Journal de la Marine Marchande (JMM): Pour quelle raison avez-vous pris le pari de reprendre le plus gros chantier de Marseille?
Ferdinando Garrè (F.G.): SGDP, société italienne de 150 personnes fondée en 1928, souhaite se développer et apporter un service de qualité à sa clientèle qui a tendance à faire construire des navires toujours plus imposants. Nous exploitons à Gênes cinq formes de radoubs, mais la plus grande mesure seulement 270 m de long pour 40 m de large. Ce n’est pas suffisant et Marseille possède des infrastructures capables d’accueillir des navires de dernière génération avec des formes de 320 m de long pour 50 m de large! Nous étions déjà candidats au rachat de CMR en 2006, mais nous n’avons pas été retenus.
JMM: Quelles ont été vos premières impressions en pénétrant sur le site?
F.G.: Je me suis dit que c’était vraiment formidable d’avoir accès à de telles installations. Les clés de l’entreprise m’ont été remises le 20 juillet, mais il a fallu remettre en état le site abandonné depuis deux ans car nous démarrons à zéro et sans aide publique. Il a fallu remettre en état l’ascenseur, les bureaux, les ateliers, couper les herbes… Chantier Naval de Marseille (CNM) est une nouvelle compagnie et nous héritons d’un fonds de commerce sans clientèle. Nous allons investir 5 M€ dans les outillages et la remise en route du site. Les deux premières années, nous prévoyons de réaliser un chiffre d’affaires annuel de 15 M€ à 20 M€ par an. Nous démarrons doucement.
JMM: Quasiment le même nom et même logo que Compagnie Marseillaise de Réparations… Pourquoi?
F.G.: Nous souhaitons vivement poursuivre la culture et la tradition marseillaise du shipping. Chantier Naval de Marseille (CNM) est une SAS indépendante dont l’actionnaire unique est SGDP. De plus, les salariés sont tous Marseillais à deux exceptions près: le directeur technique et le directeur administratif, qui sont Italiens. Nous venons de recruter 45 personnes mais, d’ici la fin du mois, nous devrions être entre 60 à 65. C’est l’effectif minimum pour un chantier de cette envergure, même si j’aspire à atteindre la centaine de salariés. Nous avons du mal à recruter de la main-d’œuvre qualifiée dans la région, car à chaque dépôt de bilan l’entreprise a perdu un peu de son savoir-faire. La moitié de notre effectif est composée d’anciens salariés d’UNM: des jeunes et des plus anciens. Nous recherchons des directeurs techniques, des ingénieurs d’armement, des superintendants, des chefs de bord. Je passe deux jours par semaine à Marseille, mais je cherche également un directeur sur place à temps plein.
JMM: Votre prédécesseur s’est heurté aux syndicats sur le terrain de la sous-traitance. Comment se passent les discussions avec la CGT et comptez-vous recourir à de la main-d’œuvre extérieure?
F.G.: La sous-traitance est indispensable! Par définition, un chantier de réparation navale a une activité très cyclique. Un armateur peut vous appeler à n’importe quel moment si son navire est en avarie; nous devons être capables de gérer les montées en charge et les baisses d’activité. Nous sommes maîtres d’œuvre sur les navires et sommes spécialisés en chaudronnerie, mécanique, sécurité et tuyauterie. Nous faisons appel à la réparation navale de spécialité: peinture, travaux électriques… Nous devons être flexibles et bien organisés pour servir du mieux possible nos clients à un prix raisonnable. Nous achetons du service auprès des entreprises locales et des sociétés extérieures en cas de besoin. Nous parlons avec le syndicat CGT, nous sommes ouverts au dialogue. Ils ont visité notre chantier génois. Je préfère qu’il y ait un représentant des travailleurs et avoir un dialogue franc et ouvert avec lui. On discute et on finit toujours par trouver une solution. En Italie aussi nous avons des grèves!
JMM: Vous arrivez à Marseille alors que le port connaît une des plus graves crises de son histoire. Comment vivez-vous cela? Comment avez-vous pu faire rentrer deux navires?
F.G.: Nos navires sont rentrés juste au moment où les agents du port n’étaient pas en grève. Nous avons eu de la chance. Je viens d’arriver et je n’ai pas de commentaire à faire sur cette situation car je ne connais pas le contexte. Néanmoins, tout ceci ne me paraît pas clair. Pour être franc, je démarre une nouvelle activité sur le port, créatrice d’emplois, et j’ai besoin du soutien de l’ensemble de la Communauté portuaire. Pour vous donner un exemple, en 2009 à Gênes, nous avons reçu un navire sur lequel nous avons réalisé 60 M€ de travaux de conversion, 10 M€ pour SGDP et 50 M€ pour les entreprises qui travaillent avec nous. J’aimerais qu’il en soit ainsi à Marseille.
JMM: Avez-vous rencontré les armateurs de la place marseillaise?
F.G.: Bien entendu! La plupart sont déjà clients de SGDP. Nous misons également sur le développement de la croisière à Marseille. Pour les opérateurs de croisière, il est capital de respecter les délais et le fait d’être situé dans un port tête de ligne est un atout incontestable. Nous travaillons pour Costa Crociere, Seabourn Cruises, Pullmantur, Iberocruceros, Louise Cruises… Le plus délicat, à présent, c’est de convaincre les armateurs de venir se faire réparer à Marseille car ils ont peur d’être pris en otage. Nous devons conquérir leur confiance avec l’aide du port et des entreprises sous-traitantes.
JMM: Quels sont vos premiers chantiers?
F.G.: Euroferry-Malta est notre premier navire. Il est arrivé il y a dix jours avec un problème sur sa propulsion et nous sommes en train de le remettre à flots. Il doit appareiller le 21 octobre. Le second est le paquebot Seven-Seas-Navigator. Nous prévoyons dix jours de cale sèche pour intervenir sur les hélices. Nous attendons également le Pacific-Dream de Pullmantur qui a un réducteur endommagé.
JMM: Quels sont vos concurrents dans le bassin Méditerranéen?
F.G.: La disparition des chantiers Union Naval de Barcelona est une très bonne nouvelle pour nous. Mais nous avons toujours des concurrents sévères à Palerme, Trieste, Palumbo près de Naples, Malte, Algésiras, Lisbonne, sans oublier les chantiers turcs.