique des États. Mais, quel est au juste le cadre de cette clause? À-t-elle une valeur constitutionnelle et d’ordre public? Difficile, voire impossible à ce jour, d’avoir une réponse claire.
PAS DE DÉCLARATION DE GUERRE MAIS UNE RÉPONSE ÉCONOMIQUE
Dans une circulaire à l’attention de ses adhérents, la FFSA justifie la rédaction d’une telle clause face à la « multiplication des mesures restreignant le commerce avec certains pays ou entité » et pour la « nécessité de la mise en œuvre de la loi », et précise que « ne sont retenues que les législations qui s’imposent à l’assureur ». Ainsi, un assureur français sera concerné par des sanctions prises par l’Union européenne et par des sanctions nationales. Un assureur américain suivra de près les décisions du Conseil de sécurité des Nations unies. Des sanctions peuvent également être décidées par les États unilatéralement tels que la France lorsque la Côte d’Ivoire était plongée dans le chaos, ou les États-Unis en adoptant des sanctions à l’encontre d’un certain nombre de pays. Pas d’attaque frontale, pas de déclaration de guerre. La riposte des nations occidentales se fait sous l’angle économique en sanctionnant les personnes physiques ou morales qui pactisent avec la puissance ennemie. Des listes nominatives sont d’ailleurs tenues scrupuleusement à jour. Le système est particulièrement poussé: « Un Américain qui travaille en Afrique et en affaire avec l’Iran est soumis aux sanctions », souligne Philipp Roche, avocat au cabinet londonien Norton Rose.
« Certains courtiers se sont associés à la clause sanction. Il faut résister à cette psychose générale. En cas de sanctions, l’assuré sera alors soumis à une triple peine: confiscation de la marchandise, amende et sanctions financières pour l’assureur qui les répercutera sur son client », lance Vincent Huens, Marine & Transports Manager chez Ascoma Jutheau Husson. Le 9 juin 2010, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté une résolution (1929-2010) à l’encontre des personnes physiques ou morales qui agissent au nom de l’armement national Islamic Republic of Iran (IRISL), contre l’opérateur portuaire Tidewater Middle East qui gère des terminaux dans sept ports iraniens et contre le transporteur national Iran Air. Dix jours plus tard, la Commission européenne a adopté une résolution similaire anti iranienne (règlement du 18-06-2010) avec la ferme intention de traquer les pratiques douteuses (falsification de documents, rajout d’un préfixe au nom d’un navire…). Dès le début 2011, à la lumière du Printemps arabe, la liste des pays sanctionnés a été rallongée.
L’ABSENCE DE DIPLOMATIE EUROPÉENNE POSE UN PROBLÈME
En Tunisie, il s’est agi d’un gel des actifs appartenant aux clans Ben Ali et Trabelsi. En Libye, une sanction similaire a été prononcée dès le 26 février 2011 à l’encontre de Kadhafi et de six personnes de sa famille par le Conseil de sécurité des Nations unies, qui le 17 mars a élargi les sanctions avec un embargo, interdiction d’importer ou d’exporter des armes. L’Europe a adopté les mêmes mesures en avril. Au même moment, la répression sanglante engagée par le président syrien Bachar el-Assad contre son peuple lui a valu des sanctions sévères en avril et en août dernier de la part des États-Unis et de l’UE. Désormais, il est interdit d’importer du pétrole et des produits pétroliers syriens.
Plongé dans le chaos et la guerre pendant plusieurs mois, la Côte d’Ivoire a également fait l’objet de restrictions au commerce imposées le 12 avril par un règlement du Conseil de l’UE et levées le 27 juin. La société ivoirienne de raffinage, le Comité de gestion du café et du cacao et les Ports autonomes d’Abidjan et de San Pedro ont subi des restrictions aujourd’hui levées.
« Le Département d’État américain, avant de prendre des sanctions contre un État, interroge les entreprises installées sur place et leur donne 24 à 48 heures pour prendre leurs dispositions. L’absence de diplomatie européenne est un problème. En France, il n’y a pas eu d’aménagement économique, et en Côte d’Ivoire, une décision a été rétroactive de 24 heures. Où laisse-t-on les cargaisons? En Afrique, chacun sait que pour travailler il faut être proche du pouvoir et savoir partir le moment venu. Il s’agit plus d’un problème de géopolitique que de business », explique un observateur.
Les sociétés étrangères présentes dans ce pays, Boluda, Bolloré CMA CGM, MedCoa, ont accusé des chutes de leur chiffre d’affaires. Sans attendre les sanctions, l’armement MedCoa a décidé de lever l’ancre de lui-même. CMA CGM indique avoir « subi des retards » en raison des contrôles imposés. « Il y a nécessité pour les armateurs de vérifier la conformité des chargements et l’identité de leurs cocontractants afin de ne pas se retrouver en infraction des différentes législations, de perdre le bénéfice des couvertures d’assurance et d’être assujettis à des pénalités », indique le groupe maritime.
MSC dit « ne plus toucher la Libye, la Syrie et l’Iran et suivre les directives européennes ». « Si un global carrier enfreint les sanctions, le gouvernement américain peut geler les comptes bancaires, l’interdire de faire escale dans les ports américains et faire arrêter les directeurs des compagnies. Les Américains ne veulent pas la guerre mais ils mettent la pression au maximum », indique Me Roche.
Morale et politique sont ainsi impliquées dans le délicat dossier des clauses sanction. Un armateur qui commerce avec l’Iran ou en Syrie doit s’attendre aux risques qu’il encourt… En mai, l’affaire Ofer Brothers Group a fait grand bruit. La compagnie israélienne, frappée de sanctions américaines, s’est vue infliger une peine exemplaire par les États-Unis pour avoir vendu un pétrolier (pour 8,65 M$) à la compagnie singapourienne Tanker Pacific, une émanation du groupe iranien IRISL. PDVSA, PCCI, Royal Oyster Group aux Émirats, Tanker Pacific et le courtier maritime Associated Shipbroking de Monaco ont également été sanctionnés pour violation de l’embargo américain. Ces entreprises ont désormais interdiction d’obtenir des financements d’opération d’import-export auprès de banques américaines et interdiction d’obtenir des prêts de plus de 10 M$.
– Termes de la clause sanction: « Le présent contrat ne produit aucun effet dans tous les cas de sanction, restriction ou prohibition prévus par les conventions, lois ou règlements, notamment de l’Union européenne, s’imposant à l’assureur et comportant l’interdiction de fournir un service d’assurance. Le présent contrat ne s’applique ni aux marchandises, ni aux moyens de transport aérien, maritime, fluvial ou terrestre soumis à une quelconque sanction, restriction, embargo total ou partiel, prohibition, ni aux responsabilités en découlant. De la même façon, ce contrat ne s’applique ni à un commerce ou activité visé(e) par de telles mesures, ni au commerce clandestin et/ou aux moyens de transport utilisés à cette fin. »