Journal de la Marine Marchande: Après avoir enregistré des progressions pendant plusieurs années et affiché des records, le Grand Port maritime de Dunkerque a vu ses trafics se réduire de 22 % en 2009. Quelle est la tendance sur les premiers mois de 2010?
Martine Bonny: Le mois de mai a été positif avec une hausse de 3 % du trafic. Sur le cumul des cinq premiers mois, les trafics affichent une baisse légère de 0,5 %. Cette diminution est due à la perte de volumes sur les vracs liquides. Nous enregistrons une diminution de 63 % en raison de l'arrêt de la Raffinerie des Flandres. Depuis le mois de septembre, nous ne recevons plus de pétrole brut et les expéditions de produits raffinés sont limitées. À l'inverse, la SRD, Société de Raffinage et de Distribution, a eu une activité normale. Les entrées de produits raffinés, destinés à cette société, sont stables.
Cette diminution du trafic des vracs liquides a été compensée par la bonne tenue des vracs solides. Les minerais ont repris une forte activité. Sur les cinq premiers mois de l'année, ce poste augmente de 176 % grâce, d'une part, à la reprise d'activité de la sidérurgie lorraine et, d'autre part, aux importations de charbon. Seul bémol sur ce produit, la centrale thermique britannique de Kingsnorth a décidé d'utiliser plus de gaz pour le moment et donc réduit partiellement les réexportations de charbon de Dunkerque vers la Grande-Bretagne. Enfin, pour rester sur les vracs solides, les céréales et les petits vracs se portent bien avec des progressions de 15 % à 22 %.
JMM: Dans ce concert, comment se comportent les marchandises diverses?
M.B.: Les marchandises diverses demeurent stables à 6 Mt. Le roulier accuse un léger retrait comparé à 2009. Il faut cependant relativiser ces pertes. Sur les premiers mois de l'année passée, nous avons bénéficié du report de trafic lié aux incidents dans le tunnel sous la Manche. Si nous analysons les trafics par rapport à notre niveau des années antérieures, nous sommes stables. Quant aux conteneurs, la perte est très légère.
Pour conclure sur ce sujet des trafics, nous remarquons que nos résultats sur les vracs solides sont comparables avec les ports voisins.
JMM: Revenons sur l'arrêt de la Raffinerie des Flandres depuis le mois de septembre. En janvier, lors de la présentation des résultats, vous aviez alerté des conséquences sur l'ensemble de la communauté portuaire qu'un tel arrêt définitif pourrait avoir. Quelles sont maintenant les alternatives qui s'offrent à vous?
M.B.: L'arrêt de la Raffinerie des Flandres depuis le milieu du mois de septembre est un souci pour l'ensemble des professions portuaires: pilotes, lamaneurs, remorquage, transitaires et consignataires. Un comité central d'entreprise de Total doit se tenir courant juin concernant ce dossier. Certes, nous conserverons des trafics résiduels mais bien en deçà de ce que nous avons connu.
Notre souhait est de pouvoir faire la soudure avec la mise en exploitation du terminal méthanier pour éviter de dégrader les services portuaires. Sur ce dossier du terminal méthanier, le conseil d'administration d'EDF doit encore se prononcer.
JMM: Le Grand Port maritime de Dunkerque a longtemps été perçu comme un « laboratoire social portuaire » parce qu'en avance sur certains points. La réforme portuaire a été difficile à mettre en place?
M.B.: La réforme portuaire se met progressivement en place. Toutes les parties concernées s'y sont fortement impliquées. Je tiens à saluer ici les différents intervenants comme Philippe Bertonèche, président du Spem (Syndicat professionnel des entrepeneurs de manutention), les partenaires sociaux, les hommes et les femmes du port qui, ensemble, ont consacré beaucoup de temps et de soins à ce dossier. Ce fut un dossier lourd, tant dans le volume que dans le temps qu'il représente. Pour être pragmatique, le 1er octobre, la réforme portuaire telle qu'édictée par la loi du 4 juillet 2008 et l'accord cadre national du 30 octobre 2008 devrait en place. Lors du conseil de surveillance de mai, nous avons adopté les conventions de terminal. Nous avons signé, avec les entreprises de manutention, les actes de cession des outillages.
Dans le domaine social, nous avons signé avec les partenaires sociaux une déclinaison de l'accord cadre national. Depuis le mois de janvier, nous avons tenu de nombreuses réunions de travail. Fin mai, chaque grutier a reçu un dossier dans lequel les entreprises de manutention ont expliqué leur organisation du travail. C'est un point important. Il permet aux grutiers d'avoir une visibilité sur leur emploi. Les salariés du port ont cinq semaines après réception de ce dossier pour répondre. Ceux qui ne souhaiteront pas entrer directement dans une entreprise de manutention pourront entrer, si nécessaire, dans un groupement d'employeurs.
Ce dossier prévoit aussi un paragraphe sur la polyvalence. Sur ce point, encore une fois, tous les partenaires sociaux ont travaillé de concert pour permettre une polyvalence par le haut.
JMM: Combien de personnes sont concernées par ces changements et quand cela entrera-t-il en vigueur?
M.B.: Dunkerque Port dispose de 42 grutiers. Nous avons estimé une fourchette haute de 30 personnes et une fourchette basse de 23 personnes qui sont susceptibles d'être détachées dans les entreprises. Les autres demeureront dans le port. Nous avons besoin encore de personnel pour les grues de la réparation navale et du pupitre des passerelles Ro-Ro qui restent sous notre autorité. Tous les détachements doivent être signés pour le 1er octobre, mais nous espérons qu'en septembre, nous aurons une vision claire de la situation à venir.
JMM: NFTI OU, la société gestionnaire du terminal à conteneurs, vit un tournant. L'actionnaire majoritaire, APM Terminal, souhaite se retirer. Quel regard portez-vous sur ce changement?
M.B.: Les discussions en cours concernent les actionnaires de ce terminal. Il s'agit de négociations entre des sociétés privées. Nous avons été consultés sur le changement de contrôle. Nous avons donné notre accord. Les discussions en cours entre Terminal Link et APM Terminals se déroulent hors notre présence, mais avec notre accord de principe.
JMM: La réforme portuaire comporte un volet sur les pré et post-acheminements. La publication du rapport de Roland Blum sur le sujet pour favoriser le développement des transports massifiés est un sujet qui vous tient à cœur. Comment imaginez-vous la répartition modale du port dans les prochaines années?
M.B.: En 2008, nous avons réalisé 51,5 % de notre trafic terrestre en ferroviaire et 10,5 % en fluvial. La route ne représente que 38 %. Nous sommes un port en adéquation avec le Grenelle de l'environnement. Notre objectif est de continuer à augmenter en valeur absolue les tonnages transportés par fer et par voie d'eau, ceci afin de maintenir la part des modes alternatifs à un niveau supérieur à 60 %. Pour être plus précis, sur le ferroviaire, nous souhaitons que le port soit inscrit dans les corridors de fret européen. Une procédure est en cours devant le Parlement européen. Ces corridors nous permettront d'aller plus facilement sur la Belgique, l'Allemagne et le tunnel sous la Manche. Pour cela, nous demandons l'électrification de la ligne sur Calais. Nous avons eu une première réponse positive de RFF. Pour rejoindre la Belgique, la ligne Dunkerque-Furnes doit être créée. Nous souhaitons que cette ligne soit inscrite au niveau européen pour être éligible aux aides européennes.
Sur le fluvial, nous avons renouvelé en 2009 notre contrat de progrès avec VNF et allons porter une attention toute particulière à l'amélioration des bateliers, grâce à l'installation de nouvelles bornes de distribution d'eau et d'électricité. Nous demandons par ailleurs à ce que le relèvement des ponts à 5,25 m sur l'axe Dunkerque Lille, initialement prévu courant 2009, soit désormais achevé dans les plus brefs délais afin que les navettes fluviales puissent travailler sur deux couches de conteneurs High Cube dans des conditions optimales. Comme vous le constatez, nous sommes le port français le plus ferroviaire et nous souhaitons le rester.