Quelle place pour les fruits et légumes dans les ports méditerranéens?

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L’adage des chargeurs selon lequel il vaut mieux être un grand client dans un petit port qu’un petit client dans un grand port semble se vérifier dans la filière fruits et légumes où la chaîne logistique maritime réfrigérée se doit d’être sans faille pour que les denrées parviennent intactes sur les étals. Certains ports n’ayant pas pu ou su tenir compte de cette spécificité, ces dix dernières années ont vu en Méditerranée une complète redistribution des cartes.

Ainsi la banane déteste-t-elle les mouvements sociaux. Cliente depuis des décennies du port de Marseille, la Compagnie fruitière a levé l’ancre en 2001 pour mettre le cap sur Port-Vendres. Huit ans plus tard, alors que le terminal fruitier de Marseille possède un superbe outil avec postes à quais, terre-pleins et plusieurs milliers de mètres carrés d’entrepôts frigo, un différend commercial entre Agrexco et la société locale de manutention fait fuir l’importateur, pourtant fidèle depuis quarante ans à Marseille. Agrexco débarque maintenant ses cargaisons sur Savone Vado en attendant l’achèvement du terminal de Sète. Le port de Marseille a acquis deux superbes transpalettes sur le marché de l’occasion, destinés à traiter des navires conventionnels de fruits et légumes. Ces grues sont parties à la démolition sans jamais avoir soulevé une seule palette!

« Dans le domaine des fruits et légumes frais, le choix d’un port pourra se faire sur la base des infrastructures dédiées, sur place ou dans son hinterland (entrepôts frigo, mûrisseries, MIN…). Mais les éléments déterminants restent la fiabilité et la productivité », explique Éric Legros, directeur central adjoint reefer CMA CGM.

« Pour nous, un bon port est un port garantissant un approvisionnement hebdomadaire 52 semaines par an, affirme Christian Métadier, directeur général de Canavese. Il faut donc des volumes importants et pas de grèves. Marseille paye ses conflits sociaux. En vingt ans, le trafic fruits et légumes y est passé de 500 000 t à 20 000 t. Malheureusement, au nord de la Méditerranée, nous n’avons pas d’alternative à Marseille. Toulon ne traite pas les fruits et légumes, Sète ne propose qu’un service tous les quinze jours. Mais nous regardons vers Sète car les investissements récents vont attirer des flux, et donc de nouvelles lignes. Port Vendres est pour nous trop petit. Nous n’utilisons que des conteneurs, donc des navires assez gros demandant un tirant d’eau que Port-Vendres n’a pas. De plus, la ligne qui nous intéresserait est opérée par notre concurrent. Mais je leur dis bravo. Ils ont tout contre eux et pourtant ils y arrivent car ils travaillent bien. Nous n’allons pas à Barcelone et Gênes en raison des surcoûts routiers importants. L’Europe du Nord reste pour nous la solution la plus simple et la moins onéreuse. Le transit time est faible et l’importance du trafic routier irriguant le sud à partir d’Anvers permet d’obtenir des prix intéressants. »

La Méditerranée s’inscrit dans une démarche inverse des ports du nord comme Flessingue, Anvers, Dunkerque ou Rotterdam qui traitent les fruits et légumes de façon industrielle alors que l’artisanat et la customisation prédominent dans les ports du Sud. D’où la montée en puissance des ports du Languedoc-Roussillon (Port-Vendres et Sète) dopés par le marché Saint-Charles de Perpignan, leader dans la distribution de légumes et produits frais en Europe du Sud. L’exportateur israélien Mehdrin Tnupxport (MTEX) charge de plus en plus sur le service hebdomadaire Med Agrexco Express (MAE). Les conteneurs partent ensuite vers Saint-Charles, puis Rungis, Cavaillon et le Nord de l’Europe.

« De nombreux ports méditerranéens, comme Sète, Port-Vendres, Tarragone, Vado Ligure ou encore Koper, possédaient des terminaux dédiés aux services maritimes conventionnels, constate Éric Legros. Compte tenu de l’évolution du marché, de plus en plus conteneurisé, ces ports ont multiplié les investissements pour capter ces volumes. En 2010, la part transportée en West Med représentait près de 10 Mt de marchandises réfrigérées dont plus de la moitié en conteneurs. Cette répartition va continuer d’évoluer largement en faveur du conteneur reefer. L’explosion du transport par conteneurs réfrigérés s’explique par l’extrême flexibilité offerte par le conteneur qui, à l’inverse des navires dits conventionnels, garantit aux clients des fréquences hebdomadaires, des volumes ajustables, mais aussi des manipulations limitées pour les marchandises fragiles ainsi que le contrôle et la traçabilité totale de la chaîne du froid depuis le lieu de production jusqu’au lieu de consommation. »

Efforts à faire dans la manutention

Éclaté sur de nombreux ports, le maritime s’impose progressivement en Méditerranée. L’ouverture en 2010 par CMA CGM d’une ligne maritime conteneurisée hebdomadaire au départ d’Agadir vers Sète et le terminal conteneurs de Marseille a permis de faire basculer une large partie des fruits et légumes exportés par les marocains (Idyl, Azura…) de la route vers le maritime.

De plus, le service entre Port-Vendres, Agadir et Dunkerque (Vegetis) a été l’un des 22 services retenus en 2009 par Bruxelles dans le cadre du programme 2009 de Marco Polo. La ligne opérée depuis 2007 par le Français CMA CGM et le Marocain IMTC a donc bénéficié d’un coup de pouce de 3,5 M€ destiné à inciter les opérateurs à délaisser le transport routier au profit du maritime.

En Tunisie, oranges maltaises, melons, pastèques, tomates et dattes sont chargées à la station du Cap Bon (entre Tunis et Hammamet) dans des remorques réfrigérées.

« Nous n’avons pas besoin d’entrepôts à Radès où la marchandise ne fait que transiter. Seule la remorque est chargée sur le navire et elle est reprise à l’arrivée à Marseille où nos tracteurs attendent au pied du navire et distribuent dans la région Paca, vers Rungis et en Allemagne », explique le gérant de Transcausse Xavier Lassalle. Ses exigences? Rapidité et régularité de livraison et qualité. « Il faut que les navires soient à l’heure avec le moins d’avaries possible. De grandes marges de progrès existent dans la qualité de la manutention. »

Avantage concurrentiel ou frein, l’administration joue également un rôle pivot dans le transit des produits frais, soumis aux contrôles douaniers et phytosanitaires. En Algérie, par exemple, les exportateurs de pommes de terre subissent la rigueur des contrôles et il n’est pas rare de voir des conteneurs entiers bloqués avant l’embarquement pour la France. Un drame pour les pommes de terre qui ne sont pas conditionnées dans un conteneur reefer pour des raisons de coût. « Nous avons beaucoup de litiges sur la pomme de terre algérienne », admet Daniel Soares, responsable marketing international d’Interfel.

L’Algérie reste d’ailleurs très discrète en matière d’exportations de fruits et légumes, même si le consortium franco-algérien Calfrex, fondé il y a trois ans, tente de dynamiser les expéditions. L’Algérie n’exporte que 5 500 t de fruits et légumes frais vers la France, essentiellement des dattes. Le développement de la filière agricole est pourtant devenu un véritable enjeu pour les années à venir dans les pays du Maghreb, ce secteur étant pourvoyeur de main-d’œuvre non qualifiée.

GF Group s’impose en Méditerranée

En Espagne, le port de Barcelone, porte d’entrée de la tomate marocaine avec près de 21 000 t déchargées en 2010 mais aussi de la banane du Mexique et de la Caraïbe, multiplie les actions commerciales tous azimuts afin d’attirer de nouveaux trafics notamment depuis l’Amérique latine.

Barcelone Reefer Terminal (BRT) a récemment agrandi et modernisé ses installations de la jetée ouest.

En Italie, l’arrivée de Zespri (Kiwi) et d’Agrexo a permis à Reefer Terminal (GF Group) de dépasser les 600 000 t de fruits et légumes débarqués à Vado Ligure (situé à 4 km de Savone). Le trafic le plus important du port italien reste la ligne du Costa Rica d’où sont importées 280 000 t de bananes et ananas pour le compte de Del Monte et Fyffes. Le manutentionnaire italien, qui doit inaugurer dans quelques semaines son nouvel entrepôt à Sète, exploite quatre navires reefers d’une capacité unitaire de 11 000 palettes et 560 conteneurs.

Le basculement vers le maritime ne se fait pas sans mal. C’est toute la culture d’un secteur qui est en effet remise en cause, comme le confirme Pedro Conejero, directeur des Transports Caudete, près de Valencia: « Les conducteurs des camions embarqués pour des traversées entre l’Espagne et l’Angleterre, par exemple, ne sont pas très contents de passer 24 heures sur le navire où ils ne se sentent pas forcément en sécurité, et ils se plaignent finalement de ne pas effectuer le trajet au volant de leur camion. C’est un vrai problème. » Avis partagé par Raoul Busto. Ce patron d’une société éponyme de transport routier de marchandises basée en Galice éprouve le plus grand mal à convaincre ses chauffeurs de s’embarquer pour ce genre de traversée: « Je pense que ce type de liaison peut se développer, mais l’option à privilégier réside dans le transport non-accompagné, car il n’est pas évident de convaincre les chauffeurs de monter à bord. »

Le ferroutage relié au maritime comme solution alternative

Le marché Saint-Charles de Perpignan, principale plate-forme d’éclatement de fruits et légumes en France – et unique site privé en Europe –, joue la carte de la connexion maritime/ferroviaire. 1,35 Mt de fruits et légumes ont transité en 2010 par le marché Saint-Charles. Une façon de soulager en partie la route qui voit 15 000 poids lourds traverser chaque jour la chaîne des Pyrénées, par Hendaye (64) ou par Le Perthus (66). Une façon aussi de s’inscrire dans un autre modèle économique du transport, comme en témoigne la réflexion de Teodoro Hernandez, directeur logistique de Hortiberia, l’un des plus importants producteurs de fruits et légumes en Espagne: « Nous sommes en train de réfléchir, avec nos clients, à de nouvelles organisations de transport pour transférer une partie de nos marchandises sur les navires, notamment à destination de la Grande-Bretagne et des pays baltes. »

En Méditerranée, cette réflexion s’accélère aussi à la faveur du développement des infrastructures, comme au port de Barcelone qui « irrigue » un bassin de six millions d’habitants sur un rayon d’une cinquantaine de kilomètres, et qui se positionne comme la porte sur la Méditerranée de la grande zone logistique de Saragosse. L’autorité portuaire de Barcelone mise sur des solutions alternatives à la route, comme en témoigne la liaison ferroviaire Barcelyon Express, reliant en six heures la capitale catalane et le port de Lyon (terminal Naviland Cargo de Vénissieux). Les investissements du port de Barcelone en faveur de l’intermodalité poursuivent un objectif très clair: élargir l’hinterland – la « zone de chalandise » – de la plateforme portuaire. Et l’un des efforts les plus significatifs en ce sens concerne le développement des lignes maritimes Short Sea Shipping (SSS), autrement dit les autoroutes de la mer.

Les principaux axes rattachés au port de Barcelone concernent les liaisons maritimes avec l’Italie (Gênes, Rome-Civitavecchia, Livourne et Porto Torres) et le Maghreb (Tanger, Agadir, Alger et Tunis). De l’autre côté de la péninsule Ibérique, c’est l’industrie automobile qui stimule une autre grande autoroute de la mer au départ d’Espagne: la liaison entre Gijón et Nantes-Saint-Nazaire, mise en place par l’armateur LD Atlantique. Elle pourrait, à terme, délester les routes de 100 000 camions par an grâce aux trois rotations hebdomadaires d’un navire de type Ro-Pax d’une capacité de 150 remorques et 800 passagers. Cette liaison maritime intéresse autant les producteurs espagnols de fruits et légumes que les chargeurs du nord du Portugal. Même si cette alternative maritime n’exonère pas les transporteurs routiers espagnols des deux principales contraintes qui pèsent aujourd’hui sur le secteur: des prix de transport très bas et la difficulté à pouvoir trouver du fret pour faire revenir les camions en Espagne. Pour Raul Busto, patron d’une société éponyme de transport routier de marchandises en Galice, « les prix de retour vers la péninsule sont tombés à des niveaux ridicules, de l’ordre de 0,60 € le km. Pour une cargaison de 5 t de pommes de terre en provenance de la frontière belge jusqu’au Portugal, on n’obtient guère plus de 900 €, ce qui est inacceptable! »

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