« La réforme est en place après plus de 150 réunions locales en deux ans et demi »

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Journal de la Marine Marchande (JMM): Après le record de trafic en 2010, les premiers mois de 2011 continuent d’indiquer une progression?

Philippe Deiss (Ph.D.): Nous sommes toujours en progression et, globalement, les trafics à fin avril sont satisfaisants. À fin avril, nos trafics augmentent de 8,8 % à 9,1 Mt. Une performance puisque l’année 2010 a été une année record pour le Grand port maritime de Rouen. Cette progression se décline sur les trois types de courants. Les vracs liquides augmentent de 9,2 % à 4,4 Mt avec un bon score sur les exportations de produits raffinés. Nous n’avons pas été touchés par les changements logistiques sur ces flux. Bien au contraire, Exxon et Petroplus ont stabilisé le marché. Sur les autres vracs liquides, qui sont principalement des engrais liquides, la progression est encore plus forte, de 18,8 % à 884 448 t.

Les vracs solides, dont 75 % sont des céréales, augmentent de 9,3 % à 4 Mt. Par rapport au trimestre de l’année passée, il nous manque 60 000 t, mais cela représente deux navires. Nous sommes attentifs à la prochaine récolte dans le contexte de la sécheresse et attendons de voir ce qu’elle donnera. Quant aux autres vracs solides, leur envolée de 57 % à 1,1 Mt est liée à l’arrivée d’un trafic produits métallurgiques recyclés à l’export.

Enfin, sur les diverses, la hausse est plus modérée puisqu’elle atteint 4,2 % à 713 536 t. Les trafics de produits forestiers et papetiers sont revenus à des niveaux d’avant cette crise. Les papiers ont pour leur part plus souffert de la crise. Quant aux conteneurs, ils affichent une diminution. Nous avons perdu une ligne cette année avec le départ de Rouen au Havre des navires conro de Nile Dutch, mais nous avons vu l’armateur Grimaldi venir s’installer chez nous.

Notre budget pour l’année tient compte des aléas climatiques notamment pour les céréales. Nous avons enregistré des records en 2010 et en 2009, nous avons été le seul port d’Europe du nord à afficher une hausse. Ces résultats ne peuvent que nous satisfaire, mais nous gardons la tête froide.

JMM: La réforme est entrée en application le 3 mai avec la signature de la convention collective nationale unifiée et les conventions tripartites. Après les péripéties de 2010, comment s’est déroulée la fin des négociations au Grand port maritime de Rouen?

Ph.D.: Le 3 mai, nous avons pu exprimer notre soulagement. Nous avions pris le parti, dès mai 2010 de transférer la propriété des outillages aux sociétés de manutention. Cette étape a été symbolique puisqu’elle signifiait que nous ne pouvions plus faire machine arrière. Entre mai 2010 et mai 2011, les négociations ont continué au niveau national et local. Le 3 mai, les agents du port ont été détachés dans les sociétés de manutention et dans la filiale de maintenance. S’agissant des grutiers, ils sont 18 à avoir intégré des manutentionnaires. La société Normande de manutention et la Somap en ont intégré huit chacune, Surveyfert et URA en ont pris chacune un grutier. De plus, La société Normande de manutention et Surveyfert en ont repris trois autres pour leurs postes de Honfleur.

JMM: Pourriez-vous nous détailler le sort des salariés qui ont été concernés par la réforme portuaire?

Ph.D.: Nous avions 105 salariés concernés. Pour reprendre, nous avons 18 grutiers détachés dans les entreprises de manutention. Ils sont 28 salariés à avoir rejoint la filiale de maintenance, SMPI. Dans le cadre des dispositions sur la pénibilité, 22 salariés ont fait valoir leurs droits pour un départ anticipé. Enfin, 37 salariés sont reclassés dans les ateliers du port dont un certain nombre entre dans le dispositif de départ lié à l’amiante.

Nous avons prévu des dispositions plus avantageuses pour les salariés, à savoir la possibilité d’un retour au port étendu à 25 ans, contre 7 ans dans l’accord cadre national et une prise de participation à hauteur de 99 % dans la filiale de maintenance. Le solde du capital appartient à l’entreprise Normandie Manutention.

La réforme est donc en place à Rouen après plus de 150 réunions locales en deux ans et demi. Des commissions de suivi nationale et locale ont été instaurées pour observer le sort des salariés détachés et leur évolution. Les premières semaines seront décisives pour vérifier de la bonne application de cette nouvelle organisation du travail.

JMM: Pour finir sur ce chapitre de la réforme, avez-vous réussi à céder l’ensemble de vos engins? Quel est le sort des cadres du port? Vous avez cité les principaux opérateurs reprenant des ouvriers portuaires, sans parler d’Euroports, pourquoi?

Ph.D.: Concernant les engins de manutention, nous avons une dizaine d’outils qui n’ont pas été cédés. Nous souhaiterions les vendre pour réaliser des trafics nouveaux ou à des opérateurs extérieurs.

Les salariés qui restent au port vont trouver leur place dans notre organisation s’appuyant sur nos nouvelles missions. Nous devons décliner la nouvelle convention collective et trouver une osmose pour que chacun puisse apporter ses compétences au port. Au niveau national, il est prévu de signer dans les six mois un protocole spécifique de gestion des cadres du port. Rouen, comme les autres ports d’ailleurs, passe de la gestion d’un service ouvrier de conduite d’engins à un établissement avec une majorité de cadres. Cette réforme a apporté au port de nouvelles missions, à l’image de la gestion des voies ferroviaires dans le port. Nous sommes devenus un aménageur d’espaces sans pour autant perdre notre vocation. Dans notre projet stratégique, nous y avons inscrit que le port ne doit pas se transformer en une tour d’ivoire qui observe les navires passer. Le lien avec l’exploitation doit être fort, et pour cela nous avons besoin des services commerciaux et de promotion. Si la proportion de cadres a augmenté, leur nombre a suivi cette tendance. Chaque cadre doit et peu d’ores et déjà « vibrer » avec l’exploitation portuaire.

Enfin, vous l’avez noté, Euroports n’a pas pris de grutiers. La raison en est simple, aucune convention tripartite n’a été signée. Un accord de place lui permet de faire appel à des grutiers travaillant dans d’autres sociétés.

JMM: Parmi vos projets d’investissements, la priorité a été donnée ces dernières années à l’arasement des points hauts du chenal d’accès. À quel stade d’avancement en êtes-vous de ce projet?

Ph.D.: L’arasement des points hauts du chenal d’accès est en effet un investissement prioritaire et stratégique pour le port. Il représente une enveloppe de 220 M€. Quant au calendrier, l’enquête publique s’est achevée le 29 avril. Nous sommes dans l’attente du rapport du commissaire enquêteur. Au cours de cette procédure, le port a pris des engagements sur les protections des berges, la valorisation des sédiments et la revalorisation des ballastières. Des mesures environnementales qui s’élèvent à 40 M€ pour le port. Avant même le début des travaux, nous avons entrepris d’enlever les épaves éparpillées dans le chenal. Ce chantier s’est terminé en avril.

Le premier marché de ce projet d’arasement devrait être signé au cours du troisième trimestre de cette année. La première phase démarrerait alors. Elle vise la partie avale du projet jusqu’au poste de Port-Jérôme. Nous pourrions alors faire remonter des navires à 11,70 m de tirant d’eau.

La seconde phase en 2013 concernerait les travaux jusqu’au terminal de Rubis à Grand Quevilly pour autoriser la remontée.

En 2013, nous aurons à araser les points hauts de Duclair et de Moulineau. Les deux dernières années, 2014 et 2015, seront consacrées à araser les points hauts pour la descente des navires.

JMM: Un projet de grande envergure avec une enveloppe à la mesure. Comment sont financés ces travaux?

Ph.D.: L’enveloppe est à la mesure du projet. Elle doit consacrer une partie pour les dragages et une autre pour l’approfondissement des souilles de certains postes à quai comme celui d’Exxon. la société pétrolière va avoir besoin d’un poste plus profond. Nous réfléchissons aujourd’hui à un montage financier avec elle pour prévoir la mise à disposition d’un nouveau quai.

Le plan de financement de ces sommes va se répartir entre l’État, la Région, le Grand port maritime de Rouen, et les autres collectivités sur la phase des arasements des points hauts. Une autre partie sera dédiée au rempiètement des quais dont la majeure partie sera prise en compte par le port aidé par les collectivités locales et le secteur privé. Enfin, les mesures environnementales seront financées par la Région, le département, les collectivités locales, l’Agence de l’eau et le port. Vous constatez que le port participe à toutes les phases de travaux au travers d’un autofinancement, grâce à nos finances saines et par emprunt.

JMM: D’autres investissements sont prévus dans les prochains mois?

Ph.D.: En effet, si l’arasement des points hauts du chenal occupe une large part de notre temps, nous continuons d’investir dans le port d’une façon globale. Nous réalisons actuellement la seconde tranche des travaux sur le boulevard Maritime de Rouen en rive gauche et qui mérite d’être refaite.

Ensuite, sur Honfleur, nous avons un chantier important dont l’enveloppe se monte à 15 M€. Il y est prévu de refaire un poste à quai et des terre-pleins. Ce terminal de Honfleur sera en plus doté d’une grue mobile pour traiter de biens de consommation: conteneurs de Port 2000 et du futur parc d’activités Calvados-Honfleur.

Enfin, nous allons déposer un plan d’aménagement de la zone logistique RSVL (Rouen Seine Vallée Logistique) pour accueillir d’autres opérateurs.

JMM: Le Grand port maritime de Rouen a toujours été un acteur majeur dans le transport fluvial, et ce pour toutes catégories de marchandises. La mise en place de la réforme portuaire dans votre port ainsi qu’au Havre et la volonté politique de développer les transports massifiés sont des atouts pour Rouen. Comment envisagez-vous l’avenir de ces modes à Rouen?

Ph.D.: Le fluvial a en effet toujours été un mode de transport important dans les pré et post-acheminements. Les développements récents avec l’avancée de Seine-Nord par le gouvernement appuient notre stratégie. Nous voyons dans ce projet un potentiel de développement pour nous. Senalia, manutentionnaire de céréales à Rouen, a décidé de s’implanter sur la plate-forme multimodale de Nesles-Languevoisin pour y collecter des céréales qui seront ensuite acheminées par barges vers Rouen.

Pour les trafics de conteneurs, la Seine est aussi un vecteur important tant à l’amont qu’à l’aval. Nous avons un rôle à jouer avec Port 2000 au Havre. Nous pouvons être une base arrière de ce terminal pour la logistique. Aujourd’hui, le débat sur l’accès fluvial aux terminaux de Port 2000 est relancé. Nous sommes plutôt favorables à la solution envisagée par les armateurs Marfret et CFT de construire des navires fluvio-côtiers qui accéderont directement sur les terminaux de port 2000 en empruntant une portion de trafic maritime. Pour continuer, sans que cette liste ne soit exhaustive, nous souhaitons développer un terminal pour les granulats sur le quai Wellington qui offre aux opérateurs une base pour relier ensuite la région parisienne par barges.

JMM: Et le ferroviaire?

Ph.D.: Nous avons plusieurs objectifs pour ce mode de transport. En premier lieu, nous conservons à l’esprit de créer un OFP (opérateur ferroviaire de proximité) dans les prochains mois. Ensuite, nous avons loué, récemment, un espace à un opérateur pour mettre en place une ligne directe avec l’Italie.

Nous poussons pour trouver des idées nouvelles sur le sujet. Nous sommes par exemple favorables à des trains plus longs ou tout autre chose qui soit susceptible de permettre de massifier les flux.

JMM: La coopération interportuaire entre Rouen, Le Havre et Paris est entrée dans une phase pratique?

Ph.D.: Cette coopération interportuaire est un élément stratégique important. Il faut bien voir que les deux ports de Rouen et du havre réalisent ensemble un trafic de 100 Mt par an, ce qui place ce « cluster portuaire » dans les premiers rangs européens. Nous sommes complémentaires.

La coopération interportuaire est une affaire de personnes. Nous travaillons bien entre les différents responsables des trois ports. Nous avons même réussi à aller au-delà des personnes pour institutionnaliser un fonctionnement commun.

Cette coopération est plus sensible sur des sujets comme la promotion, la mutualisation de services à l’image de ce que nous faisons pour les services de dragage et les services ferroviaires. Nous examinons les capacités d’une liaison avec Port 2000 et avec Paris.

La coopération interportuaire se fera selon les choix de la marchandise. N’oublions jamais que la marchandise et le client décident de son point de passage, et c’est donc le client qui permettra la coopération interportuaire.

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