Après l’étude sur les émissions plus ou moins nocives du commerce maritime français, hors opérations de chargement/ déchargement, présentée en mars 2009 (JMM du 3/4/2009; p. 12), il était logique de remonter la filière et de s’intéresser à celles générées par l’interface portuaire.
L’étude vise à « inventorier l’ensemble des sources d’émissions de CO2 (principal gaz à effet de serre, GES), de SOx, de NOx et de particules produites lors du passage portuaire des navires de commerce (et des marchandises), à concevoir un outil de calcul des consommations énergétiques et des émissions de GES et de polluants résultant du passage portuaire, par grandes filières logistiques, puis à utiliser cet outil pour évaluer la consommation et les émissions dans les sept Grands ports maritimes français ».
Quinze types de navires et six filières (conteneurs, vracs secs, vracs liquides, Ro-Ro, transporteurs de voitures et marchandises diverses) ont ainsi été étudiés; les navires, sur la base « pilot in/pilot out » et les marchandises, depuis « sur moyen d’acheminement au terminal » à « sur moyen d’évacuation du terminal ». Sans oublier les émissions des équipements et bureaux nécessaires au fonctionnement d’un port.
Les principaux enseignements
L’étude réalisée par AJI-Europe, MLTC, Citepa et EFEC Consultants tire, dans cet ordre, les sept principaux enseignements suivants.
La consommation totale d’énergie des opérations liées au passage portuaire dans les sept GPM est estimée à 430 000 TEP (tonne équivalent pétrole) pour 2009. Cela représente environ 1,6 % de la consommation énergétique totale du transport de marchandises en France.
Les émissions liées au passage portuaire représentent une part très importante des émissions nationales de SOx par le secteur des transports et une part faible mais significative (1 % à 4 %) des émissions nationales de NOx, de CO2 et de particules de ce secteur.
Les émissions totales de CO2 des opérations de passage portuaire dans les sept GPM représentent 0,9 % des émissions totales de CO2 du secteur du transport en France. Ce pourcentage atteint 3,7 % pour les NOx et 2,7 % pour les TSP (Total Suspended Particles)
Les émissions liées au volet « maritime » représentent une part prépondérante des émissions du passage portuaire.
Les émissions totales de CO2 (en tonnage) du passage portuaire sont très prépondérantes par rapport aux émissions de NOx, de SOx et de particules. Afin de fixer les idées, les ordres de grandeur des émissions pour les 7 GPM sont les suivants:
– CO2: ~1,2 Mt/an
– NOx: ~26 000 t/an
– SOx: ~16 000 t/an
– Particules (TSP): ~3 000 t/an.
La partie maritime du passage portuaire représente, en moyenne, près de 70 % de la consommation totale d’énergie des opérations de passage portuaire. Cette part est « particulièrement élevée » pour les filières conteneurs, vracs secs et surtout rouliers. À l’inverse, pour la filière des vracs liquides, les consommations d’énergie de la partie maritime et de la partie terrestre sont du même ordre.
Les émissions de la partie maritime du passage portuaire représentent de 80 % à 98 % des émissions totales du passage portuaire selon le polluant concerné.
Les émissions « délocalisées » (c’est-à-dire générées par des centrales électriques situées en dehors du port) de polluants et de CO2 représentent une part élevée des émissions liées au passage portuaire terrestre.
52,1 % de la consommation énergétique du côté « terrestre » du passage portuaire correspond à de l’énergie électrique. Cela se traduit par des émissions de CO2 et de polluant délocalisées au niveau des unités de production d’électricité.
La quasi-totalité (99 %) des émissions de SOx est délocalisée; elle correspond à la combustion du fioul lourd dans les centrales thermiques. De leur côté, les véhicules et engins fonctionnant à l’essence et au gazole dans le périmètre des ports n’émettent pratiquement pas de SOx.
La proportion des émissions délocalisées est moins élevée mais reste toutefois significative pour le CO2 (29,2 %), les NOx (8,4 %) et les TSP (7,2 %).
La part des émissions de CO2 et de polluants liée au passage portuaire dans le total des émissions de la chaîne de transport est loin d’être négligeable.
Pour une chaîne de transport intercontinentale de 4 000 km et pour des navires de taille standard (porte-conteneurs 2 200 EVP ou vraquier Handymax), la part des émissions liées au passage portuaire dans les émissions totales de la chaîne de transport se situe, selon la nature du polluant considéré, dans une fourchette de l’ordre de 15 % à 30 %. Pour le CO2, cette part est de l’ordre de 10 % à 15 %.
La part des émissions de CO2 et de polluants liée au passage portuaire dans l’ensemble des émissions de la chaîne de transport totale est très sensible à la distance du maillon maritime.
Pour un maillon maritime de 8 000 km, correspondant par exemple à une chaîne de transport Europe/Extrême-Orient, la part du passage portuaire dans les émissions totales de CO2 induites par la chaîne de transport est d’environ 10 %. A contrario, pour un maillon maritime court (100 km), cette part atteint 21 %. Pour les SOx, la part des émissions se situe dans une fourchette de 15 % à 83 %, et pour les NOx dans la fourchette de 13 % à 36 %.
Les résultats des calculs d’émissions liées au passage portuaire sont très sensibles au choix des valeurs retenues pour les facteurs d’émission de l’électricité.
Le total des émissions de CO2 du passage portuaire des sept GPM varie de 71 % selon que l’on choisit les niveaux de facteurs d’émission du kWh électrique basés sur le consensus actuel (pour le CO2: 91 g CO2/kWh, pertes en ligne incluses) ou un facteur d’émission de 300 g CO2/kWh (valeur estimée pour l’électricité consommée dans le cas de pics de consommation).
L’évolution des réglementations sur les émissions et les efforts déployés par les différents acteurs concernés contribuent à réduire les émissions liées au passage portuaire.
La présente étude a pour objectif d’évaluer la consommation énergétique et les émissions de CO2 et de polluants pour l’année la plus récente. Elle ne permet donc pas d’appréhender l’évolution de ces émissions dans le temps. Deux exemples permettent toutefois d’illustrer l’impact des réglementations récentes et des initiatives récentes de certaines catégories d’acteurs.
L’annexe VI de la convention internationale Marpol définit les contraintes réglementaires en matière de limitation de la teneur en soufre des combustibles lourds utilisés à bord des navires afin de limiter les émissions de SOx. Elle est complétée par la directive 2005/33 du 6 juillet 2005 qui fixe, entre autres, un niveau maximum de 0,1 % pour tous les navires au mouillage dans les ports européens. La teneur en soufre dans les combustibles de soute est actuellement de l’ordre de 2,7 %.
L’annexe fixe également des objectifs de réduction des émissions de NOx par palier. On se trouve actuellement, jusqu’en 2011, dans la plage d’objectif correspondant à une réduction d’environ 20 %.
Et maintenant?
Fort de ces études, sans oublier celle relative à la problématique du branchement électrique à quai (JMM du 2-10-2009; p. 14), que va en conclure le ministère chargé à la fois de l’Environnement et des Transports maritimes et des Ports? Les conséquences sanitaires de 3 000 t de particules générées par le passage portuaire pourraient « interpeller » Nathalie Kosciusko-Morizet qui a lancé en décembre dernier une phase d’expérimentation de six zones d’actions prioritaires pour l’air (JMM du 24/12; p. 4). Les présidents de conseil d’administration des GPM ne cessent de souligner la nécessité de « soigner l’acceptabilité sociétale » de l’activité portuaire. Cela peut-il se faire sans réduire la production de particules? Sans oublier celle venant du trafic maritime longeant les côtes, notamment celles du nord-ouest de la France.
La collecte des données relatives aux émissions des opérateurs de terminaux n’est pas été aisée, semble-t-il. Certains sont en mesure de fournir des informations détaillées pour chacun de leurs engins de manutention, permettant ainsi un calcul précis. Pour d’autres, les données se résument à un nombre d’engins par type; voire à la consommation annuelle totale de combustible, tous engins confondus.