Près de 500 personnes (hors les 150 intervenants et autres invités) se sont inscrites à la 3e édition du colloque brestois Safer Seas. Du 10 au 13 mai, le programme est excessivement chargé et rigide. Entre les sessions qui se sont tenues en parallèle ou en même temps que les ateliers, difficile de tout suivre. Fort heureusement, certains thèmes ont déjà été abordés comme le navire ou le port du futur. Devenu incontournables à force de s’en prendre aux navires desservant les États développés, les actes maritimes illicites au large de la Somalie ont une nouvelle fois été abordés.
Attention j’ai les noms!
Sans surprise, l’extension continue des actes illicites au large de la Somalie a été soulignée ainsi que l’excellent travail fourni par les Marines nationales des États qui en ont les moyens. Christian Ménard, député UMP du Finistère et secrétaire de la Commission parlementaire de la Défense et des forces armées, a abondamment relevé le nombre et l’importance des questions juridiques que soulève la lutte antipiraterie.
Chef adjoint de l’unité sûreté maritime au sein de la DG de la Mobilité et des Transports de la Commission européenne, Christian Dupont a rappelé que sa direction contrôlait la bonne application du code ISPS par les États membres. Un « certain » nombre d’États d’immatriculation ne transmettent pas toutes les données LRIT en leur possession à l’Agence européenne de sécurité maritime qui doit, à son tour, les communiquer au commandant des forces maritimes de l’UE (EU Navfor). Ainsi l’EU Navfor n’a-t-elle pas connaissance de tous les navires de commerce européens qui transitent dans la zone à risque. À la prochaine réunion, les États membres seront nommément mis devant leurs responsabilités. Si rien ne change, la prochaine étape sera la diffusion de l’identité de l’État distrait. Cela rappelle la mise en garde exprimée en mars par un représentant du centre naval de l’Otan selon laquelle on acheminait vers la « médiatisation » des armateurs dont les navires ne respectent pas le code de bonnes pratiques visant à minimiser le risque d’attaque (JMM du 1/4/2011, p. 17).
Les assureurs américains et britanniques spécialisés dans la couverture « kidnapping et rançons » ont ouvert des bureaux en France, a signalé, depuis la salle, une représentante d’un cabinet d’assurances maritimes. Se présentant comme le no 1 mondial de ce segment, Hiscox a même un site internet en français via lequel il est possible de demander un devis.
Les routes du Nord: un fantasme
Si tous les modèles climatiques sous-estiment le déclin de la banquise « pérenne » (celle qui existe toute l’année, n.d.l.r.), il n’en reste pas moins vrai qu’en hiver, les routes maritimes du Nord, entre l’Atlantique et le Pacifique, seront prises par les glaces, a souligné Jérôme Weiss, représentant le CNRS. Dans le pire des cas raisonnablement prévisibles, les routes seront libres de glace durant peut-être sept mois au lieu de deux actuellement. Pour rendre la navigation encore plus incertaine, la fonte de la banquise est caractérisée par une « très forte variabilité » d’une année sur l’autre, a ajouté Frédéric Lasserrre de l’Université de Laval (Québec). En d’autres termes, le commencement de la fonte des glaces est imprévisible. Cela ne convient donc pas à une exploitation de ligne régulière devant transiter par le pôle Nord. Par contre, pour transporter par voie maritime depuis le pôle Nord les matières premières qui s’y trouvent, le réchauffement climatique est une bonne chose. Encore faudra-t-il que les officiers de passerelles soient très habitués aux conditions climatiques locales, ainsi que l’a souligné le représentant du centre de recherche norvégien Marintek.
Cela n’a pas empêché le Canada et la Russie d’établir des règles ou des obligations concernant la navigation maritime qui « ne paraissent pas conformes » à la convention internationale sur le droit de la mer, a estimé Serge Ségura, du ministère (français) des Affaires étrangères.
De l’autre côté, au large du continent antarctique protégé par la convention dite de Washington (1959) qui n’autorise que les activités « pacifiques », l’augmentation du nombre de paquebots préoccupe le contre-amiral chilien Ivan Valenzuela-Bosne. Le Chili et l’Argentine ont donc dû s’organiser pour pouvoir porter assistance aux paquebots de plus en plus grands.
Le continent Antarctique n’appartenant à personne, personne n’est en droit de demander des dédommagements en cas de pollution accidentelle ou non, aux hydrocarbures, notait l’officier chilien en faisant référence au naufrage de l’Explorer, petit paquebot renforcé glace, en novembre 2007. Cet accident, qui n’a fait aucune victime, a relancé l’idée de la constitution d’un code polaire obligatoire pour les deux pôles. L’OMI espère avoir terminé le projet en 2012.
Entendu ça et là
L’assistance aux grands paquebots en grave difficulté inquiète les autorités françaises car elle nécessitera des moyens techniques dont aucun État ne dispose. C’est la raison pour laquelle un exercice international sera organisé en septembre au large de la France, a expliqué le secrétaire général de la Mer, Jean-François Tallec. Espérons que, pour une fois, le retour d’expérience sera rendu public, créant ainsi un début de bonne pratique de la fonction garde-côtes à la française.
Pour Christian Quillivic, le patron des Abeilles International, en cas d’avaries graves non loin des côtes, le seul moyen réel de sauver les passagers et l’équipage sera d’échouer le paquebot sur une plage ou des rochers, peu importe. Personne ne croit au mythe de l’évacuation en moins de 30 mn de 5 000 personnes. Personne n’y croit, mais tout le monde fait comme si: l’État du pavillon, les sociétés de classification, les assureurs, les exploitants, l’OMI, etc. « Heureusement », les principaux exploitants sont nord-américains. Au premier « pépin » lourd, l’administration américaine sortirait rapidement son projet de durcissement des normes.
Autre sujet de préoccupation de Christian Quillivic, entre autres, le remorquage des navires à grand fardage (grands porte-conteneurs et paquebots): soit ils sont équipés de goussets dont les efforts sont repris sur la structure et il sera éventuellement possible de les tenir face au vent, soit il faudra « bricoler » en entourant de chaînes les guindeaux pour créer une prise solide pour la remorque. Par mauvais temps, avec un navire sans propulsion, l’opération sera tout sauf facile. Seuls les navires citernes de 20 000 tpl ou plus ont l’obligation légale de disposer de goussets à l’avant et à l’arrière. Au sujet de la puissance nécessaire au croc pour tenir un tel navire, dans les différentes positions possibles, les avis divergent sensiblement.
Formidable sujet de recherche à vocation commerciale forte, la détection de mobiles sur la surface océanique occupe les esprits des chercheurs du monde entier, y compris celui de l’équipe du professeur Tian Haotang de l’université maritime de Shanghai. Ce dernier a expliqué, en conclusion de sa présentation des Maritime Information Intelligence Transportation Systems, qu’ils ont vocation à remplacer l’être humain…
– Si la « piraterie » somalienne est « mafieuse, fondée sur le gain », pour reprendre les qualificatifs de Jack Lang, quelle pourrait être son appréciation de ceux qui ont jeté non loin des côtes somaliennes des déchets de produits chimiques et nucléaires? Selon le rapport du programme des Nations Unies pour l’environnement, le tsunami qui a ravagé environ 650 km de côtes, le 26 décembre 2004, a permis de constater la présence sur au moins deux plages de déchets dangereux, certains nucléaires. « Il est important de souligner que depuis 1998, l’océan Indien a connu de fréquents cyclones qui ont frappé les côtes somaliennes. Les conséquences des catastrophes naturelles sont de courte durée. Mais la contamination de l’environnement par des déchets radioactifs est à l’origine d’effets à long terme sur la santé humaine, l’agriculture et la pêche. Aussi, l’actuelle situation des côtes somaliennes pose un très sérieux problème environnemental qui concerne toute la sous-région. »
Pour faire bonne mesure, le rapport souligne également que « des bateaux fortement armés ont souvent profité de l’état de non-droit somalien pour venir pêcher dans les riches eaux somaliennes ».
Il y aurait donc une justice: ils empêchaient une partie de la population somalienne de manger des poissons contaminés…
Jack Lang: " Agir vite si l’on veut venir à bout " de la piraterie
Inventé de « marque » de Safer Seas, l’ancien conseiller spécial de l’ONU pour les questions juridiques liées à la piraterie au large de la Somalie, Jack Lang, n’a pas fait dans la nuance, le 13 mai, à Brest lors de son point presse: qualifiée de « mafieuse », uniquement préoccupée par le « lucre » et « fondée sur le gain », la « piraterie » d’origine somalienne devrait pousser la communauté internationale à « agir vite, si l’on veut en venir à bout ». À ce jour, cette forme de piraterie « n’a pas de lien sauf à la marge avec le terrorisme ». Et la solution passe par la « somalisation » des réponses. Et parmi les toutes premières réponses à apporter, le Conseil de sécurité a décidé le 18 avril d’examiner « en urgence » la création de tribunaux spécialisés en Somalie pour juger les « pirates » présumés à la fois en Somalie et dans la région. Concrètement, selon le rapport du professeur de droit international qu’a été Jack Lang, il y a plus de trente ans, il est question de créer une juridiction au Puntland (de droit plutôt latin, car colonisé par l’Italie fasciste) et une autre au Somaliland (de droit plus anglo-saxon car colonisé par la Grande-Bretagne). En parallèle, il faudrait construire un droit somalien, de préférence latin car la common law est très exigeante en matière de preuve. Pour faire bonne mesure, il faudra construire une prison dans chacune des deux régions. Et en attendant, la Tanzanie devra accepter d’accueillir sur son territoire une cour somalienne extraterritoriale à installer à Arusha où siège déjà le tribunal pénal international pour le Rwanda. Au total, y compris la formation des magistrats, des avocats et des gardiens de prison, il est question d’une enveloppe de 25 M$. La question sur l’efficacité à court terme de ces réponses n’a pas été posée. Selon une dépêche Reuters du 10 mars, un jeune somalien de 27 ans est devenu millionnaire en dollars en deux ans (JMM du 1/4/2011, p. 17). Devenu « capital risker » en actes maritimes illicites, il est maintenant rémunéré à hauteur de 35 % des rançons qualifiées de « déraisonnables » par le directeur général du Garex (Groupement d’assurance de risque exceptionnel, JMM du 6/5/2011, p. 9). La perspective bien lointaine de finir en prison aurait-elle un effet dissuasif? D’autant que selon le Bulletin quotidien de l’ONU du 10 mars, le secrétaire général de l’ONU a « de nouveau tiré la sonnette d’alarme sur la situation humanitaire et sécuritaire en Somalie, appelant d’urgence la communauté internationale à assister les institutions de transition à lutter contre les groupes armés, la piraterie et les ravages sans précédent de la sécheresse qui sévit dans l’ensemble du pays ». « La situation humanitaire est terrible. La violence continue à faire rage ». Les 800 marins pris en otage par les « pirates » somaliens ne devraient pas se faire trop d’illusions sur la fermeté et l’efficacité de « volonté politique » de la Communauté internationale que Jack Lang appelle de ses vœux. La présence à bord des navires marchands de gardes armés militaires ou civils « n’est pas déraisonnable », a estimé l’ancien ministre de la culture.