La concurrence dans le transport maritime entre la Corse et le continent au regard du rapport Revet

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Il s'agit peut-être, comme on l'a dit et écrit, d'un rapport de plus sur le sujet, mais ce qui le différencie de ceux qui s'entassent au ministère des Transports concerne l'adéquation qui existe pour la première fois entre une situation de fait à corriger (le caractère de plus en plus onéreux pour les deniers publics de l'approvisionnement de l'île et de la desserte du continent) et les solutions juridiques proposées pour permettre la survie du concept de « continuité territoriale », non seulement au regard des intérêts des ressortissants de Corse, qui ne se confondent pas avec les intérêts des lobbies touristiques, mais aussi au regard des règles de transparence, de non-discrimination, de proportionnalité et de libre accès au marché défendues âprement par la Commission européenne.

La notion de continuité territoriale doit être redéfinie.

L'application du concept de « continuité territoriale » développé dans les années 1970 a fait long feu. En revanche, son principe demeure pertinent dès lors qu'il s'agit de limiter « les contraintes liées au caractère insulaire [de la Corse] et les surcoûts produits par l'isolement géographique ». Trois éléments justifient son adaptation.

Le premier résulte de la nécessité de « décentraliser sa mise en œuvre ». Le principe de continuité territoriale est issu de la politique centralisatrice de l'État. Les lois de décentralisation ont définitivement rompu avec ce système et exigent aujourd'hui des élus en charge de préciser leurs souhaits dans le cadre de leur politique des transports avec le continent, sans préjudice de l'application des législations, nationale et européenne.

Le rapport Revet s'inscrit donc dans un processus de décentralisation parvenu à maturation qui doit à présent définir ses objectifs économiques et sociaux dans le cadre d'un système d'aide contrôlée.

Le rapport laisse évidemment le soin à la collectivité de définir elle-même ses objectifs, faute de quoi les rapporteurs statueraient « ultra petita » en se saisissant d'un sujet qui ne les concerne pas.

Tout au plus peut-il proposer une aide à la décision en développant les points essentiels du débat, à savoir le fait que le système de l'aide sociale, « grâce à un effet prix » et à « certaines spécificités en matière de droit social, propres à chaque pavillon de l'Union Européenne » a profondément restreint l'importance du port de Marseille « au bénéfice du port de Toulon et secondairement de Nice », dans la mesure où la pratique du cahier des charges de la DSP se montrait beaucoup plus exigeante que la législation nationale et, a fortiori, européenne. La distorsion de concurrence s'exerce donc aujourd'hui au détriment des compagnies bénéficiaires de la DSP soumises à des règles beaucoup plus strictes et par conséquent beaucoup plus onéreuses que les compagnies qui exercent sur les lignes non réglementées.

Les élus doivent donc définir le périmètre de l'obligation de service public déléguée au secteur privé et décider, en fonction de l'extension ou du maintien du périmètre ancien, du maintien ou de la suppression du système allégé d'aide sociale.

La libéralisation du cabotage en Méditerranée

Le deuxième élément rendant indispensable sa transformation tient à sa nécessaire simplification suite à la « libéralisation du cabotage en Méditerranée » qui a obligé la collectivité de Corse à se doter d'un dispositif complexe, composé d'une part d'une délégation de service public « concentrée sur le seul port de Marseille » tout en tenant compte, par un système d'aide sociale conforme au traité européen, de la libre concurrence sur le marché non réglementé des lignes entre Toulon/ Nice et la Corse.

La simplification de la politique d'intervention du secteur public est donc à l'ordre du jour.

Pour cela, le réexamen de la politique d'aide sociale doit conduire à s'interroger sur:

– les bénéficiaires de cette aide;

– le contrôle intuitu personae de la bonne utilisation d'une subvention d'aide sociale.

Par ailleurs, le réexamen de la DSP, doit conduire à s'interroger sur:

– les conditions de mise en œuvre des obligations de service public imposées par la collectivité;

– le périmètre de cette DSP au regard des évolutions du marché des transports entre la Corse et le continent.

La politique d'aide sociale concrétisée par une aide aux passagers, telle qu'elle a été autorisée par l'article 107 du Traité (ex-article 87 TCE), prévoit qu'elle peut être allouée aux « résidents corses » dans le respect de la libre concurrence entre les entreprises de transport. Il s'agira donc, si cette aide était maintenue, de contrôler qu'elle est bien réservée aux résidents corses dans le cadre de la continuité territoriale. Autre chose serait en effet une aide « sociale » à objectif économique qui ne dirait pas son nom et qui aurait pour effet de cannibaliser la délégation de service public.

Le contrôle du bon usage de l'aide sociale ne pourrait donc être le fait que de la collectivité et, comme le souligne le rapport, être matérialisé – dans le respect du Traité – par des « bons » utilisés par les bénéficiaires auprès de l'opérateur de leur choix, à charge pour ces derniers de produire un rapport annuel d'exécution permettant à la collectivité un contrôle efficace du dispositif d'aide. Il pourrait également être mis fin au dispositif, pour autant que la collectivité décide d'étendre le périmètre de la délégation de service public, répondant ainsi à une demande plus importante de transport public des usagers au départ ou à l'arrivée de Toulon et Nice.

Cette solution apparaît, à la lecture du rapport, comme une préconisation raisonnable, évitant des contrôles toujours délicats, sujets à contestation et soumis à la mise en œuvre d'un dispositif spécial de contrôle onéreux. L'examen du déroulement actuel de la délégation de service public conduit à constater, au détriment de ses titulaires, des distorsions de concurrence dues à un système social très exigeant sous pavillon français, à des interdictions de recettes annexes provenant en particulier de l'interdiction des jeux de hasard sur les navires battant pavillon français alors qu'elles sont autorisées sous d'autres pavillons européens, bref, à un traitement très rigoriste par le décret no 99-195 du 16 mars 1999 des conditions de l'État d'accueil telles qu'elles résultent du règlement no 3577/92 du 7 décembre 1992. Cette situation pourrait être corrigée. Les règles de l'État d'accueil s'appliquent aux transports maritimes entre la Corse et le continent pour les navires jaugeant plus de 650 t affectés à la desserte de l'île, hors toute desserte continentale.

Ce sont donc soit ces conditions de l'État d'accueil, soit l'interprétation qui en est faite qui peuvent être revisitées.

Le rapport opte pour une modification du décret du 16 mars 1999 destinée à étendre au personnel navigant non marin les exigences imposées par l'annexe du décret, au personnel navigant marin, savoir, l'appartenance à une nation européenne de la totalité du personnel navigant quelle que soit sa fonction à bord. Le législateur peut le faire.

Ainsi, au lieu d'aligner sa législation, à la baisse, le rapport propose à la France d'exiger de la concurrence un alignement à la hausse des catégories de personnel moins protégées.

Les concurrents européens qui utilisent actuellement la faculté qui leur est offerte par le règlement communautaire d'employer du personnel navigant non marin provenant de pays tiers, seraient alors soumis à une obligation réglementaire imposée par la France à laquelle les armateurs français se sont déjà soumis de leur propre chef.

En revanche, l'autorisation des jeux de hasard à bord des navires pratiquant le cabotage dans les eaux territoriales exigerait un profond remaniement de la législation française qui, depuis 1907, a fait de l'interdiction la règle avec de rares exceptions définies dans la loi du 12 juillet 1983 modifiée par la loi du 19 mars 1999 sur la Nouvelle-Calédonie et la loi du 27 février 2004 sur la Polynésie française.

Cette situation anticoncurrentielle existe déjà sur d'autres façades maritimes et n'a encore jamais fait l'objet d'une harmonisation européenne. Toutefois, elle pourrait, à l'occasion de la législation mise en place pour les jeux de hasard « en ligne », faire l'objet d'une remise en cause justifiée sur les navires au même titre que sur le net.

Le périmètre de la DSP

Le troisième élément conduisant à sa modernisation tient aux profondes modifications intervenues sur le marché du transport maritime concerné, non seulement au regard de la notion de service public telle qu'elle résulte de la délégation mise en œuvre par la collectivité, mais aussi au regard de l'aide sociale compensatrice.

Le périmètre de la DSP pourrait faire l'objet d'une extension à l'occasion de son renouvellement, réglant du même coup les problèmes posés par l'éligibilité de l'aide sociale, son attribution et le contrôle de son bon emploi.

Sur le plan continental, il est évident que les ports de Toulon et de Marseille doivent être considérés comme un point de desserte unique dès lors que leur éloignement par la route est négligeable et ne saurait justifier deux délégations de service public, les obligations de service public concernant les résidents corses, l'approvisionnement de la Corse et l'exportation des produits corses, mises à la charge des compagnies maritimes pouvant et devant être remplies dans les mêmes conditions à Marseille et à Toulon. Sur le plan insulaire, la mise en place de deux délégations de service public, l'une concernant Ajaccio et Bastia, et l'autre les ports départementaux, aurait pour effet d'assurer, dans le cadre d'un allotissement toujours possible, l'intervention des armateurs investis sur ces lignes maritimes en proposant les moyens maritimes les plus adaptés aux liaisons concernées. Pour mener à bien cette réforme à échéance de 2013, il conviendra donc:

• Sur le plan législatif et réglementaire:

– de modifier le décret du 16 mars 1999 sur les conditions de l'État d'accueil, sans préjudice du règlement européen du 7 décembre 1992, en le rendant légalement applicable au personnel navigant non marin;

– de libéraliser la loi 16 juin 1907, modifiée le 12 juillet 1983 sur les jeux de hasard prescrivant l'interdiction générale, sauf exception, des jeux à bord des navires de commerce.

• Dans le cadre du nouveau cahier des charges de la DSP:

– d'assurer une meilleure transparence de la procédure en élargissant le libre accès au marché grâce à la qualification de biens de reprise des navires mis à la disposition de la collectivité par le délégataire ou de biens de retour des navires mis à la disposition du délégataire par la collectivité afin de ne pas créer de distorsion de concurrence par les spécifications maritimes exigées par la collectivité;

– d'assurer le respect du principe de proportionnalité en exigeant que le candidat à l'allotissement d'une délégation de service public (sur les ports régionaux ou sur les ports départementaux) présente une entité juridique distincte affectée à la DSP;

– d'assurer ainsi le respect des dispositions applicables de l'article L. 1224-1 du code du travail permettant au personnel navigant, maritime ou hôtelier, d'être assuré de la continuité de son emploi quel que soit le délégataire retenu par la collectivité.

Le rapport Revet constitue la base d'un nouvel ordre destiné à sortir d'une situation jusqu'à présent inextricable sur le triple plan combiné de la concurrence, des rapports sociaux et des prix.

Les transports publics constituent l'armature du désenclavement de la Corse et doivent à cet égard constituer pour les résidents insulaires un dispositif fiable et accessible respectant les règles nationales et européennes capables d'en garantir la pérennité.

La libéralisation du transport maritime en Méditerranée, avec la concurrence qui en est issue, s'est inscrite dans cette démarche; la privatisation partielle de la SNCM en a marqué une nouvelle étape; la prise en compte par la collectivité Corse des enjeux d'une liaison maritime régulière et diversifiée favorisera à court terme les conditions du succès économique de la région.

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