Journal de la Marine Marchande (JMM): En 2009, le Grand Port maritime de Nantes Saint-Nazaire a affiché une diminution de 11,5 % de son trafic à 29,7 Mt. Hormis les céréales et le charbon, tous les postes sont dans le rouge. Cette mauvaise pente s’est-elle redressée sur les premiers mois de 2010?
Jean-Pierre Chalus (J.-P.C.): Sur les cinq premiers mois de l’année, nous enregistrons une progression de 7 %. Sur l’ensemble de l’année, nous prévoyons une progression de 2 Mt comparativement à 2009. Dans le budget annuel, nous avions prévu d’atteindre la barre des 34 Mt, mais avec les évolutions récentes, nous sommes plutôt sur un objectif à 32 Mt, soit toujours en hausse par rapport à 2009 et à quelques tonnes de notre trafic 2008. Sur les premiers mois de l’année, nous avons des points saillants intéressants. Nous avons une bonne une fin de campagne céréalière. Le charbon s’est stabilisé malgré un hiver doux avec un bas niveau d’activité, et le pétrole a repris. Pour ce dernier point, nous comparons ces chiffres avec ceux du premier semestre de l’année dernière, qui ont perdu de leur teneur en raison d’un arrêt de la raffinerie.
Les signaux d’inquiétude apparaissent sur les exportations d’essence vers les États-Unis. Nous devons être vigilants et surveiller attentivement ces mouvements. Nous constatons aussi des changements structurels sur la filière des vracs agroalimentaires. Leur baisse sur les six premiers mois tient principalement à une modification des approvisionnements. Les tourteaux, qui ont transité autrefois par le port, arrivent désormais directement en camion chez le consommateur, en provenance des pays européens. Sur ce dossier, nous avons une analyse à entreprendre avec l’ensemble des acteurs de la filière, et à jouer un rôle d’animateur de la place pour accompagner une nouvelle configuration de notre port.
JMM: Nous avons vu que sur les vracs la situation est mi-figue mi-raisin. Comment se sont déroulés les premiers mois de 2010 pour les marchandises diverses?
J-P.C.: Les marchandises diverses ont surfé sur la croissance. Sur le roulier, nous sommes en progression. Dans ce secteur, la reprise de l’économie mondiale se remarque. Si nous progressons en comparaison avec le premier semestre 2009, nous devons malgré tout constater un retrait de notre trafic par rapport à 2008. L’armement opérant la ligne sur Vigo restructure ses services. La CMHF (Compania maritima hispanico frances) fait actuellement construire deux navires avec une option pour deux autres. Elle pourra bientôt proposer trois départs par semaine. Cette reprise n’est pas encore totalement revenue, puisque l’opérateur affichait au préalable quatre services hebdomadaires.
Sur la conteneurisation, nous sommes satisfaits de nos résultats. Nous progressons de 13 %. Plusieurs éléments expliquent cette tendance. Nous avons profité d’une guerre des opérateurs pour la desserte de la façade atlantique depuis l’Europe du Nord. Désormais, les armateurs alignent des navires plus grands, de 1 500 EVP contre 800 EVP auparavant, et s’intéressent de près à notre établissement. Nous avons ainsi récupéré des lignes de Samskip et BG Freight. Nous n’oublions pas pour autant les services « mères », mais nous voulons permettre aux deux types d’armateurs de trouver dans le port de Nantes Saint-Nazaire des possibilités pour leurs navires. Un opérateur de terminal a besoin de mouvements de conteneurs, nous devons donc nous intéresser à l’offre commerciale.
Enfin, le bois, produit entrant dans les marchandises diverses, a connu une évolution structurelle forte ces dernières années. Avec la conteneurisation des bois depuis les pays producteurs, le terminal dédié à ce trafic perd peu à peu de sa substance. Les bois sont transférés de Cheviré au terminal à conteneurs de Montoir. Nous devons aussi nous interroger sur la place de Nantes dans les trafics de bois et le faire en coopération avec La Rochelle. Que va-t-il advenir de nos parcs à grumes si les négociants travaillent presque exclusivement sur des produits conteneurisés
JMM: La réforme portuaire s’est déroulée selon un scénario orignal dans le port de Nantes Saint-Nazaire. Après la période mouvementée et celle de transition, disposez-vous d’un calendrier sur les conditions dans lesquelles vont se réaliser les différentes obligations liées à cette réforme?
J-P.C.: Le Grand Port maritime de Nantes Saint-Nazaire a toujours eu comme stratégie de mettre en application la réforme portuaire telle que définie par la loi du 4 juillet 2008. Preuve en est, à la fin 2008, les premiers organes de gouvernance ont été mis en place. Depuis lors, le Grand Port maritime de Nantes Saint-Nazaire a eu trois présidents du directoire et trois présidents du conseil de surveillance. Hormis cela, nous avons continué d’avancer. Nous avons signé les actes de cession. Le 12 juin, la cession du Terminal à marchandises diverses et conteneurs de Montoir a été concédée à TGO (Terminal du Grand Ouest), structure comprenant SDV et CMA CGM. Le même jour, le terminal multivrac a été concédé, pour les terminaux 1 à 3 à Montoir Bulk, regroupant Sea Invest et MTTM. Le poste 4 a été signé avec Ciment de l’Atlantique et Sonastock. Roche Maurice a été concédé à Sonastock. Le 14 juillet, la signature de la concession du terminal charbonnier a été faite avec OTCM (Océan Terminal Charbonnier de Montoir), une structure regroupant EDF Trading et Sea Invest.
Les actes de cession ont été signés, les conventions de terminal aussi. Il ne reste plus qu’à passer à la troisième signature de la convention tripartite entre le port, les opérateurs et les partenaires sociaux. Ces trois actes disposeront de la même date de validité pour des raisons pratiques. Notre date butoir, au sens de la loi, nous offre jusqu’au 12 juin 2011. Nous pensons que la date du 1er janvier est une cible tenable pour finir les négociations avec les partenaires sociaux et les opérateurs de manutention.
JMM: Vous nous avez donné un détail des concessions des différents postes, mais il en manque à votre liste. Que va-t-il se passer sur les terminaux de Saint-Nazaire et de Cheviré?
J-P.C.: Sur le site de Saint-Nazaire, nous considérons ce terminal comme une continuité accessoire pour le port. Il va être exploité par une société dont le port sera partie. Quant à Cheviré, l’appel d’offres n’a pas donné lieu à des manifestations d’intérêt sur l’ensemble du terminal. Nous avons reçu une offre sur Cheviré. Nous entrons donc dans un schéma d’adjudication de gré à gré.
JMM: La réforme portuaire a aussi un volet social pour l’ensemble des personnels de l’ancien port autonome. Quel est l’avenir de ce personnel?
J-P.C.: Nous avons expliqué notre position sur ce point. Pour les 147 personnes liées à l’exploitation de l’outillage, nous avons apporté des solutions. Hors les terminaux de Saint-Nazaire et Cheviré, 86 personnes sont reprises dans une structure commune dont nous sommes en cours de négociation. Cela concerne les personnels de conduite d’engins, les exploitants techniques, ce que nous appelons la maintenance de niveau 1 et les agents de maîtrise. Comme le port conserve une part dans l’exploitant de Saint-Nazaire et tant que les terminaux de Cheviré ne sont pas attribués, nous conservons une partie du personnel. Des réunions se sont déroulées entre les employés et les futurs opérateurs de terminaux pour détailler leur organisation de terminal et leur besoin. Il reste 61 personnes. Parmi celles-ci, l’accord du 28 mai offre des possibilités de départ dans le cadre d’une cessation d’activité anticipée et pour les personnes qui sont à trois ans d’un départ à la retraite. Ces personnes pourraient être intégrées dans les équipes de maintenance du port (maintenance de niveau 2) qui seront conservées dans l’établissement. Nous avons des besoins de maintenance et nous souhaitons conserver dans notre giron une activité de maintenance. Celle-ci pourrait aussi contractualiser avec les opérateurs portuaires pour la maintenance de premier niveau de leurs outillages.
Nous sommes sur un mode normal et aucun élément ne nous permet de revoir notre date cible du 1er janvier 2011. Nous comprenons que les salariés aient de nombreuses questions et nous sommes prêts à apporter toutes les réponses nécessaires.
JMM: Ces propos concernent les salariés liés à l’exploitation de l’outillage. Il apparaît peu, dans ces discussions, de paroles pour les cadres du port dont les missions vont se modifier selon la loi. Dans quel état d’esprit abordez-vous les relations avec les cadres du port?
J-P.C.: Nous n’avons jamais passé les cadres du port au second plan. Des discussions ont lieu régulièrement avec eux. Nous avons pu constater que ces cadres sont attachés à leur établissement. Comme vous le soulignez, les missions du port vont s’en trouver modifiées avec la réforme, et les cadres du port sont disposés à suivre l’évolution du port dans sa mission. Ils demandent pour cela de disposer de formations. Nous ne sommes pas dans le même état d’esprit avec cette catégorie de personnel. Ils n’ont pas de revendications mais sont plutôt dans un esprit de demandeur, et prêts à construire le port pour son futur.
JMM: Le Grand Port maritime de Nantes Saint-Nazaire va inaugurer la première autoroute de la mer française le 16 septembre. Êtes-vous prêt?
J-P.C.: Nous attendons le feu vert. Tous les moyens sont là depuis la fin du mois de mai. La gare maritime, les parcs de stationnement, le ponton et les accès sont opérationnels. Depuis le premier semestre, nous avions comme échéance la seconde quinzaine du mois de septembre. Nous avons mis en œuvre tous les moyens pour être opérationnels en temps et en heure. Cela a représenté un investissement de 20 M€.
Cet investissement pour cette autoroute de la mer est doublement intéressant. Nous espérons que les liaisons entre Saint-Nazaire et Gijón seront une émulation pour la ligne sur Vigo.
JMM: Les investissements sont un poste important dans votre budget. Comment se déroulent les projets d’investissement avec les futurs opérateurs de ces terminaux?
J-P.C.: Nous avons entrepris des travaux sur le terminal à marchandises diverses de Montoir et le poste roulier. Au total, ce sont plus de 300 M€ qui sont investis sur ces postes. Sur le terminal à conteneurs de Montoir, nous envisageons une extension de quai. Nous avons produit des schémas reprenant plusieurs scénarios que nous avons partagés avec les opérateurs du terminal.
Les aménagements complets partagés avec les opérateurs sont prêts depuis le mois de septembre. Sur l’aménagement définitif du terminal pour un allongement du quai, nous sommes sur une phase de 10 à 15 ans. La première phase se déroule sur les trois à quatre prochaines années. Elle consacre une extension ponctuelle du quai sur une centaine de mètres pour pouvoir accueillir les navires de 6 000 EVP. MSC, principal client du port, nous dit être confiant de pouvoir amener des navires de plus grande taille si les conditions nautiques sont améliorées. Dans cette phase, nous devrons déplacer le terminal sablier et la passerelle Ro-Ro.
Derrière ces terminaux, nous sommes en cours de construction d’une plate-forme logistique sur une zone de 40 ha. Nous avons déjà réalisé 25 ha dont 75 % sont commercialisés par des investisseurs et des sociétés de logistique. Cette plate-forme doit surtout servir à des opérations de pré-chargement et de consolidation des marchandises.
JMM: Au regard du rapport remis par le député Roland Blum, les ports de la façade atlantique n’apparaissent pas. Vous pouvez aussi vous prévaloir d’une trimodalité avec le fleuve, le fer et la route, même si vous avez essuyé un échec sur le fluvial récemment. Quels sont vos projets de développement sur les pré et post-acheminements?
J-P.C.: Il y a une certaine maladresse de la part du parlementaire de ne pas avoir inclus dans sa réflexion de port de l’Atlantique. Cela est d’autant plus dommageable que les préconisations qu’il présente s’appliquent à notre cas de figure. Pour revenir plus précisément sur le Grand Port maritime de Nantes Saint-Nazaire, vous faites bien de rappeler notre trimodalité. Des trafics fluviaux sont réalisés sur la Loire depuis plusieurs années. Marfret, armement maritime, a tenté de lancer une ligne fluviale conteneurisée entre Montoir et Cheviré. Une tentative qui a échoué sur le long terme. Nous sommes persuadés qu’il existe un potentiel pour ce mode dans le port. Nous adoptons une approche pragmatique pour savoir où mettre le curseur et de quelle façon nous devons travailler avec les transporteurs routiers. Nous devons rebâtir une stratégie de montage de ce dossier.
Sur le ferroviaire, nous avons déjà dressé un premier bilan du réseau dont nous disposons. Nous avons 42 km de lignes. Nous avons entrepris des discussions avec le gestionnaire de ces lignes, RFF, et nous avons un plan d’action pour développer nos trafics. Nous ne pouvons pas nous permettre de louper le virage vers le ferroviaire. Pour cela, nous devons nous placer pour acquérir des sillons ferroviaires. Nous disposons sur Montoir d’une société qui peut accomplir les tâches dévolues aux opérateurs ferroviaires de proximité. Nous sommes prêts.
JMM: Vous avancez dans le cadre de la réforme portuaire et de l’adaptation aux nouvelles conditions économiques des ports. Quels seront vos objectifs quand toutes ces actions seront mises en place?
J-P.C.: La réforme portuaire mise en place, les nouvelles conditions du ferroviaire et le dossier sur le transport fluvial opérationnel, il faudra nous pencher activement sur les systèmes informatiques portuaires. Il s’agit là d’un sujet fort qui prendra une importance grandissante dans les prochaines années.