Éloquence des chiffres: les chantiers navals chinois ont, au cours du premier semestre 2010, construit et livré 8,01 millions de tonnes brutes (Mtb), et les Coréens 7,48 Mtb. Toujours sur la même période, ils ont engrangé 5,02 Mtb de commandes, contre 4,62 Mtb à leurs concurrents du Pays du matin calme. Bref, même si certains estiment que les Hyundai, Daewoo, Samsung et autre STX pourraient rattraper leur retard sur l’ensemble de l’année, la plupart des analystes estiment que la Chine est en passe de devenir durablement le premier constructeur naval de la planète avec, comme avantages aujourd’hui déterminants, des coûts inférieurs, des délais plus courts et des capacités physiques de développement que n’ont sans doute plus les Coréens sur leur littoral.
À Séoul, au siège de la Korea Shipyards Association (Koshipa), on veut néanmoins garder la tête froide, en soulignant d’abord le côté « artificiel » de la stratégie chinoise, soutenue par de fortes commandes de l’État « qui ne correspondent pas forcément à une réelle logique d’offre et de demande ». L’on rappelle aussi qu’une partie non négligeable de l’offre chinoise est en fait… coréenne, car la plupart des grands constructeurs du pays ont depuis plusieurs années investi dans des joint-ventures en Chine. STX a même donné le la d’une nouvelle approche en la matière, en s’alliant récemment avec les Chantiers navals de Dalian en vue d’une véritable stratégie de coproduction: les blocs de navires sont produits à Dalian, transportés par mer sur des barges géantes semi-submersibles, jusqu’à Jinhae, principal site coréen de STX où ils sont ensuite assemblés et équipés, ce qui permet à STX de concentrer ses efforts sur les parties les plus complexes.
Se réserver le haut de gamme et garder un avantage technologique, telle est ainsi la stratégie retenue par les chantiers navals coréens pour garder la main. Koshipa l’a baptisée d’un sigle évocateur, « Smart », pour Standards for global shipbuildings, Market order by clients and for clients, Adaptation to green economy, Reinforced core capacity, Transcend border. Avec Smart, la course à la productivité est lancée pour construire dans des conditions optimales des navires et équipements diversifiés, à haute valeur ajoutée.
La marine de croisière et de plaisance constitue une première cible: on sait que STX s’est doté d’un outil performant en la matière en acquérant les chantiers navals de Saint-Nazaire. Samsung est aussi sur la brèche, qui a notamment obtenu la commande d’un paquebot de luxe pour l’américain Utopia fin 2009. Hyundai s’est également mis à construire des yachts et autres navires de plaisance. Le militaire est un autre débouché: Daewoo vient d’achever son neuvième sous-marin pour la marine coréenne et STX produit des vedettes rapides pour les garde-côtes.
Autre priorité coréenne, le développement de navires « verts ». Hyundai et l’allemand Man ont mis au point le premier moteur répondant aux normes d’émission des oxydes d’azote (NOx) établies en 2008 par l’OMI. Samsung, qui fait quant à lui le pari que tous ses navires dégageront, d’ici 2015, 30 % de gaz à effet de serre en moins par rapport à sa production actuelle, vient de remporter en la matière un succès prometteur, en signant avec le norvégien Viken pour la construction de cinq tankers navettes de 100 000 t, de la catégorie récompensée d’un « Green ship award » à la Nor-Shipping de 2009.
Une coopération internationale élargie est également à l’ordre du jour. Koshipa et STX ont ainsi signé cette année un mémorandum d’accord avec Abu Dhabi Shipbuilding, en vue de développer des opportunités d’affaires communes, et travailler ensemble sur le design naval et les solutions intégrées de conception et production de navires.
Une course sans fin? Un analyste rappelle que les Chinois ne produisaient pas de tankers propulsés au gaz naturel liquéfié il y a quelques années, mais qu’ils en maîtrisent aujourd’hui la technologie. La construction navale ne sera jamais un long fleuve tranquille, en Asie moins qu’ailleurs.