La brume qui entoure le port de Roscoff pour cette première traversée commerciale du Cap-Finistère détone par rapport à l’enthousiasme de la direction de l’armement. À peine sorti de sa révision technique, le Cap-Finistère reprend du service et vient épauler les autres navires entre l’Espagne et la Grande-Bretagne. Aux côtés du Pont-Aven, navire mixte, et du Cotentin, navire pur fret, le Cap-Finistère apporte sa polyvalence avec du trafic passagers et fret. Un développement sur l’Arc Atlantique naturel, selon la direction de l’armement. « Dès la création de la société en 1973, nous avions identifié l’Arc Atlantique comme un axe de développement », confirme Jean-Marc Roué, président du conseil de surveillance de l’armement. Un projet concrétisé en 1978 par l’ouverture de la première ligne sur cet axe.
L’arrivée du Cap-Finistère permet à la liaison entre les deux pays de devenir quotidienne. Le navire assure trois allers et retours par semaine depuis Portsmouth vers Bilbao, avec le lundi matin une touchée technique dans le port de Roscoff. Le Pont-Aven et le Cotentin en réalisent deux chacun. Trois navires, deux mixtes et un pur fret, permettent à l’armateur de capter la clientèle touristique et les routiers. À propos de la clientèle touristique, Christophe Mathieu, directeur marketing et stratégie du groupe, rappelle que « ce marché des passagers concerne principalement les Britanniques pour notre société ». Au cours de la dernière décennie, l’Espagne est devenue la première destination de cette clientèle selon les chiffres du ministère britannique. « L’Espagne est devenue un marché plus important que la France pour ces clients », continue le directeur marketing. Et les chiffres attestent de cette réalité avec 13 millions de visite en 2010. Si, au cours de l’an passé, la tendance accuse un repli, sur toute la décennie la progression a été de 3,7 %. Ces données statistiques générales contrastent avec les réalisations de l’armement de Roscoff. La progression entre la Grande-Bretagne et l’Espagne atteint 32 % à 199 670 passagers en 2010. Il s’agit pour l’armement de la plus forte hausse avec une croissance de 48 950 passagers. (voir encadré).
La rampe est amorcée
Sur le fret, la tendance se confirme avec une croissance de 62,5 % à 18 849 poids lourds embarqués sur cette rotation. La rampe est amorcée. En alignant le Cap-Finistère sur Bilbao, Brittany Ferries diversifie ses ports d’entrée sur l’Espagne après Santander. La direction de l’armement prévoit une croissance pour les prochains mois. « Nous espérons une progression de 30 % environ cette année avec l’ouverture de cette ligne pour atteindre la barre des 25 000 camions embarqués », continue le directeur de la stratégie. En réalisant par voie maritime cette ligne dont une partie des garages embarque du fret, Brittany Ferries a inscrit cette liaison au programme européen d’aides Marco Polo. Un dispositif uniquement dédié au fret, « mais aucun opérateur ne peut gagner de l’argent en ne faisant que du camion, confie Jean-Marc Roué. Ces aides sont un filet de sécurité pour le démarrage de la ligne. Notre fond de cale est composé avant tout de passagers, à la différence des autoroutes de la mer imaginés par le sénateur Henri de Richemont en 2000 dont ces lignes doivent s’appuyer sur un fond de cale de fret. » Les aides depuis le programme Marco Polo doivent s’étaler sur quatre ans. Un rapport intermédiaire devrait être réalisé au bout de deux ans d’exploitation de la ligne.
En décidant de toucher le port basque de Bilbao, les opérateurs opérant le choix de la voie maritime par rapport à la route vont aussi bénéficier d’incitations. La région basque espagnole a mis en place un système s’apparentant aux ecobonus. Son indépendance fiscale lui permet de procéder à ces aides après validation par Bruxelles. « Le dossier est devant les autorités européennes et doit encore faire l’objet d’une approbation par le gouvernement local », a souligné le président du port de Bilbao. Des incitations qui sont adressées aux transporteurs routiers locaux, uniquement basques. En outre, en arrimant sa ligne à Bilbao, Brittany Ferries vient combler un vide laissé par P&O Ferries. L’armateur britannique a décidé en septembre de mettre un terme à sa ligne entre Portsmouth et Bilbao. L’hiver a été difficile pour le port basque espagnol. « Seuls Transfennica et Finnlines ont assuré des liaisons avec l’Europe du Nord. La première avec Zeebrugge et la seconde avec Saint-Petersbourg. Nous sommes d’autant plus ravis de constater l’arrivée de Brittany Ferries que Transfennica a décidé de réduire la voilure de son service », continue le président du port.
Des craintes demeurent
L’ancre est jetée de cette rotation mais des craintes demeurent pour la direction de l’armement. D’une part, elle est confrontée à la dispersion des budgets marketing des régions françaises quand la situation pourrait s’inverser. D’autre part, elle doit composer désormais avec les nouvelles réglementations internationales issues de l’annexe VI de Marpol. L’armateur revendique deux millions de passagers par an vers la France, soit 10 millions de nuitées. « Au travers des lignes de Brittany Ferries, les Anglais choisissent de venir en France dans tout le grand Ouest, surtout. Il faut vendre les atouts de la France si nous voulons conserver ce marché », explique Jean-Marc Roué. Et pour appuyer sa démonstration, il cite les chiffres d’une enquête réalisée par Atout France, organisme ministériel du tourisme. Les Britanniques placent la France en seconde position pour les courts séjours et en onzième place pour les vacances. « La France est devenue une destination de raison plus que de cœur pour les Britanniques. Ils choisissent notre pays parce que la livre sterling est à un niveau de parité bas par rapport à l’euro. Sitôt qu’elle reprendra des couleurs, les Britanniques se tourneront vers d’autres destinations. » Le président de l’armement plaide donc pour des moyens marketing sur le tourisme en France qui soient coordonnés. Les régions de Bretagne et de Normandie ont accroché le train aux côtés de LD Lines et de P&O Ferries. « Il nous reste à convaincre les régions Aquitaine et Poitou-Charentes pour vendre le concept France et pas les régions », continue Jean-Marc Roué. Un combat qui se place plus sur un changement de mentalité des régions que sur l’aspect financier. Second dossier qui occupe la direction de l’armement, les changements réglementaires imposés par l’annexe VI de Marpol.
Augmentation des soutes de 50 %
Elle suscite bien des interrogations. Les premières mesures appliquées depuis le 1er juillet visent à la création d’une zone située de Ouessant jusqu’à la Baltique au sein de laquelle les armateurs opérant des trafics de passagers doivent consommer du fioul à 1 % maximum de teneur en soufre. De plus, l’Union européenne impose aux navires effectuant une escale de plus de deux heures dans la zone à utiliser des groupes électrogènes ne consommant pas de fioul de plus de 1 % de teneur en soufre. « La différence entre un carburant avec une teneur en soufre de 1 % est de 20 $ par tonne. Nous en consommons 159 000 t par an. » Cette première marche vers un transport maritime plus écologique va être suivie, en 2015, d’une seconde étape avec du fioul à 0,1 % de teneur en soufre, « ce qui correspond à une augmentation des coûts de soute de 50 % », insiste Jean-Marc Roué. De plus, cette catégorie de carburant signifie l’utilisation de gasoil, « produit dont nous sommes déficitaires ». Deux choix s’imposent. Soit la France décide alors d’importer plus de ce type de carburant, soit les raffineurs doivent investir pour rénover l’outil de raffinage. L’OMI a prévu, dans l’annexe VI de Marpol, de limiter la teneur en soufre des soutes à 0,5 % pour tous les navires de la planète. Les États européens ont aggravé cette mesure en prévoyant un maximum de 0,1 %. « Les industriels du pétrole ne savent pas faire du fioul à 0,1 %. Que va-t-il se passer? », s’interroge le président du conseil de surveillance de l’armement. Face à cette nouvelle donne, l’armateur de Roscoff imagine des solutions techniques pour les navires existants, « parce que cette mesure s’appliquera à tous les navires actuellement en opération, ce qui nous laisse peu de temps pour adapter notre outil de production. » Une solution consiste à installer un scrubber sur les cheminées des navires. Si le coût n’est pas négligeable, la réalisation technique est plus compliquée. La place manque à bord des navires. Une autre alternative viserait à doter ces navires d’une nouvelle motorisation au GNL (voir notre article p. 10).
Brittany Ferries en quelques chiffres
• Brittany Ferries a réalisé un chiffre d’affaires de 344,4 M€, en hausse de 12,1 M€, soit 3,7 % d’augmentation. 57 % de ces revenus, 196,8 M€, proviennent du trafic passagers. Le fret représente 23 %, soit 77,1 M€.
• Avec une masse salariale de 83 M€, l’armateur a généré des recettes fiscales évaluées à 107 M€.
• L’activité passagers a perdu 1,6 % en 2010 à 2,26 millions de passagers. En Manche, il a réalisé 4 982 traversées pour 1,9 million de passagers, soit une baisse de 4,8 %. La ligne Roscoff Plymouth a perdu 7,1 % à 368 257 passagers, celle de Saint-Malo à Portsmouth a perdu 0,6 % à 382 153 passagers, celle entre Cherbourg, Poole et Portsmouth a reculé de 19,2 % à 351 825 passagers et la ligne entre Caen et Portsmouth a augmenté de 1,6 % à 892 292 passagers. La ligne sur l’Irlande, Roscoff-Cork a augmenté de 21,4 % à 75 300 passagers et celle sur Santander au départ de Grande-Bretagne a gagné 32,5 % à 199 670 passagers.
• Pour le fret, Brittany Ferries représente 5 % du marché Transmanche. Au total, l’armateur a transporté 189 400 véhicules de fret en baisse de 2,9 %. Les lignes en diminution sont celle entre Roscoff et Plymouth, entre Saint-Malo et Portsmouth, entre Cherbourg et Poole/Portsmouth et de Roscoff à Cork. À l’inverse, celle reliant Santander et la Grande-Bretagne et entre Caen et Portsmouth ont gagné du volume.