Au Havre, la mise en place de la réforme portuaire – votée depuis bientôt deux ans – se négocie dans la douleur. Le bras de fer entre syndicats et direction du port s'éternise. Des grèves à répétition bloquent les trafics. Sur fond de crise mondiale, ces blocages à outrance, dont les motifs sont assez éloignés des préoccupations de la majorité des salariés, constituent une brèche béante dans laquelle s'engouffrent nos concurrents néerlandais. Ceux-ci n'en demandent pas tant… À qui profite d'abord la grève? À Rotterdam, à Anvers, à Zeebrugge dont les résultats du 1er trimestre 2010 sont en hausse de + 12 % à + 37 % sur l'activité conteneurs, là où Le Havre, cinquième port européen, plafonne à + 2,3 %…
Aujourd'hui, plus personne, ou presque, ne doute désormais des conséquences dramatiques de ces mouvements sur l'économie locale, sur l'emploi, sur l'image de la ville, sur la confiance qui s'échappe, sur le gâchis orchestré par une poignée de jusqu'au-boutistes, sur l'anéantissement des efforts de la ville et du port ainsi balayés d'un revers de main. Le secteur maritime, logistique et portuaire, qui représente localement 27 000 emplois directs et indirects, est pris en otage. Et dans ce contexte déjà grave d'une augmentation du chômage de 30 % entre juillet 2008 et juillet 2009, les professionnels ne cachent plus leur profonde inquiétude pour l'avenir ainsi fragilisé de l'emploi au Havre et dans la région.
Face aux difficultés rencontrées localement par les filières automobile et pétrolière, le secteur maritime s'affiche pourtant comme une chance unique qu'un grand nombre de bassins d'emplois peuvent nous envier. D'autant que Le Havre ne manque pas de cartes maîtresses.
Premier atout, la situation géographique exceptionnelle du premier port français sur le marché du trafic conteneurs, qui permet d'éviter le dangereux détroit du Pas-de-Calais. L'accès au port se fait toute l'année, sans contrainte de marée ou d'écluses. Les équipements portuaires, parmi lesquels Port 2000, permettent par ailleurs d'accueillir les plus gros navires en eau profonde. Et la capacité de développement des zones de stockage est réelle.
L'énergie aussi est là, décuplée. Outre l'extension de Port 2000, qui comptera jusqu'à 10 postes à quai en 2011, les projets sortent des cartons. D'ici à 2012, une plate-forme multimodale permettra de développer le trafic sur la Seine. Le creusement du Grand Canal du Havre apportera de l'eau, beaucoup d'eau au moulin du fluvial. Une ligne de chemin de fer flambant neuve reliée au réseau national assurera la fluidité des transports intérieurs, tandis que la construction d'une ligne à grande vitesse vers Paris se dessine.
Enfin, la volonté commune est plus que jamais là, largement relayée par le président de la République lui-même, premier porteur du projet Grand Paris.
Le Havre n'est plus seul. Avec les maires de Paris et de Rouen ainsi que les présidents de leurs ports respectifs, les trois cités parlent désormais le même langage. Ils savent qu'aucun des trois ne se développera sans les autres. Ainsi, en octobre dernier, le nouveau Conseil de coordination interportuaire de la Seine a été installé par Dominique Bussereau, secrétaire d'État chargé des Transports, pour harmoniser l'action des ports de Paris, Rouen et Le Havre.
La réforme portuaire votée le 4 juillet 2008, accompagnée d'un accord national signé de la CGT et dont l'application locale est aujourd'hui l'objet du conflit, doit aider Le Havre à rejoindre la cour des grands. Elle seule permettra de rétablir la compétitivité des ports français en Europe. Son principe est simple: laisser aux Grands ports maritimes les missions d'aménageur et de gestionnaire du territoire, et transférer aux sociétés de manutention privées, l'outillage et le personnel. Cette réforme prolonge la réforme des dockers du gouvernement Bérégovoy (1992) et s'adresse aux portiqueurs et au personnel de maintenance des portiques. Du bon sens et de l'efficacité, à l'image de ce qui se fait depuis longtemps chez nos voisins belges et néerlandais. L'accord-cadre national, signé le 30 octobre 2008 par la CGT, assure aux grutiers concernés toutes les garanties voulues, garanties que certains salariés du secteur privé pourraient leur envier. Il faut maintenant avancer et trouver localement ses modalités d'application. Il y a urgence lorsque l'on sait que chaque fois que 1 000 conteneurs supplémentaires transitent dans un port, c'est un emploi qui se crée. Et inversement…
Sur l'échiquier maritime et portuaire du nord de l'Europe, les ports de Rotterdam, Anvers, Hambourg, Zeebrugge avancent leurs pions. À grands pas. Pour l'heure, bloqué par des mouvements sociaux à répétition, Le Havre ne fait qu'assister à la partie. Mais les professionnels du secteur n'en peuvent plus de demeurer ainsi sur le banc de touche. Car demain, il sera trop tard. Rotterdam et ses 30 kilomètres de quais, auront creusé l'écart; Anvers sera le premier à tirer pleinement profit du futur Canal Seine Nord Europe; Hambourg demeurera le puissant deuxième port européen.
Le Havre qui, en 2009, a traité 2,2 millions de « boîtes », a les moyens d'en faire deux fois plus. D'ici à dix ans, ce sont 5 millions de conteneurs qui pourraient passer par Le Havre. Mais le point de passage obligé demeure la réforme portuaire. Elle doit désormais être appliquée. Immédiatement. Il en va tout simplement de l'avenir de notre économie locale et de plusieurs milliers d'emploi.