Joie et tristesse à Split pour les ouvriers du chantier naval de Brodosplit lors de la mise à l’eau du cargo-mixte Piana fin novembre. Profitant de la présence de la presse étrangère, ils parlent des menaces qui planent sur leur chantier en précisant que le Piana est probablement l’un des tout derniers navires en cours de construction. Sur le slipway voisin, un pétrolier construit pour Stena. Un des dix pétroliers, dont 8 sisterships, commandés par la compagnie norvégienne à Brodosplit. Main-d’œuvre meilleur marché que STX France, les chantiers navals croates sont compétitifs en Europe mais pas à n’importe quel prix. Bruxelles demande à la Croatie de mettre fin à la perfusion de l’État à coups de larges subventions publiques, incompatibles avec l’adhésion prévue l’année prochaine au sein de l’Union européenne.
« Les aides d’État à la construction navale et les aides fiscales restent des éléments clés pour les négociations d’adhésion et exigent une attention particulière. […] Le gouvernement a présenté des plans de restructuration pour la période 2007-2012 à l’Agence croate de la concurrence (ACC) et à la Commission. Il a, par ailleurs, décidé de privatiser tous les chantiers navals croates. Cependant, malgré les mesures déjà adoptées, des efforts supplémentaires doivent être accomplis afin de mettre ce secteur en conformité avec les règles européennes et de l’ACC », précise la Commission européenne.
L’enveloppe publique représenterait jusqu’à 10 % du coût de construction d’un navire. Les appels ont bel et bien été lancés, il y a certes quelques réponses, mais les candidats ne se pressent guère car, entre-temps, la crise est passée par là.
« Nous traversons une période transitoire, nous devons adapter nos capacités et notre savoir-faire pour construire des navires complexes », explique Sresko Kurtovic, directeur commercial des chantiers de Brodosplit. Côté salariés, le discours est alarmiste, plus proche des préoccupations quotidiennes. « Bruxelles nous impose de mettre fin aux aides publiques et de procéder à la privatisation coûte que coûte. À Split, la société DIS, spécialiste de la fabrication de vis et qui possède trois sociétés à l’étranger, s’est dite intéressée par la reprise de Brodosplit mais elle n’a pas les fonds! Qu’allons-nous devenir? Ce chantier va fermer si le gouvernement ne trouve pas d’arrangement avec Bruxelles. Si je perds mon job, j’irai travailler aux chantiers en Allemagne », explique Goran Sablic, ingénieur en chef. Brodosplit emploient 1 000 salariés directement et 3 000 en comptant la sous-traitance locale. « En 30 ans, nous avons construit près de 300 navires, des unités à forte valeur ajoutée tels que les ferries et les pétroliers qui nécessitent un certain savoir-faire », poursuit Goran Sablic. En septembre, 3 000 ouvriers ont protesté contre la privatisation de leur chantier. Seuls les chantiers d’Uljanik à Pula, dans le nord du pays, parviennent à dégager des bénéfices. La construction navale est stratégique dans le pays puisqu’elle représente 15 % des exportations.