« En 2007-2008, dans un contexte de prix pétroliers très élevés, le marché du GNL était déjà tendu et cette tendance devait s’accentuer dans le futur à cause d’une demande en croissance et de retards sur la mise en service des trains de liquéfaction de gaz, notamment au Qatar et au Yémen », explique Colette Lewiner, directeur associé de Capgemini, en charge du secteur de l’énergie. Le gaz naturel était aussi porté par ses caractéristiques environnementales (énergie fossile la moins polluante) plutôt favorables et par sa facilité d’usage. Le GNL, qui permet d’importer du gaz en Europe de 60 % des pays producteurs, a une place privilégiée dans l’approvisionnement en gaz car il entraîne une diversification des sources d’approvisionnement et donc sécurise l’approvisionnement énergétique de l’Union européenne (UE). La fragilité d’un approvisionnement dominant en provenance de Russie ayant été mis en exergue par la coupure prolongée de l’approvisionnement de gaz russe suite à un différent entre Gazprom et l’Ukraine en 2006. Cette coupure a eu des répercussions fâcheuses, notamment dans les États membres d’Europe de l’Est, dépendant à plus de 90 % des approvisionnements russes. Bruxelles a souhaité dépendre moins de la Russie mais n’a pas pu compter sur les ressources gazières européennes, entrées en lent déclin. L’UE a cherché également à rendre attractif son marché afin d’éviter que les grands pays producteurs ne choisissent l’Asie pour vendre leur gaz au détriment du Vieux Continent. Il a donc existé un courant favorable pour multiplier les possibilités d’importation de GNL en Europe et donc une multiplication des projets de terminaux méthaniers (voir carte). « Mais, il y a eu la crise financière et économique de mi-2008 et le marché du gaz n’a pas évolué comme prévu », relève Colette Lewiner. La consommation de gaz naturel, notamment industrielle, a chuté alors que, depuis plus de 30 ans, elle était en hausse quasi ininterrompue. Du coup les prix, eux aussi, sont partis à la baisse. Le marché du gaz a alors connu une autre rupture majeure: les États-Unis ont su exploiter, à des conditions économiques compétitives, le gaz de schiste. L’Amérique du Nord, d’une balance gazière déficitaire, est devenue un pays producteur autosuffisant. Le GNL destiné aux États-Unis s’est donc retrouvé sur le marché alors même que la consommation était en nette diminution. Le marché du gaz compte trois grandes zones de prix: Asie, Europe et États-Unis. Elles étaient auparavant importatrices. Mais les États-Unis ne le sont quasiment plus. « Les prévisions évoquent désormais un marché du gaz en excédent, peut-être jusqu’en 2015-2020 », indique Colette Lewiner. Le marché du gaz est donc entré dans une zone de turbulences et d’incertitudes. Avec la crise économique et financière, les investisseurs sont devenus plus prudents ou plus frileux. Aussi plusieurs projets industriels, dont les coûts sont très élevés et les durées d’amortissement longues, ont été retardés. Il existe toutefois des signes qui poussent à l’optimisme. Le gaz conserve ses atouts environnementaux et ses réserves sont nettement plus élevées que celles du pétrole. Après le creux de 2009 (− 6 % en Europe), la consommation de gaz est repartie à la hausse dans plusieurs pays européens. La volonté de l’UE de réduire la dépendance par rapport au gaz russe demeure, tout comme celle de créer une plus grande fluidité du marché intérieur entre les États membres permettant une plus grande mutualisation des approvisionnements entre les différents pays en cas de crise. « La demande de gaz devrait repartir à la hausse, tirée par la production d’électricité à partir des centrales à cycle combiné à gaz (CCCG) », assure Florence Dufour, directeur adjoint à la direction des infrastructures et des réseaux de gaz de la Commission de régulation de l’énergie (CRE). De nombreux projets de construction de CCCG sont sur les rails en Europe. Le GNL et les terminaux méthaniers devraient donc avoir encore de beaux jours devant eux.
GNL et voie maritime
Le gaz transformé en GNL est facilement transportable dans des navires méthaniers car, sous forme liquide, son volume est 600 fois moindre qu’à l’état gazeux. Mais il faut des infrastructures pour le faire passer d’un état à l’autre (voir schéma p. 19). Le marché mondial du gaz se distingue également par un éloignement de plus en plus grand des lieux de production et de consommation qui ne peuvent pas toujours être reliés par des gazoducs. Le GNL et les navires méthaniers prennent alors tout leur sens, sachant qu’à partir de 2 500 km, la voie maritime devient particulièrement intéressante en termes de coûts. Quant à savoir s’il vaut mieux implanter des terminaux méthaniers sur les façades méditerranéenne ou atlantique, les opinions sont variées. Il y a deux sources principales d’approvisionnement en gaz dans le monde. Le Moyen-Orient, le gaz est alors plutôt dans le bassin méditerranéen; l’Afrique de l’Ouest et la côte est de l’Amérique, la zone d’échanges de gaz est alors dans le bassin atlantique. Il revient à chaque opérateur de décider de la rotation des navires en fonction des coûts du maritime. Et au fond, à l’arrivée, ce qui fait sans doute la différence pour un importateur de gaz dans le choix d’un terminal méthanier, c’est la qualité du service proposée par l’exploitant et le prix de ce service.
Terminaux régulés et terminaux exemptés
Depuis une directive de Bruxelles du 26 juin 2003, les terminaux méthaniers européens peuvent être soumis ou non à la régulation de l’accès des tiers. « La différence de régulation entre terminaux régulés et terminaux exemptés repose sur deux philosophies », indique Colette Lewiner, directeur associé de Capgemini, en charge du secteur de l’énergie, et qui a dirigé un groupe de travail sur la régulation des terminaux méthaniers en France en 2008 à la demande de la Commission de régulation de l’énergie (CRE). La première philosophie considère le terminal méthanier comme une infrastructure gazière essentielle au même titre que les gazoducs de transport. C’est le cas en France pour les trois terminaux en service, qui ont un accès des tiers régulé. L’autre philosophie, développée au départ aux États-Unis, considère le terminal comme une infrastructure gazière amont, comme les champs gaziers. Le terminal est alors exempté de l’accès des tiers. Le site britannique d’Isle of Grain est exempté. En France, si le projet de Dunkerque porté par EDF se réalise, il sera exempté pour l’accès des tiers, c’est-à-dire que l’accès au terminal se fera sur une base négociée entre l’opérateur du terminal et les souscripteurs réservant des capacités pour 20 ans, une partie de ces dernières étant réservées par EDF. Le Gate Terminal de Rotterdam a obtenu l’exemption totale. « La vraie différence entre les deux situations ce sont les prix, indique Colette Lewiner. Le propriétaire du terminal régulé doit pratiquer des tarifs de regazéification du gaz fixés par le régulateur, la CRE. Les propriétaires du terminal exempté ont une certaine latitude pour fixer le prix du gaz en fonction du marché. L’objectif est de rendre le terminal méthanier attractif et d’accroître la concurrence dans la zone d’échange du GNL. » Il existe aussi d’autres règles, notamment dans le cas de l’exemption. Par exemple, si des capacités réservées ne sont pas utilisées par les souscripteurs, il faut qu’elles soient proposées sur le marché (mécanisme « Use it or lose it »). Pour obtenir une exemption à l’accès régulé des tiers, le porteur du projet de terminal doit remplir cinq critères pour prouver que, sans exemption, l’infrastructure ne pourrait se faire. Le directeur adjoint à la direction des infrastructures et des réseaux de gaz de la CRE, Florence Dufour, précise que « le régulateur est favorable aux investissements aussi bien en mode régulé qu’exempté. La CRE n’a pas de pouvoir en matière de décision d’investissement dans les terminaux méthaniers. Pour les projets en cours, c’est à l’opérateur privé du futur terminal de prendre sa décision ». Le rôle de la CRE est de veiller que tous les fournisseurs de gaz qui sont en compétition sur le marché français aient le même accès aux infrastructures et soient traités sur un pied d’égalité. Par rapport à la multiplication des projets de terminaux méthaniers, Florence Dufour rappelle que « l’État français a toujours voulu diversifier ses sources d’approvisionnement. Toute nouvelle infrastructure permet de renforcer la sécurité d’approvisionnement de la France et de favoriser la concurrence. Plus d’infrastructure, c’est aussi plus de flexibilité. Et un prix du gaz qui se rapproche de celui du marché ».
La chaîne du GNL
Le gaz naturel liquéfié (GNL) est du gaz naturel refroidi progressivement jusqu’à une température de − 162 oC pour qu’il devienne liquide. Cette transformation s’opère dans des usines de traitement et de liquéfaction. Sous forme liquide, il occupe un volume 600 fois moindre qu’à l’état gazeux. Grâce à cette réduction de volume, il peut être transporté dans des navires spécialement conçus, les méthaniers à double coque. Ces derniers sont soit à membranes, soit à sphères. Dans les méthaniers, le GNL est maintenu à − 162 oC et à pression atmosphérique. La faible partie de GNL qui s’évapore est utilisée pour l’alimentation des chaudières et des moteurs assurant la propulsion des méthaniers. Au terminal méthanier, le GNL est déchargé par des bras articulés, transféré dans des réservoirs temporaires cryogéniques où il reste à − 162 oC et à pression ambiante. Puis il est pompé à partir des réservoirs, mis sous pression et réchauffé, c’est-à-dire qu’il retrouve sa forme gazeuse naturelle. Il peut alors être injecté dans le réseau de transport et mélangé avec le gaz importé par gazoduc. Par le réseau de transport, le gaz est ensuite distribué aux clients finaux, aussi bien particuliers qu’industriels.