Comment éviter, autant que faire se peut, les lourdes erreurs de casting?

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C’est lors du 95e congrès de la FFPM tenu en avril 2009 que le sujet est devenu public: à la suite d’une grave erreur de sélection, la FFPM voulait tenter, en s’inspirant de l’aérien, de se prémunir contre les erreurs manifestes dans le choix d’un candidat pilote.

Assistée par Bruno Doat, ancien commandant de bord d’Air France devenu responsable du recrutement des pilotes, la Fédération s’est donc lancée dans un long processus. Les facteurs humains distinguent traditionnellement trois capacités, rappelle Bruno Doat: le « savoir » qui renvoie aux compétences techniques; le « savoir-faire », l’expérience acquise; et le « savoir-être », le comportement. Dans le cas d’un candidat pilote – nécessairement un capitaine de 1re classe ayant au moins dix ans d’expérience –, il est évident qu’il s’agit de s’intéresser au savoir-être, c’est-à-dire aux « qualités humaines » que la profession considère comme essentielles, souhaitables ou rédhibitoires. En clair, un pilote qui n’oserait pas s’exprimer à la passerelle ne peut pas être un « bon », quelles que soient par ailleurs ses qualités de manœuvrier, explique Frédéric de Moncany de Saint-Aignan, président de la FFPM. Autre exemple, un pilote un peu trop psychorigide risque de poser des problèmes car il n’est que le préposé du commandant qui, seul, décide de la manœuvre à réaliser (contrairement au pilote aérien). Dernier exemple essentiel, un pilote doit, idéalement, être capable de jauger vite et bien la qualité d’un équipage quelques minutes après être monté à bord.

Pour déterminer les comportements qu’il faut ou non valoriser, Bruno Doat et la FFPM se sont livrés à une analyse des tâches que tout pilote normalement constitué est amené à réaliser en y associant les comportements qui « vont bien ou non ». Exemple: dans la perspective d’une mission d’assistance à un pétrolier, que doit faire un pilote depuis le moment où il sort de chez lui jusqu’au moment où il revient? La bonne réalisation de ces différentes actions suppose quelles capacités comportementales? Capacité d’anticipations de difficultés susceptibles de survenir, rigueur dans la préparation de la manœuvre, prise plus ou moins détaillée de la météo, etc.

Ce long descriptif a été envoyé dans les stations pour y être critiqué, amendé puis validé (car il y a de fortes personnalités sur le littoral).

À partir de là, Bruno Doat a bâti un outil d’évaluation de la présence plus ou moins affirmée des comportements recherchés, ou au contraire indésirables, dans l’exercice du métier et/ou de la capacité à les acquérir.

Comme dans l’aérien, il ne s’agit pas de monter une usine à gaz particulièrement complexe mais de détecter, à moindres coûts, les contre-indications qui se manifesteront à un moment T. Cette observation instantanée constitue en elle-même une limite à l’exercice, car pour une raison ou pour une autre, à ce moment précis, un « bon » candidat peut ne pas être au mieux de sa forme, alors qu’un « moyen » peut « sur-performer ». Toujours est-il que l’outil proposé à la tutelle repose simplement sur un entretien individuel et une épreuve de groupe. Le candidat s’exprime-t-il facilement quand il est seul? Tente-t-il d’imposer son point de vue, avec diplomatie ou non, en groupe?

Il ne s’agit pas d’une aimable causerie. Les personnes – des pilotes – qui conduiront ces entretiens devront avoir été formées pour cela afin d’éliminer, autant que faire se peut, toute subjectivité, souligne Bruno Doat. Ils travailleront selon une grille d’évaluation commune sous la conduite d’un spécialiste de l’évaluation.

Les limites de l’exercice

L’activité de pilote portuaire étant en France particulièrement encadrée, rien ne peut se faire sans l’aval de la tutelle, les Affaires maritimes, qui ont leurs propres contraintes administratives. Pour des raisons juridiques complexes, explique le président de la FFPM, il ne pourrait y avoir de décision nationale. Les éventuels entretiens devront être autorisés à l’échelon local.

Autre contrainte lourde mais spécifique au pilotage: il n’y a guère que deux à trois candidats pour un seul recrutement local. Ce qui est peu compatible avec la conduite d’une bonne épreuve de groupe. Enfin, la réforme de l’enseignement supérieur maritime, vainement évoquée depuis des années, pourrait peut-être déboucher sur la décision de faire passer des épreuves de groupe aux futurs élèves officiers de marine marchande, croit comprendre Frédéric Moncanny de Saint-Aignan. Certaines contre-indications au métier pourraient ainsi être détectées. Il ne resterait donc plus qu’à faire passer un entretien individuel aux candidats pilotes.

En attendant d’y voir plus clair en ce qui concerne l’éventuel futur mode de recrutement des élèves officiers de marine marchande, le président de la FFPM souhaite valoriser le travail effectué en l’adaptant à la formation de l’élève-pilote, surtout durant sa première année de formation. Bref, en paraphrasant Saint-Just, les facteurs humains dans le maritime sont encore une idée neuve dans le village maritime français.

La motivation n’est pas un trait de caractère et se mesure mal

Il est généralement considéré comme normal de « perdre » environ 80 % des effectifs entre l’entrée en 1re année d’élève-officier de marine marchande et le brevet de capitaine de 1re classe. Compte tenu du coût de la formation pour le contribuable, ce dernier pourrait s’en émouvoir d’autant qu’une pratique est solidement installée dans les écoles françaises: aucun entretien avec le candidat pour tenter d’estimer sa motivation.

Commandant de bord chez Air France et ancien responsable du recrutement des pilotes de cette compagnie, Bruno Doat rappelle que la motivation est généralement définie comme la capacité dont dispose une personne pour mobiliser ses ressources face à une situation. La motivation n’est pas un trait de caractère mais un processus psychologique qui résulte de l’interaction entre l’individu et son environnement. Un individu est toujours motivé. La question est de savoir par quoi.

Dès lors, il est très difficile de mesurer le niveau auquel se trouve ce processus, surtout pour un jeune. Cela dit, à un instant T, il n’est pas inutile de prendre une « photo » en posant quelques questions: le candidat élève-officier a-t-il déjà suivi des cours de navigation aérienne (ou, pour rester dans le contexte maritime, fait-il de la voile de façon significative)? Que sait-il de son possible futur métier? Survalorise-t-il ce dernier? S’est-il au moins renseigné? Pourquoi est-il assis là?

Il faut écarter le « touriste opportuniste », résume Bruno Doat, et un entretien individuel, mené de façon rigoureuse, le permet.

Le commandant « vacataire » en panne de reconnaissance

Bruno Doat a écrit un article remarquable sur les compagnies aériennes, qui laissent leurs commandants de bord (qui sont, par profession, des nomades) devenir pour certains des « vacataires vendant leur expertise à une entreprise dont ils se désintéressent ou, au pire, qu’ils n’aiment pas », faute de reconnaissance. Ce mode de management, qui s’apparente à celui du « laisser-faire » par le Cockpit Ressource Management, a un effet négatif sur la sécurité des vols, estime Bruno Doat. « Les pilotes (aériens) sont la dernière barrière de protection contre l’accident. Leurs décisions prises dans le contexte opérationnel sont toujours un compromis entre l’objectif de production et la sécurité. Or, la construction de la décision n’est jamais purement cognitive, elle comprend une part d’affectif et une dimension motivationnelle. Si faute de reconnaissance, positive ou non, l’opérateur développe un affect négatif envers l’entreprise, sa motivation à respecter l’éthique et des règles de groupe peut devenir plus fragile. Parmi les pilotes vacataires, certains auront tendance à prendre des décisions égocentrées en faisant abstraction des règles opérationnelles liées à la sécurité des vols et, au-delà des erreurs, ils peuvent commettre des fautes. Même si cette perte d’appropriation est difficile à mesurer, elle est un facteur de risque qu’une compagnie ne peut se permettre de négliger. »

Transposée au maritime, que donne la probable faible reconnaissance des commandants et chefs mécaniciens dans les grandes compagnies maritimes?

M.N.

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