Après avoir connu quatre jours de mouvements sociaux entre le 12 janvier et le 16 janvier, la FNPD CGT a appelé à une nouvelle série d’arrêts avec maintien du préavis de grève reconductible par 24 heures, suppression des heures supplémentaires, de shift exceptionnel ou de deux nuits par semaine et, une journée de grève des dockers les 21 janvier et 23 janvier, une journée les 22 janvier et 24 janvier pour les établissements portuaires. La CSOPMI CNTPA, syndicat présent à Dunkerque, appelle de son côté à une journée de grève le 20 janvier.
« Le gouvernement est prêt à reconnaître la pénibilité de certains métiers portuaires dans le cadre défini par la loi du 9 novembre portant réforme des retraites », a indiqué le gouvernement dans un texte daté du 13 janvier. En fait, toutes les parties sont unanimes sur un point: la réforme des ports doit s’appliquer au regard des garanties promises. Les choses sont plus compliquées sur les négociations. Pour le délégué général de l’UPF (Union des ports de France), Geoffroy Caude, les négociations qui se sont déroulées pendant les deux ans et demi ont porté sur la convention collective unifiée et sur les conditions d’un départ anticipé dans le cadre de la pénibilité. « Ce travail a été mené de la mi-2008 à avril 2010, sans qu’aucun chiffrage n’ait eu lieu sur le financement du système de pénibilité. » Et le délégué général de l’UPF se défend d’avoir accepté un accord. « Nous étions proches mais nous n’avions pas encore toutes les assurances. Il s’agissait surtout d’avoir un mandat clair de la part du gouvernement pour négocier. Ce mandat nous a été donné par la nouvelle équipe de François Fillon, et notamment par Thierry Mariani. » Ce mandat vient préciser « le flou » de la situation de novembre, continue Geoffroy Caude. Le schéma tel qu’il est proposé n’est pas accessible pour l’UPF, tant pour des raisons financières qu’au regard de la réforme sur les retraites de novembre. En proposant un départ anticipé de deux ans, l’État s’engage à aider les personnels qui demeureront dans les entreprises portuaires. Ceux transférés dans les sociétés de manutention seront pris en charge par elles. « Si l’État doit prendre en charge la totalité du personnel, la facture du départ anticipé pour pénibilité s’élèverait à plusieurs millions d’euros », continue le délégué général de l’UPF.
« C’est du foutage de gueule », rétorque la FNPD CGT. En premier lieu, le syndicat des ouvriers portuaires souligne que ces négociations se sont déroulées « avec l’aval de la tutelle des organisations présentes ». Ensuite, « la négociation sur la pénibilité n’est pas associée à la réforme des retraites mais à la réforme des ports ».
Le gouvernement reconnaît la pénibilité
Pour la FNPD, l’accord-cadre national a obligé les partenaires à trouver un équilibre économique pour le dispositif de la pénibilité, « ce qui a été fait. Nous avons trouvé avec les employeurs un accord après le vote de la loi sur la réforme des retraites sur les bases des engagements pris avec la FNPD CGT lors de cette réunion ». Bien plus, le syndicat souligne que le gouvernement reconnaît la pénibilité des métiers portuaires. Outre ce point, le blocage porte sur la durée limitée du dispositif à 10 ans alors même que 90 % des ouvriers portuaires pouvant en bénéficier ne le pourront avant 2025, soit postérieurement aux dix ans, s’indigne la FNPD. Enfin, le syndicat précise que les partenaires sociaux n’ont jamais demandé la suspension des négociations.
La CSOPMI CNTPA est tout aussi remontée. « En dix minutes, le délégué général de l’UPF a balayé d’un revers de la main le dialogue social. Nous avions trouvé un accord pour un autofinancement de ce dispositif de pénibilité avec un apport du gouvernement de 60 M€. L’Unim a donné son accord. Tout est remis en cause par un gouvernement qui offre des cadeaux fiscaux et rechigne sur 60 M€ », a indiqué Franck Gonsse, secrétaire national de la CNTPA. Et il envenime la situation en qualifiant cette attitude de « sabotage des ports français ».
L’Unim est plus modérée. L’organisation patronale « regrette amèrement que ce cadrage des ports intervienne tardivement ». La position du gouvernement « s’impose de fait aux entreprises de manutention dès lors que nous nous inscrivons dans le cadre d’une convention collective unifiée », continue l’Unim. L’organisation précise que les négociations sur la pénibilité entreprises dans le cadre de l’accord-cadre national de la réforme portuaire l’ont été sous l’égide de la loi Fillon de 2003. « La réforme des retraites n’est intervenue qu’à la fin de nos négociations. » Et pour l’organisation patronale, l’État ne respecte pas la parole engagée. « Encore une fois, les entreprises de manutention vont devoir payer. » L’Unim souhaite donc analyser avec ses actuaires les données issues de ce nouveau mandat. Des réunions interprofessionnelles devraient se tenir en fin de semaine pour analyser la situation. Aujourd’hui, le transfert des outillages est désormais réalisé. Quant aux personnels, leur transfert peut se faire avec la signature d’un avenant à leur contrat de travail. « Pour l’heure, le mandat reçu par le gouvernement est celui des ports. Les entreprises de manutention doivent se concerter et analyser de leur côté les conséquences et définir leur position », indique l’Unim.
Trois questions à Tony Hautbois, secrétaire national de la FNPD-CGT
Journal de la Marine Marchande (JMM): Vous avez appelé à quatre jours de grève des travailleurs portuaires du 12 au 16 janvier. Un mot d’ordre qui est renouvelé pour les journées du 21 au 24 janvier. Les mouvements sociaux bloquent totalement les ports. Quelles sont les raisons qui vous ont conduit à un conflit si dur?
Tony Hautbois (T.H.): Le 10 janvier, lors d’une rencontre avec les partenaires sociaux, l’Union pour les ports français (UPF), représentant le patronat des travailleurs des Grands ports maritimes, nous a donné les contours du mandat que le gouvernement lui a confié. Il vise à revenir sur les deux années et demie de négociation que nous avons menée. Ce mandat, inspiré par des questions politiques et dicté par l’Élysée, tend à confondre la réforme portuaire et celle des retraites. La décision du gouvernement est un véritable déni de démocratie.
La réforme portuaire n’a jamais été voulue par les travailleurs portuaires. La loi a été adoptée le 4 juillet 2008 et nous nous devons de l’appliquer. Nous sommes alors entrés dans une phase de négociations pour obtenir des garanties sociales. À cette loi a fait suite, en octobre 2008, la signature d’un accord-cadre entre les partenaires sociaux qui renvoi à deux négociations: l’une sur une convention collective unifiée et l’autre sur une annexe à cette convention sur les conditions d’une cessation anticipée d’activité en raison de la pénibilité du métier. En plus de deux ans et des dizaines de réunions, nous avons abouti en novembre à un accord prenant en compte la pénibilité de nos métiers. Cet accord négocié prévoyait un départ anticipé de cinq ans si les entreprises portuaires bénéficient de l’exonération de la taxe Fillon.
Le dispositif n’aura sa pleine activité qu’en 2025. Lorsque le gouvernement a lancé la réforme sur les retraites, les deux dossiers sont venus se télescoper. Les négociations que nous avons menées depuis le début le sont sous l’égide de la loi Fillon de 2003. Le gouvernement associe les deux réformes. Il souhaite limiter la cessation anticipée d’activité à deux ans et donner au dispositif une durée de vie de dix ans. Au final, ce dispositif n’aura aucun effet pour les travailleurs portuaires. Cette attitude est d’autant plus incompréhensible que le gouvernement a accepté de reconnaître la pénibilité de nos métiers et qu’il a accordé une dérogation aux marins pour les mêmes raisons qu’il nous la refuse, notamment sur l’espérance de vie écourtée de sept à huit ans.
JMM: Le dispositif est aujourd’hui remis en cause par le gouvernement pour des raisons économiques. Il coûterait cher. D’autre part, Thierry Mariani, secrétaire d’État aux Transports, ne reconnaît pas la validité du mandat en raison des changements intervenus avec la réforme des retraites. Comment réagissez-vous à ces propos?
T.H.: Sur le volet du financement, la critique n’est pas pertinente. Nous avons toujours négocié en prenant en compte l’équilibre financier du dispositif. L’objectif est d’avoir une dotation initiale de capital prenant en compte les arriérés que les salariés et les entreprises approvisionneront. En l’état actuel des négociations, aucune cotisation des salariés n’interviendra. Le dispositif devant commencer à être pleinement efficace en 2025, nous avions du temps pour constituer les sommes nécessaires. De plus, avec les organisations patronales, nous avons défini les métiers portuaires concernés par ce dispositif pour ne laisser personne sur le bord de la route. Quant au mandat, il a toujours été clair. Nous avons eu une réunion le 27 octobre avec le cabinet du ministre de l’époque, Jean-Louis Borloo, pour finaliser les différents points de la convention collective unifiée. Il n’existe aucune ambiguïté sur les mandats.
JMM: Les mouvements sociaux bloquent les ports et la solidarité européenne syndicale se manifeste déjà. Quelles sont les conditions pour éviter que le conflit ne se durcisse encore plus?
T.H.: Le mouvement est largement suivi par tous les travailleurs portuaires. Même les ports décentralisés, à l’image de Brest et de Sète, ont emboîté le pas. La détermination des travailleurs est entière. Quant à la solidarité internationale, elle est intervenue par l’IDC, organisation dont la CGT est membre. Nous avons des contacts avec des membres des ports d’Anvers, de Rotterdam et de Hambourg qui nous soutiennent dans notre mouvement. L’ITF et l’ETF suivent le mouvement. Cette solidarité pourrait se manifester à plusieurs niveaux avec notamment le refus de décharger les marchandises détournées des ports français. Nous avons suffisamment d’informations que nous pouvons transmettre à nos confrères des autres ports européens. D’autres formes de solidarité peuvent intervenir. Les organisations internationales y réfléchissent aujourd’hui.
Nous sommes entrés dans un conflit qui bloque tous les ports français. Nous sommes déterminés à aller jusqu’au bout. Nous souhaitons que le gouvernement revienne sur sa position du 10 janvier et qu’il accepte les conditions que nous avons négociées avec les partenaires sociaux. Sans cette condition, les ports français subiront des arrêts. Sans notre signature, il n’y aura pas de convention collective et sans convention collective, la réforme ne se fera pas.
Propos recueillis par Hervé Deiss