C’est avec un évident soulagement que les professionnels ont vu la gestion des principaux terminaux basculer sous commandement unique. Immédiatement, à l’exemple de Patrick Daher, président du conseil de surveillance du GPMM, la décision de tourner la page a été observée. Et avec elle, les trois années de durs conflits qui ont bloqué régulièrement le terminal de Mourepiane et ceux de Fos Pétrole; et une crise financière mondiale venue percuter l’économie maritime.
Cette réforme « historique » a-t-elle eu une opposition qui mérite une même épithète? L’impatience du patronat local qui a organisé la campagne « Touche pas à mon port » a relevé du refoulé d’une autre époque. Celle où le problème de l’avenir du port ne se posait pas et où la CGT était toute puissante. Le noyau cégétiste des bassins Est a plutôt joué « La garde meurt mais ne se rend pas », tandis que les terminaux pétrole n’avaient pas le modèle docker en ligne de mire. De plus, l’inquiétude sur l’avenir rodait sur les deux sites en délicatesse économique.
Les terminaux conteneurs et minéralier des bassins Ouest n’étaient pas dans la même situation. Pas encombrés par les pesanteurs historiques marseillaises, les portiqueurs ont tout de suite vu leurs intérêts dans la réforme. Rassurés par les perspectives de Fos 2XL, ils ont estimé qu’ils n’avaient rien à perdre à troquer le statut d’employé d’établissement portuaire contre celui, avantageux, de docker.
Finalement, 410 agents sur 1 500 ont été transférés vers le privé. Trois jours après le versement des 160 portiqueurs dans Eurofos et Seayard, le terminal Fos-Graveleau a vu ses huit portiques opérationnels (un record), l’organisation du travail bouclée et les postes à quai doublés. « Le changement s’est déroulé de manière transparente pour les clients », se félicite l’UMF. Sur les terminaux minéralier et céréalier, « l’intégration des personnels s’est faite dans une bonne ambiance et dans un esprit constructif », souligne Xavier Hauterat, DG de Carfos. Et c’est sans trop de grincements de dents que les 210 agents des terminaux pétroliers de Fos et Lavera ont rejoint Fluxel (filiale de GPMM à 66 %) et qu’une quarantaine sont montés sur les 4 portiques et la grue d’Intramar STS (66 % Intramar, 33 % GPMM) sur le terminal conteneurs de Marseille, désormais dénommé Med Europe. Trois ans d’histoire de la réforme se seront achevés par une révolution tranquille.
Le rêve marseillais
La réforme fait rêver Marseille-Fos. Les professionnels n’arrêtent pas de raconter publiquement leurs songes. C’est d’abord Jaap van den Hoogen, président des agents maritimes et consignataires, qui souhaite voir « des navires opérés avec systématiquement quatre portiques et Fos traiter 180 conteneurs à l’heure ». C’est ensuite Alain Pélegrin, pour les transitaires, qui songe à un port « où la douane travaille 24 heures sur 24 et une place portuaire adaptée à la massification des flux ». Tout à l’euphorie de voir la réforme appliquée en totalité et à la lettre (à l’exception de Mourepiane où la maintenance a refusé d’effectuer le grand saut), la place portuaire ne veut douter de rien. « Notre destin nous appartient. Désormais, si quelque chose ne va pas, nous ne pourrons plus accuser l’établissement portuaire. » Étrange formule qui revient en leitmotiv dans la bouche des professionnels, où se mêle affirmation de soi et poids ressenti de la responsabilité. « Changer d’ère », c’est aussi aller vers l’inconnu. « Il faudra d’abord passer le cap de l’été. Période où le manque de personnel plombe traditionnellement les opérations de manutention sur les terminaux conteneurs », tempère ainsi un transitaire de la place. Autre temps, autres mœurs. Pour passer l’écueil, le Gemfos vient d’embaucher une première vague de 60 dockers. Alain Pélegrin, l’ex-président du Syndicat des transitaires qui a décidément le sens de la formule, dit volontiers: « Le possible, c’est un petit pas après l’impossible. »