Une grande majorité des professionnels portuaires rencontrés aux Antilles durant la première quinzaine de juin exprime un avis qui va de « favorable » à « très favorable » aux changements de gouvernance des ports locaux. La mission de l’ingénieur général René Le Clech a donc dû se dérouler dans une bonne ambiance, au moins en ce qui concerne les professionnels. Sa mission était d’expliquer ce que pourrait être la réforme de la gouvernance des ports des DOM et de consulter les représentants des collectivités territoriales et les professionnels. S’il est a priori question d’impliquer beaucoup plus les collectivités territoriales et de transformer les autorités portuaires en établissements publics de l’État avec conseil de surveillance, la question de l’outillage portuaire, et en particulier des portiques, est hors champ. René Le Clech doit rendre son rapport à la fin juillet, voire, début septembre. Seule voix critique à l’égard de cette probable future réforme, Bruno Rossovich, dirigeant de la Société industrielle de gestion du bassin de radoub (Fort-de-France) qui qualifie de « rêve colonial » l’idée que tous les ports des départements d’outre-mer doivent être organisés de la même façon. La direction bicéphale de l’autorité portuaire de Fort-de-France est devenue contre-productive, estimait un ancien, même si la CCIM et la DDE ont généralement bien travaillé ensemble.
Pour Michel Joseph-Mathurin, président de la station de pilotage de la Martinique, la remise à plat de l’organisation de l’autorité portuaire de Fort-de-France pourrait être l’occasion de repenser toute l’organisation des activités portuaires marchandises de l’île. Ainsi, le domaine maritime du possible grand port maritime de Martinique pourrait comprendre le site du Robert (45 000 t à 55 000 t par an), voire les zones de chargement maritimes des carrières du Nord. Et pourquoi pas les appontements « politiques », pour reprendre l’expression de Frantz Thodiard, plus homme politique que directeur des concessions portuaires et aéroportuaires de la CCIM. Il faut savoir qu’il y a quelques années dans bon nombre de bourgs littoraux de Martinique, ont été construits des appontements en béton perpendiculairement aux plages. Ils devaient permettre la mise en place des dessertes maritimes de passagers. À ce jour, leur principale utilisation est de servir de plate-forme avancée pour les pêcheurs à la ligne. La seule desserte maritime intramartiniquaise est le « transrade » qui relie le front de mer de Fort-de-France aux Trois Îlets, à l’anse Mitan et à celle de l’Âne. En 2004, la DDE estimait à ce trafic à un million de passagers. À la mi-juin 2010, l’unique transporteur sortait de trois semaines de grève.
Transbordement et croisière
Le champ régional des possibles étant étroit, le discours sur la nécessité de développer l’activité de transbordement dans chacune des deux îles est appuyé. Mais aujourd’hui, se profile un argument commercial fort: les conséquences positives de l’élargissement de canal de Panama vers 2014/15.
Selon une étude, cet élargissement va permettre l’arrivée dans la zone caraïbe de grands porte-conteneurs qui seront à la recherche de plates-formes de transbordement. Or celles qui existent aujourd’hui sont proches de la saturation. Il faut donc de nouvelles capacités auxquelles chacune des deux îles françaises souhaite participer, en particulier la Guadeloupe. La menace de l’abandon de la desserte directe de CMA CGM est toujours agitée, ainsi que l’explique le directeur de la DDE dans la newsletter du port de Fort-de-France de février 2010. Autre récurrence, le discours sur la nécessité de développer la croisière qui est inversement proportionnelle à l’évolution des trafics sur plusieurs années. « J’espère que nous avons touché le fond de la piscine », expliquait Frantz Thodiard, en ce qui concerne la Martinique.
Si la banane a pu le faire…
Jusqu’en 2004, la Martinique comptait quatre groupements de bananiers (Sicaban, Gipam, Cobamar et Banalliance). « La survie de la filière étant en cause », explique Pierre Monteux, directeur général de Banamart, « nous nous sommes regroupés pour commercialiser en Europe, la banane martiniquaise. »
En 2006, les deux groupements de producteurs de Guadeloupe (Banagua et Kurabana) fusionnaient. Ils se retrouvent aujourd’hui tous dans l’Union des groupements de producteurs de bananes de Guadeloupe et Martinique et commercialisent la banane de « Guadeloupe et Martinique ». Il est donc possible de faire travailler ensemble des acteurs économiques des deux îles. La réforme de la gouvernance des ports pourrait, dans un monde idéal, servir de déclencheur à une réflexion commune entre les deux, voire les trois communautés portuaires; en effet, la Guyane n’est pas loin.
Le doute persiste
Le choc, le traumatisme de la crise sociétale illustrée par la grève générale qui dura 44 jours en Guadeloupe entre le 20 janvier et le 4 mars 2009, est encore très présent dans les esprits d’autant que l’économie ne se redresse pas ou peu.
Le 1er vice-président du CES de Guadeloupe et président du syndicat des commissionnaires en douane et transitaires, Louis Collomb, dresse un bilan bien affligeant de l’économie de son île: les importations chutent donc l’octroi de mer aussi qui assure une partie importante des recettes des municipalités; les chantiers de BTP sont stoppés; et la Région ne reçoit pas les dotations prévues de l’État.Il ajoute que les métropolitains et les Guadeloupéens qui le peuvent, quittent l’île. Les cadres d’origine guadeloupéenne travaillant en métropole, ne souhaitent pas revenir au pays. L’heure est au pessimisme et au manque de confiance dans le personnel politique local. Il n’y a pas de raison d’espérer une éclaircie avant 2011. Lors du premier dossier consacré aux Antilles françaises, en 1997, nous faisons état d’une étude réalisée par MCN Conseils à la demande du Fedom (Fédération des entrerpises des DOM) concernant les axes possibles de développement économique.
« L’absence de toutes perspectives offertes à une jeunesse de mieux en mieux formée », entraîne un « désenchantement, une sorte de désespoir, un scepticisme cynique qui peut conduire notamment aux Antilles, à tous les conflits, à toutes les violences, voire à une implosion sociale. »
Douze ans plus tard, Rosan Monza, docteur en géopolitique à l’université de Paris VII écrit dans la revue Hérodote no 135 du 4e trimestre 2009: « Les gouvernements de gauche comme de droite ont une constante dans leur politique outre-mer qui consiste à “saupoudrer” les économies de ces départements en accordant plus de crédits au nom de l’égalité et plus d’exonérations au nom de la spécificité. Ainsi, la défiscalisation a attiré outre-mer des chasseurs de prime métropolitains plus qu’elle n’a encouragé un véritable développement endogène des îles. […] Les leaders politiques, surtout ceux de la Guadeloupe, n’ont pas mesuré la gravité et la profondeur des contradictions et des malaises qui traversaient les sociétés ultramarines. »
L’avis no 9-À-45 du 8 septembre 2009 de l’Autorité de la concurrence rappelle la remarque de l’OCDE selon laquelle « un nombre limité d’acteurs sur la plupart de ces marchés étroits peut également faciliter le maintien de cartels et d’arrangements collusifs: les interactions répétées entre ce petit nombre d’acteurs réduisent en effet la nécessité d’arrangements contractuels détaillés nécessaires pour soutenir la mise en œuvre d’une entente. » (cf. p. 30)
Les Antilles et la Guyane doivent « trouver des raisons d’espérer », c’est le souhait de la présidente de l’UMEP de Guadeloupe (cf. p. 25). Il faudrait les trouver rapidement.