Journal de la Marine Marchande (JMM): À l’occasion de la décentralisation des ports nationaux, la Région Haute-Normandie s’est portée candidate à la reprise du port de Dieppe. Dans ce contexte est né le Syndicat mixte du port de Dieppe, aujourd’hui bien aux rênes des activités du port. Comment avez-vous réussi la transition?
Alain Le Vern (A.L.V.): Lorsque le port de Dieppe a été transféré à la Région, il m’a semblé pertinent d’y associer les collectivités locales, le Département de Seine-Maritime parce qu’il gère déjà deux ports, Fécamp et Le Tréport, l’Agglomération de Dieppe et la Ville de Dieppe. La loi n’avait pas prévu l’outil juridique. J’ai donc obtenu, par le biais d’un amendement parlementaire, que la Région puisse travailler au sein d’un syndicat mixte. Se posait aussi la question de la concession: la CCI en était titulaire mais cette concession arrivait à terme. J’ai examiné la situation du port et décidé de prendre en direct la gestion du port. Dieppe est aujourd’hui le seul port en France à être administré par un syndicat mixte en régie directe.
Outre l’activité transmanche/commerce, nous avons repris la pêche, un secteur où il a fallu mettre en place une structure associative pour que les pêcheurs puissent être payés rapidement du produit de leur travail. La plaisance a été reprise en régie directe et nous avons augmenté sa capacité de 900 anneaux (avec le nouveau port à sec). Les quatre activités bénéficient d’une comptabilité séparée: on sait ce que chacune coûte et rapporte. Le syndicat mixte a aujourd’hui en charge les dragages, le remorquage, l’état des quais, les ouvrages mobiles, etc.
JMM: L’activité « commerciale » du port de Dieppe est concentrée sur quelques trafics: transmanche, graves de mer/agrégats, trituration et éoliennes. Comment attirer d’autres activités ou d’autres produits?
A.L.V.: L’avantage du port est qu’il est porté par la Région. L’une des missions de celle-ci porte sur le développement économique. Nous côtoyons tous les jours les entreprises. La Région travaille régulièrement avec les deux grands ports, Le Havre et Rouen. Il y a des trafics qui ne les intéressent pas et qu’ils sont susceptibles de nous renvoyer.
Le trafic a considérablement évolué, il ne faut pas tomber dans l’illusion du tonnage. Ce qui rapporte, c’est la manutention portuaire. Nous sommes actifs sur des trafics de niche très pointus comme les éoliennes. Sur ce créneau, par exemple, nous nous sommes spécialisés: nos grutiers sont formés, nous disposons des matériels nécessaires pour les traiter. Il génère une importante valeur ajoutée. Depuis que nous avons pris en charge le port, nous avons multiplié par dix le nombre d’heures de travail de nos grutiers. Nos outillages travaillent dix fois plus, mais cela ne fait pas dix fois plus de tonnage.
Hier, tous les hangars étaient vides et prenaient l’eau. Aujourd’hui, ils sont tous loués. L’activité nous conduit d’ailleurs à faire l’acquisition prochainement d’un nouvel engin de levage mobile qui sera adapté pour venir en appui à nos deux grues Caillard et Italgru. Par ailleurs, notre personnel continue de se former. Je crois beaucoup à la spécialisation.
JMM: Le port de Dieppe peut-il espérer des retombées en termes d’activité supplémentaire de la double perspective de l’EPR à Penly et du développement de l’éolien en mer?
A.L.V.: Nous en attendons beaucoup, dans un contexte local pour le territoire, d’une part, pour le port de Dieppe d’autre part. Je viens de passer la nouvelle convention avec le GIE Graves de mer. Nous allons dégager des espaces de manière à pouvoir accueillir les gros colis du chantier de l’EPR de Penly. L’organisation de l’espace sera ainsi adaptée pour l’accueil des navires et l’évacuation des colis par le réseau routier et la rocade dieppoise.
Par ailleurs, nous venons de céder à l’Agglomération dieppoise l’ancienne gare maritime qui sera un pole d’accueil des entreprises. Ce sera la porte d’entrée des grands chantiers. Nous attendons aussi que le port de Dieppe, déjà spécialisé dans l’éolien terrestre, se développe sur l’éolien offshore. Il faudra notamment construire les navires dont on aura besoin pour assurer la maintenance des parcs offshore. L’éolien offshore représente pour le Syndicat mixte une opportunité historique de préserver et développer des emplois d’avenir en garantissant au port une ressource pérenne – non délocalisable – sur plusieurs décennies.
Le parc éolien en mer des Deux Côtes offre à Dieppe la possibilité de devenir le futur port d’attache de l’éolien marin. Situé idéalement sur la côte d’Albâtre pour optimiser les coûts des interventions sur le parc, il est un atout majeur de l’offre régionale, une infrastructure indispensable pour assurer, aux côtés du Grand port maritime du Havre, la réussite du projet et favoriser le développement d’activités industrielles nouvelles.