Réforme portuaire: un accord à l’arraché

Article réservé aux abonnés

Le 10 juin a été à marquer d’une pierre blanche dans l’histoire du port de Bordeaux. Les trois partenaires, la CGT, le GPMB et la société privée de manutention Bordeaux Atlantique Terminal (BAT) ont apposé leur signature à la convention tripartite. Le jour même, les 47 salariés transférés, soit 22 grutiers, 15 dépanneurs et le reste de maîtrises, ont rejoint les rangs de BAT, société créée pour l’occasion et rassemblant trois actionnaires, Sea Invest (65 %), Balguerie (15 %) et le GPMB (20 %). Sésame pour que les partenaires tombent enfin d’accord: la veille, lors de discussions menées au niveau parisien, le port s’est engagé à prendre en charge auprès de BAT la réparation de grues défectueuses et à assurer le surcoût de l’éventuelle suppression du régime spécial bordelais de Sécurité sociale.

Intervenue avec deux mois de retard sur la date initialement prévue du 5 avril, cette signature, aux délais épisodiquement repoussés, n’a rien eu d’un long fleuve tranquille. De réguliers mouvements sociaux, nés dans le cadre de la réforme portuaire, tout d’abord impactent le trafic durant l’année 2010, suivis par les grutiers, les dockers, les cadres et le personnel administratif du port. La contestation contre la modification de la prise en compte de la pénibilité du travail portuaire se révèle à Bordeaux des plus vigoureuses. Durant janvier et février 2011, les mouvements nationaux sont suivis localement sans faille et unanimement. Une fois l’accord national signé à la mi-avril sur cette question de la pénibilité, une nouvelle étape reste à franchir.

Accrochages sur l’organisation du travail

Des négociations débutent entre la société de manutention BAT et ses futurs salariés. À l’ordre du jour: l’organisation des heures travaillées et les rémunérations. « Il a fallu se mettre d’accord sur des horaires adaptés et non fixes afin d’être réactif suivant les escales, Bordeaux est un port de tramping. Il a fallu aussi décider d’une refonte des rémunérations claire et non plus basée sur une accumulation de primes », indique Franck Humbert, président de BAT et directeur de Sea Invest Bordeaux. Les syndicalistes CGT, eux, affirment avoir veillé à « ce que BAT ne fasse pas du dumping social ou introduise de la précarité et de la polyvalence à outrance ». « Un accord a été passé en août 2009 sur lequel on n’a pas voulu revenir. L’organisation du travail au final est similaire à celle, performante, mise en place il y a quatre ans par l’ancien directeur du port, Philippe Deiss. La raison l’a emporté rapidement, le manutentionnaire connaissant bien le terrain. Et concernant les salaires, on a même obtenu une légère augmentation », indique Jean-Yves Sanguinet, ex-représentant CGT au port de Bordeaux qui a suivi toutes les négociations. En cas de surplus de travail, il est prévu également que BAT puisse faire appel aux trente manutentionnaires toujours employés par le GPMB. Ces pourparlers, n’ayant entraîné aucune grève mais non dénués de pressions (BAT menaçant d’embaucher d’autres manutentionnaires, syndicalistes débarquant au siège de Sea Invest) aboutissent fin mai.

Dernier round entre BAT et le GPMB

Coup de théâtre, c’est désormais entre le port de Bordeaux et BAT que le bât blesse. L’état de l’outillage transféré en avril à BAT, soit dix grues et deux portiques vendus pour un montant de 8 M€, est au cœur de l’enjeu. « On m’a demandé d’acheter ce matériel sans pouvoir l’expertiser. Une fois cet outillage réceptionné, au dernier moment, on s’est rendu compte que ce parc global était à 30 % hors service. Deux avaries notamment se sont produites sur les portiques 201 et 202 du terminal du Verdon. Je me suis retrouvé avec un site, le Verdon, inopérationnel. C’est un problème qu’il a fallu régler. J’ai des comptes à rendre à mes armateurs. Le port assure cette maintenance depuis des années, il aurait pu nous le dire », s’emporte Frank Humbert. De son côté, la direction du port assure pourtant que ces éléments ont été communiqués bien avant à BAT (lire entretien avec Jean-Paul Sandraz, p. 14). L’établissement public a entrepris d’ores et déjà la réparation du portique 201.

Un autre point est venu envenimer les négociations: la question d’un régime de Sécurité sociale spécifique aux salariés portuaires bordelais. Mis en place en 1923 à Bordeaux, avant la création de la Sécurité sociale, ce régime offre aujourd’hui à environ 3 000 salariés portuaires des indemnités non négligeables. Les syndicats, craignant la suppression de ce régime, ont depuis des mois demandé des garanties de prolongation. « Un premier courrier du ministère est allé dans ce sens, mais on a attendu une réelle confirmation du ministère des Affaires sociales. Pendant quatorze mois, le port nous a répondu qu’il n’y avait pas de souci et a menti délibérément aux représentants du personnel. Au moment de la signature de la convention, cette question n’était pas réglée. C’était le seul point que le port a eu à traiter et il s’en est montré incapable », témoignent les syndicalistes Cyril Mauran, actuel secrétaire général CGT au port, et Jean-Yves Sanguinet. Le syndicat refuse de signer la convention.

Le port met la pression

Une lettre du ministère qui assure la prolongation du régime jusqu’à fin 2012 ne calme alors en rien les esprits. BAT, craignant d’une part de nouveaux conflits sociaux fin 2012 et refusant de prendre à sa charge le surcoût de 150 000 € par an pour assurer le maintien de ce régime spécial, interpelle le port sur cette question. Ce dernier, face à « ces demandes de dernières minutes pour obtenir des avantages et des compensations », rompt le dialogue. Le 1er juin, il refuse de prolonger une nouvelle fois le délai des négociations. Durant une semaine, le trafic du port de Bordeaux tourne au ralenti. Le port se retrouve dans une situation paradoxale: l’outillage aux mains de BAT et les salariés toujours employés par le GPMB. Seuls les navires pétroliers, de l’Airbus et les céréaliers, non dépendant de la manutention, sillonnent le port.

Choquée par une telle attitude, la communauté portuaire se mobilise. Réunis en conférence de presse, le 6 juin, les membres de l’Union maritime et portuaire de Bordeaux lancent un cri d’alarme et demandent la nomination d’un médiateur. Face à la pression, de nouvelles discussions sont organisées au ministère à Paris. In fine, le port s’engage à prendre en charge le surcoût pour les 47 transférés en cas de suppression du régime de Sécurité sociale, la réparation du portique du Verdon (plus de 300 000 €) et à participer au frais de transport d’une grue mobile de Bassens au Verdon.

Une chose est sûre, les trois partenaires dénoncent un manque de dialogue franc. « Le problème du discours du port a été “on va vite et on règle les problèmes après”. Non, moi, je les règle avant », confie Franck Humbert. Les syndicalistes, eux, attribuent sans ménagement la vigueur du mouvement syndical bordelais au « climat caractérisé par une incompétence de la gouvernance du port jamais égalée, incapable de négocier et de faire fonctionner l’établissement. Le personnel a perdu confiance ».

Une page se tourne

Tous les partenaires, désireux désormais de tourner la page, espèrent que l’unicité de commandement aux mains de BAT permettra de retrouver des trafics. « Même si nous n’étions pas demandeur de la réforme, cette situation antérieure ne pouvait pas continuer. L’exploitation dans les ports était déficitaire de façon chronique. Pour nous, c’est un défi, un risque financier, mais on n’a pas peur d’en prendre », indique le directeur de Sea Invest Bordeaux. « Notre avantage est de rajouter un maillon manquant de la chaîne. Désormais, on ne sera plus tributaire de toutes les procédures administratives qui ont pris du temps pour équiper le port en outillage. Étant en lien directement avec les clients, cela va nous permettre d’investir plus rapidement dans du matériel plus adapté. Par exemple, pour de l’export de ferrailles, j’ai dû faire venir dernièrement des grappins de 10 m3 de Dunkerque, le port n’en possédant que de 6 m3. Maintenant, j’envisage d’acquérir deux grappins de 17 m3. C’est différent comme approche, on peut construire réellement quelque chose avec le client. »

Les usagers du port, eux, sont plus réservés, espérant un gain de fiabilité et de performance de la manutention, ils attendent cependant de « voir à l’usage » tout en sachant que « le montage financier de BAT est très fragile et supporterait mal des conflits ». Les syndicalistes CGT sont encore plus prudents. « Ce transfert va juste permettre de grappiller quelques trafics de-ci de-là. Ça jouera à la marge. Nous donnons rendez-vous à tous les acteurs pour en faire le bilan d’ici six ans, on verra quel a été l’impact sur le développement du trafic portuaire. Pour nous, on sait qu’il sera nul. Le véritable problème ne se situe pas là mais dans une désindustrialisation de tout l’arrière-pays qui fait qu’on n’a aucun projet de développement sérieux. Les seuls projets de développement sont au Havre et à Marseille, mais la réforme n’a pas été faite que pour eux. »

Sea Invest Bordeaux

Issue du rachat de plusieurs entreprises de manutention bordelaises, Sea Invest, qui préside BAT, s’est implantée en 2000 sur les quais girondins. Cette société couvre désormais 85 % de la marchandise manutentionnée sur le port de Bordeaux: des vracs (engrais, charbon, agroalimentaire, bois, laitier, Diester…) et des conteneurs. Assurant au-delà de la manutention via ses dockers, le stockage, le conditionnement, le mélange des produits ainsi que leur livraison, Sea Invest a mené depuis 2002 une politique offensive d’investissements. Près de 60 M€ ont été déboursés pour agrandir son domaine sur Bassens, rénover et construire de nouveaux hangars, réorganiser des postes, s’équiper en bande transporteuse, cuves, unités d’ensachage… Ralentis ces deux dernières années en raison des mouvements sociaux, des investissements sont de nouveau programmés cette année, avec l’extension d’un magasin de 12 000 m2 pour de la logistique, la réorganisation du terminal conteneur, la création d’un terminal cimentier en amont de Bassens (3,4 M€) et le doublement des capacités de stockage de Sea Tank (12 M€).

Dossier

Archives

Boutique
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client abonnements@info6tm.com - 01.40.05.23.15