« Une plate-forme de 84 ha gagnée sur la mer, 13 Mm3 de sable de remblai, 13 000 km de drains, 64 caissons de 2 000 t pour construire nos quatre quais, le tout représentant un investissement global de 703 M€. » Jean-Louis Lucazeau, directeur du chantier du lot 2-3 du terminal sud du nouveau port de conteneurs de Busan, pourrait aligner des dizaines d’autres chiffres tout aussi impressionnants pour décrire la tâche titanesque à laquelle Bouygues travaux publics et ses partenaires, réunis dans un consortium baptisé Busan New Container Terminal (BNCT), se sont attelés depuis décembre 2007. Au final leur projet, lorsqu’il sera mis en service d’ici la fin 2011, aura une capacité opératoire de 1,6 MEVP par an, qu’une extension – dont la réalisation pourrait débuter en 2012 – devrait porter, à terme, à 2,7 MEVP. Soit un cinquième environ de la capacité totale finale (13 MEVP) du nouveau port de conteneurs de Busan, si les trois terminaux et 30 quais, répartis en sept lots de travaux et d’exploitation programmés initialement par les autorités, sont effectivement tous réalisés. Busan, cinquième port mondial de conteneurs aujourd’hui, pourra donc d’autant mieux maintenir son rang (voire l’améliorer avec ces installations) que « le port actuel devrait continuer à être exploité jusqu’à obsolescence », explique Kim Gyop-Serb, directeur adjoint de la division portuaire du ministère coréen de l’Aménagement du territoire, des Transports et des Affaires maritimes (MLTM).
Depuis la crise, le mot d’ordre est cependant moins d’augmenter coûte que coûte les capacités que de les rendre les plus compétitives et efficaces possibles. « Sur notre plate-forme, les RMGC seront installés perpendiculairement à la mer, pour faciliter l’automatisation complète des opérations », explique ainsi Jean-Louis Lucazeau. « La profondeur des chenaux du nouveau port de Busan a été calculée pour accueillir les nouvelles générations de super porte-conteneurs. Nous y bâtissons en outre une vaste station d’approvisionnement en fioul et un atelier dernier cri de réparation pour permettre le ravitaillement et la maintenance des navires dans les meilleures conditions », renchérit Kim Gyop-Serb.
Les autres ports du pays bougent aussi, dans le cadre d’une stratégie ambitieuse des autorités visant à faire du pays du Matin calme le grand hub maritime de l’Asie nord-orientale, au carrefour de la Chine, du Japon et de la Russie. C’est notamment le cas d’Ulsan, troisième port du pays, utilisé par toute une série d’industries installées à proximité dont l’automobile, la construction et la pétrochimie. D’où la volonté d’y créer, « d’ici dix ans, le plus vaste terminal pétrolier d’Asie du Nord-Est », annonce Kim Gyop-Serb. Incheon, au quatrième rang, tout proche de Séoul, n’est pas en reste. Port de vrac essentiellement, il ne devrait pas moins se voir doter d’un nouveau terminal à conteneurs à l’horizon 2013, et d’une liaison fluviale avec Séoul: une passe autrefois utilisée pour réguler les inondations, à Gyeong-In, est en train d’être transformée en un véritable canal de navigation, qui permettra l’arrivée de navires au cœur de la capitale coréenne.
La Corée, qui au total compte 55 ports dont 30 à vocation internationale, les veut non seulement performants, mais aussi écocompatibles. « Nous encourageons le cabotage domestique, qui émet moins de carbone que les transports terrestres, par des subventions aux transporteurs qui s’y adonnent, note Kim Gyop-Serb. De même, l’intermodalité mer/rail est promue: l’opérateur ferroviaire national Korail s’engage à pratiquer des tarifs bas, et des voies ferrées sont construites pour desservir tant Busan que Gwangyang, deuxième port du pays. Enfin, nous dotons progressivement tous nos ports d’équipements énergétiques solaires, éoliens ou marémoteurs. »
Cette politique ambitieuse a un coût, et comporte des risques. La Corée, durement touchée par la crise des subprimes, est-elle à même de les assumer jusqu’au bout? L’heure est plutôt à l’austérité dans les finances publiques. À Busan, les lots du terminal ouest du nouveau port ont été ajournés. Quant au financement du projet mené par Bouygues et ses partenaires, fera-t-il figure de modèle pour l’avenir ou d’exception qui confirme la règle? « Contrairement aux autres tranches du port, qui toutes comportent au moins une partie de financements publics, la nôtre est financée sur des fonds entièrement privés. Nous nous rembourserons sur les résultats de la concession d’exploitation de 30 ans que les autorités nous ont octroyée, sans aucune clause de garantie de recettes », annonce Jean-Louis Lucazeau. Le MLTM évoque bien le recours à l’investissement privé pour les travaux d’agrandissement du port de Gwangyang, mais les perspectives de rentabilité de cette destination peu prisée semblent médiocres. Signe encourageant malgré tout, le trafic des ports coréens, en chute comme partout ailleurs depuis 2008, semble retrouver ses niveaux d’avant la crise. De quoi faire s’ouvrir à nouveau le portefeuille de l’État et des investisseurs?