Dans leur rapport intitulé Évolution du fret terrestre à l’horizon de dix ans paru en juillet, René Genevoix et Alain Gille mettent en tête de leurs recommandations: « Reconstruire un système pertinent de recueil et de traitement des données ferroviaires (État/MEEDDM). »
Le système d’observation antérieur, reposant sur la SNCF et sa bonne volonté dans un cadre monopolistique, en hibernation progressive depuis 2002 avec l’approche de l’ouverture à la concurrence, moribond depuis 2006, a vécu, estiment les auteurs. La multiplication des entreprises ferroviaires et des gestionnaires d’infrastructure (RFF, réseaux portuaires, concessionnaires, réseaux locaux, etc.) oblige à repenser complètement le système, comme l’y appelait le rapport Bernadet de mars 2007 (issu d’une mission initiale en 2004 par le CGPC et les directeurs en charge des transports pour l’ensemble des données transports, en liaison avec le CNIS) et comme le permet l’article 1 de la loi no 2009- 1503 du 8 décembre 2009 relative à l’organisation et à la régulation des transports ferroviaires: « Pour l’exercice de ces missions, l’État et les autres personnes publiques précédemment mentionnées ont accès aux informations relatives au trafic ferroviaire et aux données économiques nécessaires à la conduite d’études et de recherches de nature à faciliter la réalisation des objectifs assignés au système de transports. Lorsque la divulgation de ces informations est susceptible de porter atteinte au secret des affaires, leur détenteur peut demander que leur diffusion à ces personnes publiques soit assurée par le ministre chargé des Transports. Dans ce cas, celui-ci désigne les services habilités à procéder à cette diffusion, en précise les conditions et modalités garantissant le respect de ce secret et arrête la nature des informations pouvant être rendues publiques. »
Il reste à traduire ces principes. C’est un travail lourd et partenarial, dont le pilotage incombe à l’État, et il ne faut pas en sous-estimer la difficulté. Dans le domaine du fret, nous suggérons d’expertiser les systèmes en place chez nos partenaires européens, en particulier l’Allemagne, où des dispositifs efficaces ont été mis en place au niveau national et dans les places portuaires (Hambourg par exemple). Les données ferroviaires rendues publiques, en particulier en Allemagne et en France, doivent par ailleurs être de niveau et précision comparables.
Outre les besoins propres de l’État, à satisfaire sans restriction pour sa bonne compréhension et l’exercice de ses tâches de régulation multimodale et de programmation, ainsi que l’appréciation réelle des progrès attendus du ferroviaire, une information pertinente, respectant les principes de la confidentialité commerciale, est à mettre à disposition des entreprises ferroviaires, des ports et autres gestionnaires d’infrastructures, des opérateurs de proximité, et plus généralement du monde des transports sur les flux (origines/destinations, en distinguant les origines portuaires et continentales/nature des produits à transporter, etc).
Données portuaires, données transports et commerce extérieur
Dans un domaine voisin, même si ce n’est pas le cœur de la problématique de ce rapport, on ne peut pas ne pas évoquer les insuffisances des données « commerce extérieur » et plus particulièrement de leur articulation avec les statistiques Transports, qui avaient fait l’objet également d’une recommandation du rapport au Conseil national de l’information statistique de mars 2007 (lire encadré 1). À partir du 1er janvier 1993, la réalisation du marché unique européen s’est accompagnée de la suppression des contrôles aux frontières intérieures, seule comptant la frontière extérieure de l’Europe (maintien du DAU uniquement pour les trafics pays tiers, instauration de la DEB en intracommunautaire, allégement des nomenclatures), d’où la perte d’informations précieuses pour apprécier la part du commerce extérieur français transitant par les autres ports européens et, en conséquence, des estimations des flux portuaires « de plus en plus grossières et entachées d’erreurs ». Depuis lors, force est de constater qu’avec la perte supplémentaire de données douanières (suppression en 2006 du tonnage des marchandises en intracommunautaire, seule restant la valeur; nouveaux allégements de données diverses), la situation a continué « à se dégrader: on voit apparaître, officiels ou non, des chiffres de plus en plus divers, voire fantaisistes. Il serait nécessaire, avec la collaboration active et sans réserves de l’administration des Douanes et des grands ports, de se pencher sérieusement sur cette question et de voir s’il est possible, au moins dans un certain champ, de reconstituer des indicateurs suffisamment fiables. Ceci en particulier pour les conteneurs, trafic stratégique et par essence très mobile ».
Extraits du rapport au CNIS* sur l’inventaire des besoins d’information sur les transports
En matière de connaissance des flux et des origines/destinations (O/D). Mode ferroviaire. « La mauvaise connaissance du fret ferroviaire constitue la faiblesse majeure, soulignée par tous… à l’exception notable de l’opérateur dominant. La base SITRAM du SESP a recueilli jusqu’en 2002 le fichier exhaustif du transport ferroviaire de marchandises en wagons complets (tonnage et tonnage kilométrique), avec les O/D de département à département. La précision des informations diffusées variait selon la nature du demandeur (administration centrale du MTETM, autres administrations, autres publics). Depuis l’année 2002, les données fournies par la SNCF ne le sont plus qu’à un niveau régional: dans le contexte nouveau d’ouverture à la concurrence (fret, depuis fin mars 2006, et demain voyageurs), l’opérateur historique se refuse à fournir des données commerciales susceptibles d’être publiées ou réutilisées par des biais divers et de faire in fine le jeu de ses concurrents. Or les données de niveau régional ne suffisent pas pour une connaissance pertinente des performances du ferroviaire et des flux modaux et intermodaux, ni pour les études de nouveaux projets d’infrastructures, de plus en plus intermodales, ni pour les débats publics, qui doivent répondre à des exigences croissantes. Il est absolument nécessaire de disposer des données départementales (liaisons département/département par nature des marchandises), en veillant à assurer ensuite différents niveaux de diffusion afin d’assurer la confidentialité de ces données (le SESP pourrait assurer cette confidentialité commerciale au titre du système statistique public). En outre, il n’existe pas de données ferroviaires par tronçons ou corridors. Recommandation: élaboration d’une loi statistique accompagnée de décrets d’application décrivant les données de prix et de volume que les opérateurs de transport ferroviaire doivent transmettre d’une part au régulateur et d’autre part à l’autorité statistique. Cette loi devra préciser les données qui doivent être rendues publiques ».
En matière de données portuaires et de flux internationaux.
Recommandation: « Améliorer la connaissance des flux conteneurisés et rouliers; approfondir la coopération avec les Douanes et Eurostat pour améliorer la qualité des données sur les importations et exportations; établir des relations bilatérales avec nos principaux voisins européens pour compléter les informations douanières; élaborer avec les ports autonomes un système d’observation modal des entrées et sorties terrestres et des hinterlands portuaires; approfondir, moyennant un benchmark efficace, le suivi des grandes évolutions internationales dans le domaine de la logistique et de la conteneurisation. »
* Conseil national de l’information statistique. Rapport no 102 de mars 2007
Accès incertain à l’hinterland lointain
Dans les annexes du rapport rédigé par MM. Genevoix et Gille figurent des rappels « déplaisants ». Ainsi la mission Saint-Étienne (automne 2008) chargée de réfléchir sur le thème « Quelles infrastructures physiques, énergétiques et numériques pour donner à la France le point de croissance qui lui manque? » consacre un chapitre sur les ports. On y lit qu’« en résumé, en matière d’investissements d’infrastructures portuaires et terminaux nouveaux, les grands ports sont a priori à même de faire face, fût-ce plus difficilement au Havre et à un coût élevé de restructuration (les disponibilités foncières sont bien moindres qu’à Fos), en mobilisant les importants gisements de productivité permis par la réforme portuaire. Mais il n’en sera pas de même aux interfaces avec les modes terrestres (écoulement et acceptabilité des flux routiers, interfaces avec le fer et le fluvial, dessertes routières de proximité), d’une part, pour la desserte de l’hinterland lointain d’autre part:
1. Les nouveaux Grands ports maritimes ont, avec la nouvelle loi de juillet 2004, des missions élargies de pilotage et d’aménagement tous modes à l’intérieur et aux abords de leur circonscription, où d’importants investissements sont nécessaires. Cette nouvelle donne facilitera indiscutablement les actions nécessaires en matière de dessertes rapprochées, mais ne suffira pas.
2. Restaurer la compétitivité longue distance du fer est un enjeu national majeur, impliquant de profondes réformes pilotées par l’État stratège, en liaison avec ses opérateurs ferroviaires: à défaut de telles réformes, et vu les limitations géographiques du réseau fluvial à grand gabarit, la desserte compétitive des hinterlands lointains ne saurait être assurée et les objectifs prioritaires de report modal sur les modes massifiés resteraient totalement hors d’atteinte.
Perspectives qui seraient évidemment en totale contradiction avec les objectifs de la réforme portuaire en cours comme avec ceux du Grenelle de l’environnement ».