La généralisation du slow steaming dépendra de la réaction des chargeurs

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C’est dans les bureaux de l’Union des ports de France et de l’Association pour le développement des ports français que le séminaire maritime de l’unité de recherche Systèmes productifs, logistique, organisation des transports et travail (Splott) a été organisé le 9 juin à Paris.

Apparu dès le premier choc pétrolier de 1973, principalement pour les vracs, le slow steaming a refait surface à l’automne 2008, lorsque les compagnies conteneurisées n’ont plus été en mesure de transférer sur la marchandise, qui se faisait de plus en plus rare, le coût croissant des soutes. 707 $/t de IFO 380 à Rotterdam le 18 juillet 2008 contre 481,5 $/t le 4 janvier, puis 171 $/t le 26 décembre. Pierre Cariou rappelle que la consommation en tonne-mille évolue comme le carré de la vitesse. En clair, une réduction de la vitesse de 10 % entraîne une baisse de 19 % de la consommation.

Ainsi, un porte-conteneurs de 11 400 EVP (théoriques) du type CMA-CGM-Andromeda, avec un tirant d’eau effectif de 13 m, consomme près de 260 t/j de fuel lourd à 26 nœuds, 200 t/j à 24 nœuds, 152 t/j à 22 nœuds et 115 t/j à 20 nœuds. À 500 $ la tonne, ces écarts de consommation représentent des sommes « significatives », surtout quand la marchandise manque pour s’acquitter de la surcharge combustible. Un ex-directeur de ligne transocéanique note que ces consommations sont théoriques: elles seraient réelles si le navire naviguait sans vent et sans vague de manière constante et régulière, ce qui est rarement le cas.

Réduire la vitesse pour faire des économies sur le poste « combustible » n’est pas aussi simple que cela: mécaniquement, cela conduit à augmenter le délai de transport. Les porte-conteneurs ne peuvent donc plus se présenter devant les terminaux selon le calendrier convenu entre l’opérateur et la compagnie. Pour conserver la même fréquence de départ (principalement hebdomadaire), il faut ajouter un ou deux navires supplémentaires. Il convient également de faire le pari que l’allongement du délai de transport sans ristourne officielle sur le prix de transport, du fait de la dégradation volontaire du service, n’entraînera pas de fuite de la marchandise au bénéfice des transporteurs qui conserveraient la même qualité de service.

En 2008, les quatre conditions nécessaires sont réunies pour « certains marchés » pour déclencher la mise en place du slow steaming: navires récents permettant un coût faible du réglage du moteur principal, prix du combustible élevé et temps à la mer suffisant long, surcapacité générale entraînant le non-emploi de nombreux navires, et « le ralentissement général de l’activité induisant que les chargeurs s’inquiétent peu de l’allongement du transit time ».

Selon les calculs du consultant britannique Drewry, cités par Pierre Cariou, entre l’Europe et l’Extrême-Orient (21 000 miles nautiques A+R), avec un fuel lourd à 441 $/t, un armateur qui exploite 8 navires de 8 000 EVP tournant à 24 nœuds économise à l’année 51 M$ lorsqu’il passe à un système de 10 navires filant 17,8 nœuds durant les 50,5 jours de navigation en mer libre. L’économie reste similaire pour un système utilisant des 10 000 EVP. Elle monte à 62 M$ lorsque sont mis en œuvre des 12 000 EVP. Ces calculs laissent une place au sophisme: plus une compagnie exploite de nombreux grands porte-conteneurs à une vitesse de plus en plus basse, plus elle économise, à demande de transport inchangée. Accessoirement, elle peut « communiquer » sur sa forte implication dans le développement durable puisque la production de CO2 est directement proportionnelle à la consommation de fuel.

Quelle vitesse optimale pour la marchandise?

Pour le chargeur, l’addition est toute différente si l’on en croit le modèle utilisé par le DNV et présenté en 2010. Celui-ci se place du point de vue du chargeur. Le coût au slot passe de 521 $/EVP à 434 $/EVP si le système de transport passe de 8 porte-conteneurs de 7 500 EVP à 25 nœuds à 10 unités, et 19 nœuds entre l’Europe et l’Extrême-Orient. La part du combustible représentant dans le premier cas 395 $ et 277 $ dans le second. Les autres éléments étant le coût en capital (respectivement 87 $ et 109 $) et le coût d’exploitation (39 $ et 48 $). Pour un 20’ dont la valeur marchandise est de 14 000 $, la baisse de la vitesse entraîne des surcoûts. À 25 nœuds, le coût d’inventaire est estimé à 330 $. Ce qui donne un coût de transport de près de 850 $/EVP. À 19 nœuds, le coût d’inventaire passe à 400 $ auxquels s’ajoutent 50 $ de coût de stockage de sécurité. Au total, le transport revient donc à 880 $ en chiffres ronds. Plus la valeur de la marchandise est élevée, plus les coûts d’inventaire et de stockage de sécurité seront élevés. De sorte que la vitesse optimale pour un 20’ d’une valeur de 14 000 $ est de 21,5 nœuds, estime le DNV, et de 25 nœuds pour un 20’ de 46 000 $. Bien évidemment, ces résultats dépendent du prix des soutes et d’une éventuelle future valorisation de la tonne de CO2 produite. La prise en compte des coûts de stockage dépend lui de l’organisation de l’exportateur et du terme de vente. Combien de services de transport chez les exportateurs français ont-ils la responsabilité d’optimiser le coût total du transport? En cas de paiement à l’embarquement, l’exportateur est au mieux indifférent au coût d’immobilisation de la marchandise qu’il a vendu. Il n’empêche pas moins que la compétitivité du produit est dégradée par un allongement du délai de transport. Allongement qui est différent selon le sens ainsi que l’a confirmé Nicolas Sartini, chef des lignes Asie/Europe chez CMA CGM (JMM du 27/5, p. 8). Vers l’Europe, la vitesse est de 19/20 nœuds contre 14 à 16 en sortie direction de l’Extrême-Orient. Cette pratique dégrade donc la compétitivité des produits européens sauf éventuelle compensation résultant d’un taux de fret bas.

Le ralentissement des navires s’est également accompagné d’une dégradation du respect des horaires, note le consultant britannique Drewry.

Les ports aussi peuvent souffrir

Le slow steaming peut également avoir des conséquences négatives sur certains ports, estime Pierre Cariou. Pour illustrer son propos, il prend l’exemple de la desserte Nord-Europe/Amérique du Sud Atlantique/retour. Celle-ci se caractérise par d’importants flux de marchandises sud-américaines transportées sous température contrôlée.

Vers l’Amérique du Sud, la plupart des ports de charge européens sont restés les mêmes. Par contre, au retour, afin d’optimiser des capacités de transport, certains armateurs ont ajouté un port de transbordement; Tanger Med, par exemple. La pratique qui consiste à transférer les « grands » navires remplacés par les très grands porte-conteneurs vers des zones pour lesquelles les « moyennes » unités étaient largement suffisantes, pousse également le transporteur a multiplier les ports d’escale dans sa quête effrénée de marchandises. Ce qui dégrade d’autant l’offre de transport d’origine.

Des chargeurs sans moyens?

« La réaction des chargeurs est la clé de la généralisation ou non du slow steaming, et non pas uniquement l’évolution du prix du fuel », estime Pierre Cariou. « Les armateurs, en décidant conjointement de réduire la vitesse des navires, prennent le pari que l’impact sur la demande sera faible, ce qui semble vérifié jusqu’à présent, ou que les gains vont plus que compenser la chute des trafics. Il ne fait dès lors aucun doute que certains ports ou pays vont y perdre et que cela ne peut, à terme, que renforcer la concentration des trafics sur un nombre limité de ports et notamment de ports de transbordement », craint l’auteur.

À en juger par le nombre de services qui, entre l’Europe et l’Extrême-Orient, sont passés à 10 navires et plus, la généralisation du slow steaming est devenue une réalité contre laquelle on ne voit pas bien ce que les chargeurs peuvent directement faire.

Aux États-Unis ils ont amené, semble-t-il, la Federal Maritime Commission à s’intéresser au dossier. À fin janvier 2011, la FMC a ouvert officiellement une enquête sur les conséquences de cette pratique sur le commerce maritime américain et a demandé à qui se sentait concerné de bien vouloir répondre à un questionnaire selon sa profession (JMM du 4/2, p. 6). Les réponses étant attendues pour le 5 avril au plus tard. Pierre Cariou attire l’attention sur une partie de la réponse rédigée par le Conseil national (américain) de la volaille. Ce dernier note que le slow steaming est surtout utilisé en sortie des États-Unis. D’où une dégradation du service sans réduction de prix pour l’exportateur qui, en plus, paie une surcharge combustible. Délai de transport allongé et dates d’arrivée peu respectées agacent les spécialistes des denrées périssables.

En Europe, mis à part les récentes « descentes » de la DG concurrence dans les bureaux européens de principaux transporteurs conteneurisés pour des motifs que la Commission a refusé de préciser, il ne s’est pas passé grand-chose. Quelques protestations çà et là, plus cosmétiques qu’autre chose. Seule l’action juridique menée par Argos, distributeur britannique d’électroménager, contre Mærsk Line pour, semble-t-il, rupture abusive de contrat, est à signaler. Cette action par laquelle Argos a réclamé 13,9 M$ de dommages et intérêts s’est discrètement éteinte en novembre 2010 par un accord à l’amiable (JMM du 21/1, p. 14). « Pour les chargeurs non-opportunistes européens, le nombre de ruptures brutales de contrats de services a été assez faible », a répondu Philippe Bonnevie, délégué général de l’AUTF. Il reste cependant toujours étonné de la simultanéité des décisions de mise en œuvre du slow steaming. Mais, face au même problème, de combien de possibilités d’adaptation diverses et variées disposent les compagnies qui exploitent toutes des navires très similaires?

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