Stratégies locales et stratégies internationales: du réseau mondial aux systèmes locaux

Article réservé aux abonnés

Les ports de l'Afrique de l'Est nécessitent pour leur développement des investissements massifs, à la fois en infrastructures lourdes mais aussi en matériel performant. Si les promesses de développements d'acteurs sont nombreuses, la majorité des projets peine à se concrétiser faute de financement adéquat. En 2003, le manque d'investissements du secteur privé dans les ports africains était déjà identifié comme l'une des limites majeures de la réussite pourtant réelle de Dar-es-Salaam, alors plus performant que le port de Durban ou Mombasa (respectivement 20, 16 et 10 EVP à l'heure). Lorsque le Kenya se lance en 2006 dans la rénovation et l'amélioration des routes et du port de Mombasa, c'est une somme de 220 M$ qui est budgétée sur une année, sans soutien du privé. Effet d'annonce pour attirer les investisseurs ou volonté réelle de moderniser les infrastructures, ces décisions nationales se heurtent, le plus souvent, aux réalités techniques et aux lenteurs opérationnelles qui ne permettent pas aux projets de se réaliser dans les délais nécessaires.

À Djibouti, l'arrivée en 2000 de Dubai Port World, alors Dubai Port International, a largement contribué au développement du port avec un investissement privé de plusieurs centaines de millions de dollars. Le coût cumulé de Dorâlé et des investissements annexes était pour DPW d'au moins 300 M$ en 2004, chiffre à comparer au produit national brut djiboutien proche d'un milliard de dollars cette année. Certains observateurs pensent que l'investissement total de DPW pourrait atteindre, sur la durée de la concession, plus de 2 Md$. Ce poids de l'investissement privé pèse évidemment sur l'économie et la politique djiboutiennes tout entières.

Les ports du Mozambique suivent le chemin des autres ports de la façade avec une augmentation de la part des investissements privés, particulièrement à Maputo où, depuis 2008, DPW et Grinrod contrôlent par exemple le terminal conteneurs, avec la présence marginale d'un holding local proche du pouvoir. Le holding britannique Peel Ports a également eu un rôle clé dans la privatisation de Maputo.

Il faut remarquer qu'outre DPW, aucun opérateur mondial (HPH, PSA, APM T-Mærsk…) n'a investi en Afrique de l'Est. Cette situation est fondamentalement différente de celle de l'Afrique de l'Ouest et prouve que, bien qu'africaine, la façade orientale répond à des logiques propres liées à son appartenance à l'espace indo-océanique. C'est dans cette optique et fort de l'influence sur les rives historiquement liées au commerce arabe que DPW s'est développé sur une façade négligée.

L'enjeu de la croissance des ports de la façade est-africaine est de taille: désenclaver des arrière-pays isolés par un réseau de transport asthmatique et peu performant, et permettre le rattachement fort des espaces africains à la mondialisation dont le transport maritime est un avatar puissant. Or, sans équipements performants et sans liens avec les arrière-pays denses, les ports africains ne peuvent prétendre à se développer durablement, d'autant qu'ils sont éloignés de la grande route maritime Est-Ouest ou concurrencés par des structures plus performantes ou plus réputées telles Aden et Salalah au Nord, ou les ports sud-africains au Sud. Les normes internationales croissantes, en complexité et en exigence, notamment ISPS, forcent les ports africains et leurs responsables à envisager des modifications lourdes, voire le plus souvent la création totale de nouvelles infrastructures portuaires. C'est le cas envisagé par les autorités kenyanes pour la création d'un nouveau corridor portuaire de Lamu à l'Ouganda, financé et réalisé par la Chine. Ce fut le cas pour Djibouti et la construction par Dubai Port World du port de Dôralé, plus en profondeur dans le golfe de Tadjoura et à distance du port autonome – port historique – de Djibouti, ou même pour la création d'un port minéralier pour exploiter le sel et les métaux rares du Goubet-al-Kharab.

En résumé, l'intégration des ports est-africains est plus que jamais à étudier sous l'angle de leur rôle régional, c'est-à-dire en profondeur dans l'arrière-pays, mais aussi de leur potentialité d'investissement. Cela n'est absolument pas nouveau et a toujours été dans la volonté des puissances qui exploitaient les ports, arabes, européennes; leur reprise par les Africains lors de la décolonisation n'a pas changé cela. Il apparaît que le modèle favorisé est la solidification de quelques sous-systèmes portuaires performants à l'échelle régionale, deux ou trois systèmes pour toute la façade est-africaine, systèmes combinant infrastructures héritées et rénovées (ports historiques, voies ferrées et routes), développements nouveaux sous l'impulsion des autorités régionales et d'investisseurs étrangers (ports modernes glissement des enceintes historiques) et réseaux de commerces traditionnels pour compléter la portée encore très imparfaite des corridors est-africains. La phase ultime de développement espérée est de devenir les hubs régionaux, place que se disputent potentiellement Dar-es-Salaam, Mombasa et Djibouti, et qui, pour l'instant, revient aux ports concurrents en bordure de la façade est-africaine.

C'est, entre autres, de cette combinaison complexe que dépend le lien de près de 400 millions d'Africains, dont plus des deux tiers vivent dans des régions enclavées difficilement reliées au commerce mondial, lien qui justifie assurément l'appui au développement de ces corridors portuaires, appui qui doit être international, public et privé, tout en répondant à la demande locale. C'est ces changements d'échelles qui ont toujours été les limites premières du développement de ces ports.

Étude

Archives

Boutique
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client abonnements@info6tm.com - 01.40.05.23.15