Le 15 avril, l’équipage du porte-conteneurs CMA-CGM-Christophe-Colomb (RIF et classé BV) procède à un exercice obligatoire de mise à l’eau d’un canot de sauvetage totalement fermé. À la remontée, le dispositif d’accroche avant cède. Construit par Hyundai Lifeboats, le canot bascule en avant et son tableau arrière s’arrache immédiatement. Il chute d’environ 24 m en se retournant. Assis au poste de conduite, « ceinture attachée », le lieutenant (30 ans) meurt sur le coup. Éjecté, l’élève officier (24 ans) meurt peu après son arrivée à l’hôpital de Shenzhen. Immobilisé sur son siège par son gilet de sauvetage gonflé et sa ceinture, le matelot philippin (39 ans) est « très grièvement blessé ». « Immédiatement après l’accident, les procédures d’urgence ont été appliquées avec efficacité et sang-froid. »
Le facteur déterminant de l’accident réside dans l’absence d’une goupille « très vraisemblablement depuis le neuvage ». Celle-ci aurait dû être présente sur l’écrou de l’émerillon qui constituait le moufle avant, afin d’empêcher le dévissage de l’écrou. « Les contrôles effectués après l’accident sur les autres navires de la flotte montrent que […] la goupille de freinage de l’écrou […] n’est jamais absente. Cette goupille, rentrée en force […], ne peut être retirée qu’au moyen d’un chasse-goupille. Ceci tend à prouver que la goupille n’aurait pas été mise en place au cours des opérations d’assemblage du moufle, à la construction du navire […]. Une expertise métallurgique du conduit de passage de la goupille, en cours dans le cadre de l’enquête judiciaire, devrait permettre de confirmer cette hypothèse. »
Un contrôle incertain
Le BEA note que « la case “good” du point no 4 “sheave” (c’est-à-dire réa de la poulie) de la check list du bossoir tribord a été cochée » lors du contrôle approfondi effectué en septembre 2010 par une entreprise française. L’anomalie (absence de goupille et/ou desserrage partiel de l’écrou) « aurait vraisemblablement pu être détectée par un examen visuel rapproché de l’émerillon. Enfin, en cas d’impossibilité matérielle de procéder au dit examen, la case “good” ne doit pas être cochée ». Or justement, il y avait une quasi-impossibilité matérielle: du fait de l’absence « étonnante » de plate-forme sur l’avant du bossoir, l’accès, tant pour les opérations de graissage que pour les contrôles visuels rapprochés des éléments « vitaux », sont « difficiles et périlleux, à la différence des équipements de l’arrière qui sont faciles d’accès et donc aisément contrôlables ». « Ne répondant pas à la préconisation » de l’OMI, cette situation a été un facteur sous-jacent « susceptible d’affecter l’efficacité » des contrôles.
L’arrachement du tableau arrière du canot dès que l’avant n’a plus été soutenu « montre que cette situation, certes rare, mais que l’on ne peut manifestement pas exclure, n’a pas été prise en compte au moment de la conception […]. Dans ces conditions, avec sa structure trop légère pour supporter son propre poids et celui de ses occupants, même peu nombreux, sur un seul croc, l’embarcation (bien que construite en conformité avec la réglementation en vigueur) n’agit aucunement comme une cellule de protection, tant qu’elle ne flotte pas normalement ». Cette faiblesse a constitué un facteur aggravant qui a ôté une « chance de survie aux occupants ».
Des réactions correctives
CMA CGM a immédiatement interdit les opérations d’amenage et de hissage des canots de sauvetage avec du personnel à bord. Ces opérations se font désormais « à vide », le personnel quittant le canot à la descente et à la remontée. Une campagne de vérification de tous les bossoirs a également été lancée. Il est « prévu » la mise en place de plates-formes d’accès sur le devant des bossoirs sur l’ensemble des navires de la série.
Oriental Precision & Engineering, constructeur de ces équipements, a « revu » le mode d’assemblage moufle/émerillon. À terme, les moufles seront « forgés à chaud » afin d’être indémontables.
Le BEA recommande à « l’industrie maritime d’adopter une démarche identique à celle de l’automobile, en faisant siennes les mêmes exigences de qualité, d’analyse de risques et de protection des occupants d’un moyen de transport, a fortiori destiné au sauvetage. La défaillance d’un seul élément du système ne devrait pas être fatale ».
L’OMI est invitée à « proscrire définitivement » la présence de personnel à bord des canots de sauvetage pendant les opérations d’amenage et de hissage, « tant que les risques de défaillance de l’ensemble bossoir-embarcation ne seront pas tous identifiés et supprimés ».
Le sentiment que ces dispositifs ont fait plus de morts qu’ils n’ont sauvé de navigant risque de durer (JMM du 22/4, p. 7).
Des risques reconnus depuis 2002
Dès le début, le BEA rappelle que le comité de la sécurité maritime de l’OMI avait examiné en mai 2002 le nombre « inacceptable » d’accidents graves concernant les embarcations de sauvetage. « En attendant que le problème soit examiné plus avant, le comité a attiré l’attention » de tous sur « ces risques, si on ne prête pas suffisamment attention à la conception, à la construction, à l’entretien et à l’exploitation des embarcations de sauvetage, des bossoirs et du matériel connexe ». Les gouvernements étaient invités à s’assurer que l’équipement est « accessible facilement lors des inspections […] et qu’outre sa résistance lors des essais sur prototype, il est à toute épreuve dans des conditions de service rigoureuses ». En juin 2009, l’OMI revient sur le sujet et précise que l’exercice devra être exécuté dans son « intégralité » mais sans prendre de « risque inutile »; « l’amenage d’une embarcation avec un plein chargement en personnes est un exemple de phase d’exercice qui peut, selon la situation, comporter des risques inutiles. » Le BEA rappelle aussi qu’en octobre 2009, sur un jumeau du Christophe-Colomb, un canot chargé à 110 % s’est détaché lors d’un test au chantier. Les actions correctives n’ont pas rassuré l’équipage dont les officiers refusaient de prendre des risques « inutiles ». Cela a été jugé non-conforme au code ISM lors de l’audit d’avril 2010. En septembre, des essais de mise à l’eau ont donc de nouveau été effectués avec le canot bâbord en présence de la société spécialisée dans le contrôle de ces dispositifs.