« Le port est désormais mieux armé pour reprendre du trafic »

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Journal de la Marine Marchande (JMM): Les négociations concernant la réforme portuaire à Bordeaux ont été particulièrement longues et conflictuelles. Quelles ont été les difficultés majeures rencontrées?

Jean-Paul Sandraz (J.-P.S.): Il y a eu un problème de durcissement syndical à un moment donné. C’est une spécificité bordelaise qu’on a eu du mal à comprendre. Le même syndicat, au niveau national, avait entériné les conditions générales de la réforme. Il n’y avait pas de raison spéciale à ce durcissement bordelais, si ce n’est une question de régime de sécurité sociale spécifique, mais qui n’était d’ailleurs pas forcément mis en avant à ce moment-là. Les choses ont ensuite évolué plus favorablement, la raison a prévalu. Les dernières difficultés sont apparues face à des demandes un peu successives de la part de la société Bordeaux Atlantique terminal (BAT) afin d’avoir un certain nombre d’avantages et de compensations sur des sujets qu’on pensait réglés comme la question du régime de sécurité sociale des salariés, celle de l’outillage… Tous les documents sur ces points avaient pourtant été fournis bien avant. Ces dernières discussions début juin étaient donc bien entre le port et BAT. Globalement, on aurait pu gagner du temps. Ces négociations ont manqué d’échanges et de discussions franches.

JMM: Le 1er juin, le port de Bordeaux a décidé justement de ne pas prolonger le délai des négociations. Pourquoi une telle décision?

J.-P.S.: Le port, en accord avec son ministère de tutelle, a décidé qu’aller de prolongement en prolongement finissait par ne plus avoir de sens et qu’il fallait mettre chaque partenaire en face de ses responsabilités. BAT nous a dit également que si le syndicat ne voulait pas signer, il était en mesure de trouver du nouveau personnel. Or, lorsque les syndicalistes ont accepté de signer, BAT a émis de nouvelles revendications. Il y avait des limites à ne pas dépasser. Le port est responsable de la bonne gestion de ses finances et n’est pas une manne financière qui peut distribuer sans regarder.

JMM: Qu’est-ce qui a permis de débloquer la situation?

J.-P.S.: Pour faciliter l’aboutissement de la négociation, le port a accepté de prendre en charge des choses qui ne lui étaient pas forcément imputables légalement. Le port a fait preuve de bonne volonté dans ce domaine. Sur la question des outillages, il y avait une discussion réelle à mener depuis l’incident sur l’un des portiques. Une solution satisfaisante a été trouvée qui est la prise en charge par le port d’ultimes remises en état. En contrepartie, c’est bien la totalité des outillages prévus qui fait l’objet du transfert à la société BAT. Concernant le régime de Sécurité sociale, le ministère s’est engagé à le prolonger jusqu’à fin 2012. Ensuite, deux pistes sont possibles, ce régime est de nouveau prolongé ou, dans le cas qu’on imagine mal où il serait supprimé, le port s’engage à compenser certains coûts supplémentaires pour BAT mais uniquement pour les 47 salariés transférés et non l’ensemble des salariés ou ayants droit dépendant de ce régime.

JMM: Plus globalement, qu’est-ce que la réforme va changer au niveau du port de Bordeaux? Ses missions vont-elles être différentes? Que lui reste-t-il à vendre?

J.-P.S.: C’est un recentrage sur les missions régaliennes d’un port, à savoir: la gestion de la sécurité et de la sûreté portuaire, la gestion et l’aménagement foncier, l’organisation des trafics, l’entretien de toutes les installations portuaires puisque nous avons toujours un atelier de maintenance, le dragage – qui à Bordeaux est un point important –, bref, tout ce qui relève des missions d’un établissement public. Le port reste aussi très impliqué dans l’action commerciale. On continue à travailler avec différents acteurs à l’implantation industrialo-portuaire générant du trafic et de l’activité pour les services portuaires… Ça reste une activité un peu immatérielle mais essentielle. Par ailleurs, on a déjà bien travaillé durant ces deux ans avec les collectivités locales en réactualisant tous les contrats dans une bonne volonté de coopération. Il y avait besoin de resserrer ces liens et que le port soit considéré comme un partenaire avec qui on discute bien en amont sur des projets et notamment sur des questions d’urbanisme.

JMM: La réforme va-t-elle permettre au port de Bordeaux d’enregistrer de nouveaux trafics?

J.-P.S.: Le fait qu’il y ait eu des soubresauts a créé des préjudices financiers pour certains utilisateurs, mais désormais, la réforme est faite. Ces ennuis seront rapidement oubliés et ne constitueront pas un handicap pour la suite. Avec cette réforme, le port est désormais mieux armé pour essayer de reprendre du trafic par rapport aux ports étrangers. Cette réforme va permettre à une société privée d’avoir une unité de décision et de commandement pour tout ce qui est la manutention, de pouvoir s’organiser au mieux des intérêts des utilisateurs, générer des gains de productivité et un développement des différentes sociétés présentes sur le port. Cette gestion d’un bout de la chaîne à l’autre est certainement un atout.

JMM: Comment expliquez-vous que le tonnage du port de Bordeaux stagne depuis plusieurs années entre 8,5 Mt et 9 Mt?

J.-P.S.: Depuis une quinzaine d’années, le trafic global en effet semble stagner. Mais, en y regardant de plus près, on peut voir qu’il y a eu des pertes de trafic de plusieurs millions de tonnes liées à des pertes d’activités industrielles, fermetures d’usines ou reconversions agricoles dans l’hinterland. Pour maintenir cette apparente stagnation, c’est au contraire une action commerciale très vigoureuse qui a permis de retrouver ces millions de tonnes et de compenser. En 2010, malgré les fortes perturbations liées aux mouvements sociaux, le port a réussi à maintenir un trafic similaire à 2009. C’est un point in fine positif. Mais, on ne peut pas éternellement dire que c’est l’histoire du terminal méthanier qui empêche les industriels de venir ou faire des trafics, c’est davantage les perturbations qu’on a connues ces dernières années.

JMM: Justement depuis l’abandon du projet du terminal méthanier, les relations avec les membres de l’UMPB se sont refroidies…

J.-P.S.: Une fois passée la juste colère qui nous a été manifestée au niveau du terminal méthanier, la communauté économique de la région devrait retrouver sa place dans les instances du port. Le Medef, en accord avec l’UMPB, a déjà proposé un nouveau membre au conseil de surveillance et le représentant de la CCI devrait rapidement être désigné. Je tiens à préciser tout de même que dans l’abandon du projet de terminal méthanier, il n’y a pas de raison pour estimer que le port et l’UMPB n’aient pas été du même côté. Le secrétaire d’État au Transport, Dominique Bussereau, en usant des droits qui sont les siens, a forcé la main du directoire pour prendre une décision qui n’était pas celle du conseil de surveillance, ni celle à l’origine du directoire.

JMM: Ces tensions avec la communauté portuaire se sont cependant accrues durant les derniers conflits liés à la réforme?

J.-P.S.: Ses membres ont eu à souffrir, c’est vrai, des difficultés successives et se sont retrouvés tantôt assis du côté des représentants du port ou tantôt se plaignant de l’attitude de ce dernier. Mais, je ne comprendrais pas que cela perdure au-delà, sinon, ce serait préjudiciable pour tout le monde. Pour nous, c’est un partenaire incontournable.

JMM: Comment s’annonce le trafic de cette année 2011?

J.-P.S.: Il est pour l’instant en légère régression. En raison des conflits, des navires ont été déroutés, des escales annulées. Mais, je ne pense pas qu’on ait perdu définitivement des trafics. Il faut cependant faire attention et rester prudent car les utilisateurs ou futurs investisseurs sont devenus plus sensibles à cette fragilité. On espère cependant cette année se rapprocher ou dépasser 2010. On va tout faire pour. L’accomplissement de la réforme va donner une meilleure visibilité, rassurer et permettre de trouver de nouveaux trafics rapidement.

JMM: Quels sont, selon vous, les atouts et les faiblesses du port de Bordeaux?

J.-P.S.: Il a sa raison d’être comme terminal et possède un hinterland à approvisionner, même s’il n’est pas très industriel. Le trafic pétrolier est fondamental pour tout le grand Sud-Ouest, Bordeaux est incontournable pour alimenter cette région. En revanche, il reste un port d’estuaire, ce qui pose des inconvénients en termes de temps et de conditions d’accès aux terminaux. Sur la question du dragage et la profondeur du chenal, on est à la limite sous laquelle on ne doit pas descendre. On y est très attentif. Après la panne de la drague ces derniers mois, il faut mettre les bouchées doubles pour retrouver la profondeur du chenal. On attend l’arrivée d’une nouvelle drague d’ici deux ans.

JMM: Afin de développer le terminal du Verdon, une étude a été menée. Quelles sont les conclusions sur ses potentialités de développement?

J.-P.S.: Le comité stratégique du Verdon, mis en place par le préfet, s’occupe de la zone du Verdon au sens large. Il a le mérite de rassembler des élus, l’État, le port… C’est important pour impulser du mouvement au Verdon. Il y a actuellement un projet dans le domaine de l’éolien. Les élus et le port ont été approchés par des entreprises intéressées pour de l’assemblage d’éoliennes off-shore. Le terminal du Verdon est bien placé pour permettre des essais, l’arrivée et le départ de pièces détachées et de grandes dimensions. C’est en partie liée à l’appel d’offres pour développer des parcs off shore le long de l’Atlantique. On a signé d’ores et déjà avec la société Bard une convention dans laquelle les partenaires, dont l’État, s’engagent à faciliter l’instruction administrative. Parallèlement, un appel d’offres a été lancé. On peut envisager un pôle avec diverses sociétés.

JMM: Quel serait l’impact de ces projets en termes de trafic?

J.-P.S.: Ce serait important au point de vue du signal, montrer que le Verdon a un avenir, peut accueillir des entreprises, générer des emplois et du trafic. C’est vrai, en revanche, qu’en termes de tonnages, ce ne serait pas extraordinaire. Le trafic du port est fait cependant de plusieurs trafics très divers, celui-ci n’est pas à négliger et pourrait avoir un effet d’entraînement. Le port fera tout pour que ces projets aboutissent. Cela donnerait, avec le trafic qui va débuter au terminal de Grattequina de pales d’éoliennes, un cluster éolien à l’ensemble du territoire. Cet aspect en matière d’assemblage et de fabrication et de transport d’éléments d’éoliennes qu’aurait la région bordelaise est intéressant.

JMM: Quelles sont les autres pistes de développement du port?

J.-P.S.: Il y a une demande pour de l’import de granulats en raison des grands chantiers que va connaître la métropole. Un septième terminal va être aménagé à Grattequina pour les pales d’éoliennes, mais aussi développer ce trafic de granulats. Sur la presqu’île d’Ambarès, il y a une réflexion plus générale qui est menée pour envisager des implantations futures, sachant que sur le terminal de Bassens, il ne reste plus beaucoup de terrains. Il nous faut trouver avec les élus comment développer les activités portuaires dans le respect de l’organisation de leurs communes. Un développement du port de Bordeaux passe par cette extension au-delà de Bassens. Nous travaillons également à un projet d’implantation d’un site de démantèlement des navires sur Bordeaux. Un rapport sera remis au ministère après l’été.

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