Le mouvement social dans les ports français prend un nouveau visage. Depuis le 1er octobre, la FNPD CGT a lancé un mot d’ordre pour la fermeture des ports les samedis et dimanches. Une situation nationale qui s’amplifie selon les établissements. En effet, à Marseille, le mouvement qui paralyse les terminaux pétroliers dure depuis deux semaines. La pénurie se fait surtout ressentir dans l’Île de Beauté. À La Rochelle, les ouvriers portuaires se sont invités à une réunion, le 1er octobre, à la préfecture. Manifestation qui s’est terminée par une vitre cassée et le blocage, pendant quelques jours, du port.
Ce mouvement social portuaire est amplifié avec celui sur la réforme des retraites. Plusieurs centrales syndicales ont lancé un mouvement de grève illimité à partir du 12 octobre. Un mot d’ordre qui pourrait aussi se répercuter dans le milieu portuaire. Actuellement, deux camps s’opposent. D’une part, la FNPD CGT demande des négociations pour « finaliser les accords respectant l’ensemble des termes prévus par l’accord-cadre national du 30 octobre 2008 afin d’apporter les légitimes garanties aux salariés qui font vivre les ports français ». Le syndicat souhaite que les négociations sur la convention collective unifiée et la cessation anticipée d’activité aboutisse. Le projet de texte de cette convention collective est actuellement sur le bureau du ministère des Affaires sociales. « Dominique Bussereau a pris des engagements en février pour faciliter la mise en place du dispositif (de cessation anticipée d’activité, ndlr) », indique un texte de la FNPD CGT. Dans ces conditions, le syndicat se tourne vers le gouvernement pour lui demander de respecter les engagements. Parmi ceux-ci figurent notamment les facilités que le secrétaire d’État aux Transports devait faire jouer pour favoriser l’acceptation par son homologue des Affaires sociales.
Les engagements de Dominique Bussereau
Dans l’autre camp, les propos ne sont parfois pas si différents. Ainsi, l’Union maritime des ports français (UMPF, regroupant les différentes unions maritimes de chaque port) s’indigne des mouvements sociaux qui perdurent dans les ports depuis le début de l’année. « Les ports subissent des mouvements de plus en plus dur, le dialogue est rompu et il semblerait même que le ministre en charge de ce dossier ne reçoive plus la FNPD CGT », note un texte de l’UMPF. Les conséquences pour les entreprises portuaires se chiffrent d’ores et déjà en milliers d’euros de perte. « Nous demandons à l’État de prendre ses responsabilités pour faire aboutir la réforme portuaire dans le respect de la loi du 4 juillet 2008. » L’UMPF souhaite aussi un entretien avec le ministre. De quelle responsabilité fait état l’UMPF? La FNPD CGT demande aussi au ministre de tenir ses engagements afin qu’avance le dossier. Dans un registre plus radical, Armateurs de France et TLF (organisation représentant les commissionnaires en transport) « souhaitent exprimer leur incompréhension face à la situation actuelle compte tenu des nombreuses avancées et accords obtenus en particulier en termes de garanties sociales ». Les deux organisations rappellent leur attachement à cette réforme et « déplorent la mauvaise image de marque donnée par ces mouvements ». Le Cluster maritime français s’aligne sur un cap presqu’identique. Dans une déclaration, il « appelle les personnels à ne pas mettre en danger – par des comportements excessifs qui mettent en cause l’activité présente et à venir de nos ports – les acquis nombreux dont la réforme en cours de finalisation est porteuse (tant sur le plan de l’emploi que sur celui des protections sociales importantes qui font l’objet des principales revendications des organisations syndicales) ».
Dans ce climat de tension sociale, la CNTPA CSOPMI, syndicat de personnel portuaire à Dunkerque, est plus modérée. Franck Gonsse, secrétaire général de ce syndicat, rappelle que depuis 18 ans, le port de Dunkerque a connu la paix sociale. « Nous demandons un calendrier sur les négociations à venir et aussi un projet phare pour le développement de notre port », souligne Franck Gonsse. Le 7 septembre, le syndicat n’a pas fait mouvement mais a tenu un conseil syndical pour poser ses revendications. Après avoir tenu des assemblées générales et des réunions avec les responsables locaux du port, la CNPTA CSOPMI a obtenu de la direction du port qu’elle disposerait d’un calendrier des négociations avant le 11 octobre. De plus, les projets de développement du port ont été abordés lors du conseil de développement du 29 septembre. « Si le 11 octobre, aucun élément nouveau sur le calendrier ne nous a été apporté, nous nous associerons au mouvement général de grève. » En d’autres termes, le syndicat est prêt à éviter les mouvements si les revendications trouvent des premières réponses.
Interrogé, l’Unim refuse de commenter la situation actuelle. « Nous nous remettons en ordre de marche pour les négociations », indique un représentant de l’organisation patronale.
Aujourd’hui, dans les ports, le mouvement social des ouvriers portuaires pourrait rapidement s’étendre dans la capitale. « Si le ministre ne donne pas plus de précisions, nous envisageons des mouvements devant le ministère pour demander un entretien rapidement », souligne des syndicalistes, sans que pour autant la situation se débloque dans les ports.
Mouvement explo sif sur les terminaux pétrole de Fos
Le 6 octobre, les agents des terminaux hydrocarbures observent leur 10e jour consécutif de grève. Alors qu’ils s’apprêtent à entrer en assemblée générale pour décider de la suite du mouvement, une flotte impressionnante de 44 navires, en majorité des pétroliers et des méthaniers, s’agglutine en rade de Fos. Le blocus est total et le climat extrêmement tendu. « C’est comme la plage du débarquement de Normandie », s’exclame Jacques Pfister, président de la CCI Marseille-Provence. Face au spectre de la pénurie d’essence (en partie effective en Corse) et la fermeture technique des raffineries, le gouvernement a dû faire un nouvel appel à la reprise.
« Un outil avec des investisseurs industriels! »
La colère des agents des terminaux hydrocarbures trouve sa source dans un rapport finalement adopté le 1er octobre par le conseil de surveillance du Grand port maritime de Marseille. Comme prévu, il acte la création d’une future filiale appelée à gérer les terminaux pétroliers, qui sera pour 40 % ouverte au privé. Dénommée Fluxel, 220 salariés du GPMM y seront détachés. « Ils pourront bénéficier jusqu’à leur départ à la retraite d’un droit de retour au port dans l’éventualité où la situation économique de la filiale se dégraderait. Et le modèle économique de la filiale démontre par ailleurs que la pérennité des emplois y sera assurée, même en cas de fermeture de plusieurs raffineries », tranquillise Jean-Claude Terrier, président du directoire du GPMM. Loin de rassurer les agents, un tel luxe de garanties confirme leurs craintes. « Les majors ne sont pas partie prenante et nous redoutons que la structure ne soit pas viable, cela oblige le port à avoir recours à des établissements bancaires », dénonce Pascal Galeoté, responsable CGT. « On ne veut pas avoir demain à se mobiliser contre l’arrivée de fonds de pension. Nous voulons un outil avec des investisseurs industriels, pas une logique économique basée sur la répartition de dividendes! »
« Un jeu dangereux »
La grande peur, c’est l’abandon du raffinage français et le naufrage du 2e port européen pour les hydrocarbures. Quatre des onze raffineries françaises sont concentrés sur le triangle Fos-Berre-Lavéra et représentent 30 % de l’approvisionnement national. Le mouvement pourrait d’ailleurs faire tache d’huile avec la jonction annoncée avant le 12 octobre des salariés portuaires et de ceux des complexes de raffinage. Jean-Claude Terrier qui a rencontré, en vain, le 4 octobre, les représentants CGT se dit désarmé. « Si on bloque le terminal pétrolier pour d’autres sujets que la réforme portuaire mais pour la réforme globale de la société française, alors ce jeu est extrêmement dangereux. »
Un peu plus de trois ans après un mouvement qui avait fait date, les terminaux pétrole refont donc la une de l’actualité. Ce mouvement explosif est venu percuter les 72 heures de grève observées dans tous les ports français à l’appel de la FNPD pour faire reconnaître la pénibilité dans le calcul de la retraite. Trois jours pendant lesquels toutes les activités portuaires de Marseille-Fos ont été paralysées à l’exception du trafic passagers. Ce qui n’a pas empêché trois paquebots d’être déroutés à cause du climat social et le spectacle rare du transfert de croisiéristes par chaloupe pour deux autres.
Robert Villena