Le slow steaming, du point de vue de la calculette

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L’interview de Gianluigi Aponte, fondateur et président de MSC (JMM 4732/33 du 27/8) suscite quelques commentaires. Interrogé sur le slow steaming mis à la mode par Mærsk, MSC et CMA CGM, il évacue rapidement la question. On comprend sans peine, dit-il, qu’il est plus économique d’augmenter le nombre de navires plutôt que la vitesse. C’est évident pour un jour/navire à la mer donné. Une économie journalière de 40 000 $ ou plus sur 8 ou 10 unités permet de s’offrir beaucoup de jours/navires. Mais c’est moins évident sur un voyage, et moins encore pour un système de transport, sauf à réduire la capacité dynamique, donc la recette commerciale. Ceci, les armateurs ne l’envisagent pas publiquement.

En effet, si le slow steaming réduit la consommation journalière à la mer, il y a en contrepartie plus de jours de mer, donc plus de jours de consommation. Par ailleurs, les navires ajoutés, même à vitesse réduite, consomment eux aussi du combustible. On peut donc légitimement se demander ce qu’il reste des économies de soutes au terme du cycle commercial à recettes constantes.

En première approximation, on peut estimer et comparer les consommations dans les deux cas de figure: vitesse élevée (le standard jusqu’à présent) et vitesse réduite. Une calculette de poche fera l’affaire. L’examen se limite à la route Europe-Asie et aux très grands navires de 12 000 EVP à 14 000 EVP qui y sont déployés et qui font l’objet de « l’innovation » slow steaming.

91 000 t de fuel pour huit ou dix navires, selon leur vitesse

Le schéma opérationnel classique d’un service Europe-Nord Asie met en ligne huit navires qui effectuent des rotations de 56 jours. Le cadencement hebdomadaire est exigé par l’organisation inflexible des terminaux. La distance maritime en route libre est de 22 000 milles (11 000 × 2) qui sont parcourus à la vitesse de 24 nœuds, proche du maximum. La consommation est estimée à 300 t par jour à la mer. Nous aurons ainsi:

– temps à la mer: 38 jours (22 000 milles à 24 nœuds);

– temps au port: 18 jours;

– temps du voyage: 56 jours;

– consommation en route libre du voyage: 11 400 t (38 × 300);

– consommation du système: 91 200 t (11 400 × 8).

Par « temps au port », nous entendons tout ce qui n’est pas en route libre, c’est-à-dire bien sûr les opérations commerciales, mais aussi les manœuvres portuaires, passages d’écluses, chenalages, transits canal, attentes pilote et toutes circonstances dans lesquelles ni l’armateur ni le capitaine n’ont la maîtrise de la vitesse. Le « temps au port » ainsi défini est indépendant de la vitesse à la mer choisie.

Avec le slow steaming, l’armateur met en ligne sur ce même service 10 navires et non plus 8, qui effectueront chacun des rotations de 70 jours, préservant ainsi la fréquence hebdomadaire dans chaque port. Dans le cycle commercial de 8 semaines, chaque port aura vu passer 8 navires comme à l’accoutumée, mais il y en aura 10 dans le service. Les recettes commerciales, en revanche, ne seront pas affectées. La vitesse à la mer sera de 17,6 nœuds et la consommation estimée à 175 t par jour à la mer. Nous aurons alors:

– temps à la mer: 52 jours (22 000 milles à 17,6 nœuds). La précision de ces 17,6 nœuds peut paraître suspecte. Elle est imposée par la durée du voyage qui doit être un multiple de 7;

– temps au port: 18 jours (inchangé);

– temps du voyage: 70 jours;

– consommation en route libre du voyage: 9 100 t (175 × 52);

– consommation du système: 91 000 t (9 100 × 10).

L’égalité est presque parfaite. Pour un volume égal de marchandises transportées et à recettes constantes, aucune économie sur le combustible n’est réalisée. L’armateur, en revanche, supporte le coût additionnel de deux navires sans aucune compensation commerciale. Les armateurs communiquent beaucoup sur le slow steaming mais restent étrangement très évasifs sur ce dernier point. Cependant, cet exercice n’apporte pas la preuve qu’aucune économie de combustible n’est réalisable. En effet, les valeurs de 300 t/j et de 175 t/j proviennent d’un pointage à main levée sur une courbe asymptotique standard de consommation. Si, par exemple, la consommation à 17,6 nœuds était de 160 t et non de 175 t, alors il y aurait un gain significatif, mais certainement pas dans l’ordre de grandeur du coût permanent de deux très grands navires, sans même évoquer les coûts d’escale ou de transit du canal de Suez des deux navires supplémentaires.

Plus les navires sont grands, plus il en faut!

Par ailleurs, dans une autre partie de l’entretien, Gianluigi Aponte brise un tabou, celui des limites de l’économie d’échelle. Il souligne le fait (évident) que plus grand est le navire, plus long est le temps d’immobilisation au port. Restant dans sa logique, il préconise d’augmenter encore le nombre de navires, ceux-ci, semble-t-il, ne coûtant rien. Ainsi, plus les navires sont grands, plus il en faut. C’est troublant!

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