L’expulsion de la SNRH du port du Havre n’est que l’épilogue d’une histoire écrite il y a plus de dix ans, qui met en lumière la carence des pouvoirs publics face à une situation économique créée par une mauvaise interprétation et une mauvaise appréciation des règlements communautaires par notre haute administration et l’incapacité des pouvoirs publics à examiner sereinement la nature de la concurrence opposée par un arriviste (la SNRH) à un groupe européen en place, respectueux des règles (Bourbon).
La guerre qui a d’abord opposé Bourbon à la SNRH était fondée sur deux éléments: d’une part, le non-respect par la SNRH des règles élémentaires du droit social et, d’autre part, l’opportunité de créer de la concurrence dans un secteur dont la rentabilité économique était constamment décroissante.
Sur le premier point il a été très vite patent que la SNRH n’avait pas l’intention de se soumettre au droit social français. Invoquant l’exemple des Pays-Bas – d’où est issu l’actionnaire majoritaire de la SNRH –, le nouveau candidat au remorquage dans le port du Havre a divisé par deux les emplois de marins sur ses remorqueurs et imposé des règles de présence à bord déjouant les usages, les conventions collectives et la loi sans pour autant que l’État, par l’intermédiaire de ses agents, prenne les initiatives qui auraient suffi à éviter la gabegie économique qui s’ensuivit et les risques d’un comportement qui transgressait les règles élémentaires de la sécurité maritime et portuaire.
Sur le second point, l’État a fait montre d’ignorer le phénomène de concentration qui n’avait cessé de se manifester depuis de nombreuses années et le rapport qu’il avait pourtant suscité et qui a conclu, dès 1999, à l’impossibilité d’introduire de la concurrence dans le service de remorquage du Havre, au risque de mettre tout le système en péril.
La frilosité du gouvernement
Sans doute l’intervention pressante du patronat local a-t-il pesé lourd sur les silences de l’État, la frilosité du gouvernement et les craintes du ministre. Sans doute la tendance du ministère des Finances à apparaître comme le meilleur élève de la classe européenne au regard de la concurrence a-t-elle conduit le gouvernement, sans trop d’égard pour le principe d’égalité de traitement, à accepter en 2006, à la suite d’une habile et trompeuse négociation entre le préfet de Seine-Maritime et le syndicat CGT du remorquage, que l’entreprise nationale en place soit traitée de façon discriminatoire au regard des obligations imposées au candidat entrant.
Qu’importe! Les conséquences de cette attitude ont été prévues et annoncées: le désengagement de Bourbon de son activité de remorquage et la cession à un tiers de son métier historique. Ce qui fut réalisé en 2007 au profit de l’espagnol Boluda.
Il aura donc fallu plus de 10 ans pour qu’une évidence soit sanctionnée par la justice et que les pouvoirs publics en prennent acte pour en tirer les conséquences. Des dizaines d’emplois ont été détruits, un essor économique a été brisé et une entreprise nationale a disparu du secteur.
Simplement parce que le modèle économique mis en œuvre par la SNRH et son actionnaire néerlandais s’est montré incompatible avec le droit social français et a permis à cette entreprise de casser les justes prix pratiqués par son concurrent français en place malgré les ultimes efforts réalisés par ce dernier de les abaisser de 30 % sur 3 ans.
La concurrence est nécessaire. Elle constitue le fondement du libéralisme économique équitable. Encore faut-il qu’elle soit non discriminatoire.
Curieusement, la France se signale avec constance dans le domaine portuaire par sa discrimination négative à l’encontre de ses nationaux alors que la plupart des États de l’Union se manifestent par un protectionnisme discriminatoire. Étrange attitude que celle de nos décideurs qui préfèrent sacrifier leurs entreprises portuaires nationales plutôt que de risquer d’apparaître comme attentatoires à la concurrence, et qui, à l’encontre de toutes leurs actions protectionnistes dans d’autres secteurs (ferroviaire, énergie), continuent à prétendre qu’il importerait de créer de la concurrence contre les nationaux en accueillant des opérateurs portuaires de pays tiers, en particulier du monde asiatique, paré encore aujourd’hui (mais pour combien temps?) de toutes les vertus!
On préférerait une expression cohérente et respectueuse de la loi communautaire dans tous les secteurs industriels et commerciaux relevant d’une interprétation conforme aux principes de transparence, de liberté d’établissement, de non-discrimination et de proportionnalité.
L’affaire du remorquage au Havre nous a démontré qu’on en était encore loin et les charmes déployés encore récemment par le gouvernement auprès des manutentionnaires chinois nous rappellent que la leçon n’a pas encore été comprise. Espérons que ce soit pour bientôt.