Journal de la Marine Marchande (JMM): À quelle époque les ports français ont-ils commencé à « communiquer »?
Jean-Michel Germain (J.-M.G.): La création des services presse dans les grands ports date des années 1960, période où il y a eu une prise de conscience de l’importance de développer son image. À Bordeaux, un service spécialisé en communication a vu le jour en 1971 pour notamment accompagner le développement du Verdon, chantier prioritaire qui prévoyait l’aménagement d’une zone industrielle de 10 000 ha. En raison des deux crises pétrolières, cet aménagement ne s’est pas fait dans sa totalité, mais, rétrospectivement, je dois dire que cette période a été pour moi l’âge d’or de la communication au port de Bordeaux. C’était passionnant d’être porté par une véritable politique d’aménagement du port, et l’on ne se heurtait pas à l’époque à une hostilité de la population pour des projets industriels.
JMM: Comment les discours des communicants des ports justement ont-ils évolué au fil des années?
J.-M.G.: On était axé au départ sur un discours très portuaire évoquant les trafics, les lignes… Tout l’aspect attraction des entreprises était négligé. Cette vocation d’un port, qui est aussi d’attirer des entreprises sur un territoire et de créer des emplois, son impact économique sur une région, n’ont été finalement mis en avant que depuis la fin des années 1970. Ces dix dernières années, on a aussi pu constater une évolution très nette des discours sur les thématiques environnementales. Il y a globalement eu en tout cas une ouverture énorme. Il faut se rappeler que, dans les années 1970, à Bordeaux, le port était un monde fermé, avec un côté très XIXe siècle, des chauffeurs en casquette, des huissiers, une ambiance notable et bourgeoise.
JMM: Communiquer auprès du grand public était une tâche assez ardue?
J.-M.G.: Oui, l’activité portuaire reste bien souvent méconnue du grand public. À Bordeaux, même si le port a marqué l’histoire de la ville, il n’y a pas de conscience portuaire comme au Havre ou à Marseille. Les Bordelais sont fiers de leur port, mais ils ignorent souvent qu’il génère plus de 10 000 emplois, ce qui est énorme. C’était d’autant plus difficile de communiquer vers les Bordelais, qu’à partir de 1987, mis à part les paquebots, plus aucune activité portuaire n’avait lieu en centre-ville, celle-ci ayant été déplacée à Bassens. Dès que les friches bordelaises, jusqu’alors abandonnées, ont été aménagées grâce à la municipalité, on a pu communiquer différemment en lançant des campagnes d’affichage qui mettaient en avant le poids économique du port, en faisant de la pub pour attirer les entreprises, en participant à des salons. On a été également les premiers à organiser en partenariat avec l’Office du tourisme des visites du terminal de Bassens. À 90 %, c’étaient des Bordelais qui venaient, totalement surpris de découvrir la dimension portuaire et industrielle impressionnante de leur ville.
JMM: Quels sont les plaisirs du métier?
J.-M.G.: La variété des sujets et des domaines est énorme. Je n’ai pas vu le temps passer en quarante ans de carrière. Mettre en avant l’importance du port dans la région a toujours été une fierté pour moi avec des périodes d’effervescence comme lors de l’ouverture du terminal conteneur au Verdon en 1976. On affrétait des avions et des trains entiers pour faire venir des chargeurs. Côté presse, j’en retire la fierté de quelques beaux coups: une pleine page dans Newsweek, le pari d’avoir convaincu un journaliste de CBS de faire un vrai sujet sur le port et une grande amitié avec les journalistes locaux et spécialisés
JMM: Et les contraintes…?
J.-M.G.: Le plus dur, ça a été lors de la fermeture des trois raffineries dans la région puis l’abandon du projet de 4Gas, pourtant légitime et cohérent. Sur ce dernier, j’avais forcément un devoir de réserve, même s’il ne correspondait pas à mes convictions personnelles. Ca été difficile à gérer vis-à-vis des journalistes pour avoir un discours honnête. Au fil des ans, la transparence des dossiers variait également selon les différents directeurs. Je me souviens de l’un d’eux qui, lorsque je lui proposais de lancer un plan communication, me répondait: « Ça rapporte combien de tonnes? »
JMM: Qu’est-ce qui ressort actuellement comme caractéristique majeure en termes de communication?
J.-M.G.: Dans la majorité des ports français, les budgets communication ont été restreints de façon drastique depuis une dizaine d’années en raison de la fragilité financière des ports. Par exemple, à Bordeaux, au début des années 1980, on était huit personnes dans le service. Ils ne sont plus que quatre actuellement.