« Les chargeurs paieront le prix du service ou il n’y aura pas de service »

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Journal de la Marine Marchande (JMM): En avril 1997, lors de notre premier entretien, MSC était, selon le classement de YLG Liner Ship Consultancy, le 9e armateur mondial conteneurisé. Aujourd’hui, MSC occupe la 2e place avec une capacité de transport multiplié par 14. Comment résumeriez-vous ces treize dernières années?

Gianluigi Aponte (G.A.):

Tout le monde a fait, plus ou moins, la même chose. Les demandes de transport ont augmenté et nous avons accrû la capacité. Nous avons ouvert de nouvelles routes.

JMM: Pour la croisière, même constatation: en 1997, MSC exploitait quatre paquebots anciens. Aujourd’hui, vous en êtes à 11 récents dont la moitié achetés neufs. Pourquoi ce goût unique pour la croisière de la part d’un transporteur de marchandises?

G.A.: MSC exploite onze paquebots dont dix achetés neufs aux Chantiers de l’Atlantique. D’autre part, la croisière a des synergies avec le transport conteneurisé. Ce sont certes des hôtels, mais flottants, dont l’équipage assume une énorme responsabilité. Il faut de grandes et solides capacités techniques et humaines pour les exploiter correctement. Celles-ci sont fournies par l’activité de transport conteneurisé qui dispose de nombreux navigants. Nos meilleurs officiers de porte-conteneurs partent sur les paquebots.

JMM: La lettre d’intention portant sur un 11e paquebot à construire aux Chantiers de l’Atlantique est toujours en attente du financement final?

G.A.: Aujourd’hui tout est finalisé.

JMM: La crise dans le transport conteneurisé a été sensible à partir de l’automne 2008. Comment MSC a-t-elle réagi?

G.A.: Nous avons réduit notre capacité de transport en envoyant à la démolition environ 40 navires âgés. À la fin 2008, nous exploitions 427 navires; et 375 un an plus tard. Aujourd’hui, nous sommes remontés à 400 navires, principalement par affrètement. Nous avons aussi réduit la vitesse d’exploitation, mais pas de façon excessive, car nous n’avons jamais eu recours à des vitesses élevées. Le recours au slow steaming est dicté par le prix du combustible: plus le prix est élevé, plus il est économiquement justifié de ralentir le navire.

JMM: Faut-il encore que les moteurs supportent de tourner lentement?

G.A.: Ils le supportent. Aujourd’hui, on gagne à tourner à 20 nœuds plutôt qu’à 24 ou 25 nœuds. Dans le premier cas, la consommation est de l’ordre de 150 t/j contre 250 t/j. On économise donc 100 t/j, soit 40 000 $/j par navire, que vous multipliez par dix ou onze, pour tenir compte du nombre de navires mis en ligne sur la rotation considérée. On comprend sans peine qu’il est plus économique d’augmenter le nombre de navires plutôt que la vitesse.

JMM: Comment s’est terminée 2009 pour le transport conteneurisé du point de vue du volume transporté et de celui des résultats financiers?

G.A.: Nous avons transporté environ 10,5 MEVP pleins, un volume bien supérieur à celui de 2007. Le chiffre d’affaires a été, par contre, inférieur à celui de 2007; mais le seul avantage des sociétés non cotées étant de ne pas avoir à faire part de leurs résultats financiers, je n’en dirai pas plus.

JMM: Lors de la présentation du paquebot Magnificia, à Hambourg, début mars, vous avez été publiquement assez critique vis-à-vis de l’attitude des chargeurs toujours à la recherche du moindre prix et qui ont largement contribué à la disparition des conférences. Cela est d’autant plus surprenant de la part d’un transporteur qui a toujours été un outsider.

G.A.: Dans la vie, on mûrit, on franchit des étapes. MSC est un outsider depuis le début mais cela ne l’empêche pas de se rendre compte à un moment donné que, pour donner une certaine stabilité au transport maritime, les conférences maritimes sont fondamentales. Leur disparition a certainement entraîné une déstabilisation du shipping et des niveaux des frets. Et lorsque les deux sont réunies, il y a finalement déstabilisation financière. La mondialisation des échanges a pu avoir lieu car il y avait une stabilité des taux de fret qui a permis d’obtenir des crédits pour acheter les navires qui étaient nécessaires pour répondre aux demandes de transport mondial. Je pense que, dans le futur, en vertu de l’instabilité du marché, les banques n’accorderont plus les prêts nécessaires pour augmenter les flottes. Et cela ira certainement à l’encontre des intérêts du transport maritime. Si les choses restent en l’état, nous ne serons plus en mesure de mettre sur le marché des navires neufs et de fournir un service, à mon avis excellent, qui répond aux attentes des chargeurs. Pour revenir sur ces derniers, dès qu’ils ont constaté la crise en 2009, ils se sont rués sur les transporteurs et ils nous ont forcé à réduire les taux de fret. Et aujourd’hui, ces mêmes chargeurs, surtout aux États-Unis, se plaignent que les services proposés ne correspondent pas à leurs demandes alors qu’ils nous ont amenés à arrêter les navires et à faire perdre aux compagnies maritimes plusieurs milliards de dollars. Pertes financières et super services maritimes ne vont pas ensemble. Si, dans le futur, les chargeurs veulent un service, ils devront le payer. Vous pouvez l’écrire en gros. À chaque action correspond toujours une réaction égale en force et contraire en direction, comme en physique. Les services ont un prix. Si les chargeurs ne le paient pas, ils n’auront pas le service, c’est aussi simple que ça.

JMM: Pour rester aux États-Unis, on entend les chargeurs américains de produits « pauvres » comme les produits agricoles ou les déchets de papiers se plaindre de la difficulté de trouver des boîtes vides et de l’espace à bord des navires desservant le transpacifique. La FMC semble s’intéresser aux comportements actuels des transports maritimes. Est-ce une conséquence du fait que les services ne sont pas payés au « bon » prix?

G.A.: C’est effectivement une conséquence directe. On ne met des navires en ligne que s’ils dégagent une marge minimale, sinon, à quoi bon se casser la tête.

JMM: Êtes-vous inquiet par l’étude que semble vouloir mener la FMC sur les conséquences prévisibles d’une éventuelle disparition des conférences?

G.A.: Non, car les armateurs sont créatifs. Nous savons répondre aux difficultés, nous savons nous aligner devant toute sorte de politique nationale ou internationale. Les États-Unis ont parfaitement le droit de faire disparaître les conférences, mais je pense que cela serait une grave erreur, comme il a été grave de les éliminer entre l’Europe et le reste du monde. Il faut rappeler que les conférences permettaient un dialogue économique et technique entre les armateurs et les chargeurs, ce qui permettait de prévoir une augmentation ou une diminution des volumes à transporter et d’organi- ser les services en conséquence à un prix satisfaisant tout le monde. Apparemment, cela n’a pas été suffisant et nous sommes aujourd’hui dans un marché aussi libre que celui du tramping pour lequel les taux de fret dépendent uniquement de l’équilibre entre l’offre et la demande; ce qui est très négatif pour tous les intervenants. Et même du temps des conférences, il existait une concurrence entre transporteurs, mais on pouvait, dans une certaine mesure, anticiper.

JMM: Avant la crise, des chargeurs français disaient exiger des taux gate in/gate out, all in. Les ont-ils obtenus?

G.A.: Nous y étions obligés par le manque des marchandises à transporter. Ils ont pu nous squeezer jusqu’à des taux vraiment ridicules.

JMM: Les chargeurs français, au moins certains, les plus importants, semblent vouloir négocier certaines clauses des connaissements. Avez-vous donné suite à ces éventuelles demandes?

G.A.: Non.

JMM: Ces dernières semaines, Mærsk Line a expliqué que le début de 2010 était bien meilleur que prévu. CMA CGM annonce un quasi-miracle. Que dit MSC?

G.A.: Que nous sommes comme les autres: ni mieux, ni moins bien. Le second semestre sera certainement positif, mais la donne a changé avec la dévaluation de 20 % de l’euro par rapport au dollar. Ce qui devrait avoir un impact positif pour les exportations européennes; et négatif pour les importations avec une réserve en ce qui concerne les productions délocalisées. Les chaussures, par exemple, qui sont maintenant fa- briquées en Extrême-Orient, ne reviendront probablement pas en Europe parce que l’euro est plus faible. Mais à long terme, cette dévaluation devrait être très positive pour la croissance de l’Europe. Cette croissance dépend, à mon avis, très largement de la dévaluation de l’euro. La crise financière de 2008 a certes été provoquée principalement par les hedge funds et les spéculations des banques, mais aussi par le fait que l’euro a été artificiellement maintenu à un niveau qui ne correspondait pas à l’économie européenne. L’euro ne méritait pas d’être à 1,50 $, ni même à 1,23 $. Peut-être que la meilleure parité serait de « un euro pour un dollar ». Cela arrêterait la spéculation sur les monnaies et amènerait un équilibre plus sain de l’économie mondiale. Toujours est-il que nous prévoyons de transporter 12 MEVP cette année.

JMM: Selon Alphaliner, 30 % de votre capacité de transport actuelle sont constitués de navires en commande. Vos premiers 14 000 EVP devraient arriver bientôt.

G.A.: En 2010, nous prendrons réception de 13 à 14 porte-conteneurs de 14 000 EVP; 10 en 2011 et 9 en 2012. Mais en termes de croissance nette de la capacité, cela ne représentera qu’une augmentation de 10 % de l’actuelle capacité qui est de 1,7 MEVP. Les 8 000 EVP vont donc sortir des services où seront affectés les 14 000. Il y aura donc une augmentation de 6 000 EVP multipliés par 30, soit 180 000 EVP, ce qui correspond bien à 10 % de la capacité actuelle. En d’autres termes, nous n’avons aucune intention d’ajouter de nouvelles lignes entre l’Europe et l’Extrême-Orient aux quatre existantes.

JMM: Ces très grands porte-conteneurs ne posent-ils pas de nouveaux problèmes d’exploitation comme, par exemple, la nécessité de faire beaucoup de mouvements pour justifier économiquement l’escale?

G.A.: Tous les ports européens ou non, dans lesquels ces navires font ou feront escale, sont bien équipés pour les traiter. En termes d’importance des escales, le problème du Havre comme des ports français en général est le coût de la main-d’œuvre qui fait que les prix d’embarquement ou de débarquement des boîtes sont excessivement chers. On ne peut donc pas faire d’opérations de transbordement. De sorte que l’escale du Havre est uniquement destinée aux marchandises locales. Dans les autres ports européens, les coûts de main-d’œuvre et les droits de port permettent les transbordements; en France, cela est absolument impossible. Il faut savoir également, en ce qui con- cerne l’exploitation, que tous les armateurs qui ont commandé des p-c de 12 000 à 14 000 EVP seront obligés, indépendamment du slow steaming, d’ajouter un navire et demi par desserte à cause de l’importance des escales. Nous allons réaliser, disons, entre 3 000 à 4 000 mouvements supplémentaires par rapport à ce qu’il se fait avec un 8 000 EVP; l’escale va donc durer plus longtemps, ce qui va faire augmenter les coûts d’exploitation. Nos estimations montrent que le voyage sera allongé d’environ 9 jours. Pour maintenir une fréquence hebdomadaire, il faudra donc 1,5 navire en plus. Et comme je vous l’ai dit précédemment, il vaut mieux ajouter 1,5 navire que d’augmenter la vitesse de service.

JMM: Dans le transpacifique, on a l’impression que MSC travaille beaucoup avec Mærsk et CMA CGM, en services communs?

G.A.: correct.

JMM: La tendance lourde est à l’écologie. Le maritime n’y échappe pas: navires moins polluants, combustibles désulfurisés, etc. Que fait MSC dans ce domaine?

G.A.: Nous respectons, comme tout le monde, les politiques des États, mais à la fin des fins, celui qui paie, c’est le consommateur. C’est bien joli d’être écolo et je suis d’accord pour l’être, mais tout ceci a un coût qui sera répercuté sur le consommateur. Il n’y aura pas de surcharge comme pour le combustible, mais le surcoût sera nécessairement intégré dans le taux de fret car le transporteur ne l’absorbera pas sur ses marges. Cela est vrai pour l’écologie, comme pour la sûreté maritime ou pour n’importe quelle autre source de coût: à la fin, c’est le chargeur qui paie.

JMM: En 1997, vous aviez beaucoup insisté sur les hommes qui travaillent pour MSC.

G.A.: Je suis toujours convaincu que notre force, comme dans n’importe quelle autre société, je pense, repose sur les individus qui sont au centre de la compagnie. Tout tourne autour d’eux.

Nos p-c portent toujours le prénom des épouses ou des filles des principaux responsables de la compagnie. Il me semble important d’ajouter que mes deux enfants (35 ans et 38 ans) sont très capables, très morales, qualité à laquelle j’attache beaucoup d’importance, et très déterminés à continuer ma mission. Ce qui fait que même après moi, les choses ne changeront pas. Mais comme vous l’avez rappelé, je pense bien battre le record de mon oncle qui quitta la direction de la compagnie fondée par son père, à 80 ans. Plus sérieusement, notre culture d’entreprise est basée sur le respect humain. Nous essayons par tous les moyens d’élever le niveau professionnel de nos salariés et de les voir grandir intellectuellement et professionnellement.

Je ne fais pas ce métier pour gagner de l’argent. Je fais ce métier surtout pour créer de l’emploi et donner à chacun l’opportunité de devenir un grand professionnel. C’est ma satisfaction et la mission à laquelle je tiens. Mes enfants sont sur la même longueur d’onde.

JMM: Pour rester dans le domaine humain, vos officiers viennent-ils toujours de Sorrento?

G.A.: Nous avons trouvé des sources de recrutement complémentaires. Outre l’Italie, nous avons une filiale de recrutement à Hong Kong qui se charge des officiers indiens, et une autre à Chypre, pour les officiers ukrainiens. Schématiquement, nous avons trois grandes familles de navires: l’italienne avec environ 100 navires dont les officiers sont majoritairement italiens, mais aussi croates et du Monte Negro; l’indienne avec environ 80 navires dont l’équipage est totalement indien, et l’Ukrainienne avec environ 38 navires dont le bord est totalement ukrainien. Au total, nous employons environ 15 000 officiers et personnel d’exécution sur un total de l’ordre de 40 000 salariés.

JMM: Parlons un peu croisière. Comment s’est terminée 2009 et comment se présente 2010?

G.A.: 2009 a été positive et 2010 le sera encore plus. Avec une exploitation bipolaire: été en Méditerranée et hiver dans les Caraïbes, en Amérique du Sud et en Afrique du Sud. Les clients français représentent environ 9 % des 800 000 passagers européens qui ont embarqué sur nos paquebots.

JMM: La possibilité de faire transiter vers 2015 des p-c bien plus grands par Panama entraîne-t-elle des réflexions chez MSC de modification des routes?

G.A.: 2015, c’est très loin, d’autant qu’en général nous prenons nos décisions en une demi-heure. Nous n’allons pas aujourd’hui planifier ce que nous pourrions faire en 2015.

Des paquebots neufs et récents

MSC apprécie beaucoup les paquebots construits par les Chantiers de l’Atlantique, qu’il les commande ou les rachète. En effet, outre les MSC-Lirica (livré en 2003), MSC-Musica (6-2006), MSC-Orchestra (printemps 2007) et d’autres commandés par MSC Croisières aux Chantiers de l’Atlantique, la compagnie a également racheté à la barre du tribunal les jumeaux European-Vision (devenu le MSC-Sinfonia) et European-Stars (MSC-Armonia), commandés par Festival à ces mêmes chantiers. Les navires survivent généralement à la disparition de leur exploitant. En janvier 2004, Alstom et quelques banques avaient fait saisir les trois paquebots exploités par Festival Cruises pour « non-respect de ses obligations financières ». La maison mère des Chantiers de l’Atlantique reconnaissait qu’elle détenait directement ou indirectement la totalité du capital du Mistral, 9,5 % de celui de l’European-Vision et 10,5 % de l’European-Stars. Les financeurs craignaient que ne se reproduise le scénario Renaissance qui cessa son exploitation le 25 septembre 2001. Deux des huit paquebots de la série des R avaient été financés en loi Pons-TOM et devaient être exploités durant cinq ans en Polynésie française.

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