Journal de la Marine Marchande: en 2008, lors de la dernière édition de notre dossier sur les ports de Bretagne, vous nous avez expliqué le concept de port breton. L’idée était de créer une synergie et une complémentarité entre les ports dont vous êtes devenus propriétaire: Brest, Lorient et Saint-Malo. En deux ans, quelles ont été les étapes franchies dans le processus de mise en place de ce concept?
Jean-Yves Le Drian: Les ports bretons doivent être en résonance, et non plus en concurrence, chacun faisant fructifier ses atouts au service du développement régional.
La Région a assumé pleinement son rôle de propriétaire, d’autorité portuaire et d’autorité concédante. La passation des nouveaux contrats de concession de Brest et de Lorient a permis de renouveler, sur des bases de confiance et dans le respect des prérogatives de chacun, les relations concédants – concessionnaires, avec des concessionnaires marqués par leurs ambitions pour les ports dont ils ont la charge, au service du territoire.
Les conseils portuaires, présidés par la Région, permettent une animation collective des places portuaires, génératrice de compréhension mutuelle des différents acteurs.
Parallèlement, le comité de pilotage stratégique portuaire régional, qui s’est réuni pour la première fois le 21 janvier 2008, sous la présidence de la Région, a vocation à fixer le cadre stratégique pour l’ensemble des ports régionaux et constitue la garantie d’un « port de Bretagne » au service de l’ensemble de l’économie bretonne.
JMM: En 2009, vous avez établi un plan stratégique pour les ports. Quelles sont ses lignes directrices et les actions achevées?
J-Y.L.D: La stratégie portuaire régionale a été adoptée à l’unanimité par la Région en janvier 2010, après un travail important de concertation mené en 2009 avec les acteurs portuaires, et coordonné par le comité de pilotage stratégique portuaire régional. Cette stratégie affirme que les ports doivent être un outil au service du développement économique. Elle donne des orientations précises de développement afin de permettre l’adaptation des collectivités et des acteurs économiques aux évolutions futures. Les éléments marquants de la stratégie portuaire pour les trois ports régionaux sont:
Pour le port de Saint-Malo: l’adaptation des capacités pour le trafic transmanche, la mise à disposition de nouveaux espaces pour les industries « pieds dans l’eau », l’aménagement de l’avant-port.
Pour le port de Lorient: la constitution d’un pôle spécialisé interrégional dans l’agroalimentaire, l’augmentation des capacités d’accueil – la stratégie foncière permettant un développement du port dans le respect de son environnement urbain – le développement de capacités pour la construction et la réparation navale.
Pour Brest: le positionnement du polder pour des capacités portuaires adaptées aux filières d’énergies marines renouvelables, la modernisation des outils de réparation navale, l’augmentation des capacités d’accueil et de traitement pour les trafics agroalimentaire et conteneur.
JMM: Lors de la régionalisation des ports, il est apparu pour beaucoup de régions des difficultés d’investissements dans les ports en raison du manque de transfert des dotations de l’État vers ces collectivités locales. Vous vous étiez engagé en 2008 à maintenir les investissements initiés par l’État. Quelles sont les réalisations effectuées par la Région Bretagne au cours de ces deux dernières années et quel est votre programme d’investissement sur le moyen terme (sur les cinq prochaines années)?
J-Y.L.D: Pour l’année 2010, la contribution financière de la Région s’élève à 27 M€. Elle investit notamment dans les infrastructures et dans l’entretien des équipements pour développer l’offre et la qualité des services offerts aux navires.
La modernisation de la forme de radoub no 1 a été inaugurée à Brest en juillet, l’opération d’agrandissement de la capacité d’accueil du port de Lorient (site de Kergroise) sera mise en service à l’automne (le nouveau quai et le nouvel appontement sont déjà en service), la reconversion à Lorient du site de la rive gauche du Scorff au service des acteurs de la construction et de la réparation navale est en cours, le nouveau quai Charcot à Saint-Malo est achevé. Toutes ces opérations, menées sous la maîtrise d’ouvrage de la Région, démontrent la maturité de la compétence portuaire.
De plus, la Région s’est lancée dans une démarche d’informatisation de ses ports afin de doter les places portuaires d’un outil performant de gestion des escales et de traitement des données marchandises, et de répondre aux obligations réglementaires de la Région Bretagne en tant qu’autorité portuaire.
Le programme d’investissement à moyen terme correspond aux priorités identifiées dans la stratégie portuaire régionale.
JMM: La géographie de la Bretagne place cette Région dans une situation internationale de choix. Les ports développent peu l’aspect conteneurisation et les autoroutes de la mer. Est-ce un axe de développement pour les prochaines années et sous quelle forme?
J-Y.L.D: La filière conteneurs a été initiée sur le port de Brest et représente un trafic d’environ 26 000 t de marchandises, soit environ 26 000 EVP. Les perspectives sont estimées à plus de 1 Mt soit 100 000 EVP. Aujourd’hui, un quai du port de Brest est équipé pour la manutention et le stockage des conteneurs mais, pour autant, le port ne dispose pas encore d’un terminal dédié. Pour atteindre l’objectif fixé il ne suffit pas de doter le port des moyens adaptés (terminal, portiques…) mais de mener au préalable une importante réflexion sur la restructuration du système d’organisation des flux en Bretagne, afin de construire une logistique régionale tout en optimisant la collecte et la desserte terrestre.
Une première étape consisterait à étudier l’organisation d’une collecte régionale intermodale, alliant le fer, la route et le maritime, permettant de massifier le trafic sur Brest et de donner à ce port un développement sur ce secteur que justifie sa position privilégiée au sein de l’arc atlantique.
Le trafic roulier, hors transmanche ne s’est pas développé sur les ports de Bretagne, bien que les ports de Brest et de Lorient soient dotés d’une rampe pour accueillir ce type de navire spécialisé. Ils peuvent ainsi faire preuve d’une grande réactivité en cas de mise en place de lignes feeder ou d’autoroutes de la mer et étudier les diverses opportunités. Lorient en particulier doit étudier la possibilité de développer des flux vers le Maghreb.
JMM: Parler de ports sans aborder les pré et post acheminements serait incomplet. Ce point devait entrer dans la notion de « port breton » avec un accent mis sur le ferroviaire. Êtes-vous arrivé aux objectifs que vous vous étiez fixés?
J-Y.L.D: Le travail de construction de la stratégie portuaire a mis en évidence la nécessité d’une stratégie logistique collective, permettant à l’économie bretonne de s’adapter à l’évolution des systèmes de transport, qui doivent de plus en plus reposer sur les modes alternatifs à la route.
Les ports sont en effet, par nature, des plates-formes logistiques multimodales permettant de massifier les flux et offrant trois modes performants de desserte (maritime, routier et ferroviaire). C’est forte de ce constat que la Région s’est engagée dans l’élaboration d’un « plan fret breton ».
Par ailleurs, un contrat de filière IAA a été adopté en janvier 2010, et le premier comité technique de mise en œuvre a eu lieu le 28 septembre 2010. L’enjeu logistique-transport a été considéré comme prioritaire, au vu de la position géographique de la Bretagne et du renchérissement prévisible du coût du transport routier (énergie et fiscalité verte). Les ports, déjà fortement impliqués dans la logistique de la filière (44 % des trafics en volume), seront au centre de la mise en place d’une logistique « durable », qui impliquera un report modal du routier vers le mode maritime et ferroviaire.