La paralysie du transport aérien dans le nord de l'Europe, à la suite d'une éruption volcanique en Islande, a contraint les experts français à intervenir par videoconférences depuis Rouen.
Quoi de neuf en trois ans?
C'est la deuxième édition de Translog Africa. Ali Traore, directeur général du Conseil burkinabe de chargeurs (CBC), a dressé un constat de l'état d'exécution des conclusions du précédent symposium tenu à Ouagadougou du 9 au 11 octobre 2007. L'Union européenne a financé la réalisation d'une étude sur l'évolution des conditions du passage portuaire des marchandises en transit. Les ports de transit de la sous-région ont entrepris d'importants investissements pour améliorer les conditions de transit des marchandises destinées aux pays sans littoral. L'observatoire des pratiques anormales (OPA), mis en place sur les axes routiers, a effectué des enquêtes sur des corridors pilotes Tema-Ouagadougou-Bamako et Lomé-Ouagadougou-Bamako. Leurs rapports trimestriels sont transmis par l'UEMOA aux gouvernements des pays concernés. Vu les résultats obtenus, l'OPA va examiner d'autres corridors: Bamako-Dakar, Abidjan-Ouagadougou, Abidjan-Bamako et Niamey-Cotonou. Une étude sur la création d'une unité de manutention a révélé que 20 % du trafic conteneurisable l'est effectivement, en raison notamment des coûts de location élevé des conteneurs et de l'insuffisance des délais de franchises qui entraîne des paiements de surestaries. Le CBC a aussi constaté que les chargeurs prennent une assurance après l'arrivée de la marchandise à destination, juste pour accomplir les formalités douanières! Les compagnies d'assurances, souligne le CBC, doivent donc mieux les sensibiliser à la finalité d'une police d'assurance.
Le contexte international et son impact sur l'Afrique
La crise financière puis économique de 2009 a provoqué une chute de 10 % des trafics maritimes dans le monde, avec des pointes de 25-30 % sur les axes Asie/États-Unis et Asie/Europe, et a fait baisser les taux de fret. L'Afrique semble avoir mieux résisté que l'Europe ou les États-Unis, malgré une baisse des flux dans certains pays d'Afrique de l'Ouest, selon le professeur Idrissa Ouedraogo, chercheur à l'université de Ouagadougou.
Depuis l'an 2000, les pays ouest-africains mettent l'accent sur la lutte contre les surcharges et l'entretien de leurs réseaux routiers. Ainsi, l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) a rédigé un règlement en ce sens en 2005, dont l'application devrait être facilitée par une feuille de route signée le 19 mars 2010 par les ministres des Transports des pays concernés. L'utilisation du conteneur de bout en bout, la modernisation des parcs automobiles et des abattements fiscaux devraient faciliter l'application de la réglementation du contrôle de la charge de l'essieu. Certains camions pèsent en effet 98 t, contre moins de 44 t en Europe! Les ports ont massivement investi dans la construction de terminaux à conteneurs et de quais. Toutefois, les réseaux ferrés, vétustes et non connectés entre eux, n'ont pas bénéficié des mêmes financements. Cependant, la qualité des services s'est améliorée, grâce aux logiciels mis au point dans les ports, aux conseils de chargeurs et aux autres acteurs de la chaîne de transport, afin d'assurer la traçabilité des marchandises et des cargaisons. De leur côté, les banques offrent produits et services pour développer le commerce international et les transports.
Pays sans littoral et ports de transit
Les directeurs généraux des ports d'Abidjan (Marcel Gossio), de Cotonou (Albert Sêgbêgnon Houngbo), de Lomé (Kodjo Adegnon), de San Pedro (Désiré Dallo) et de l'Autorité des ports du Ghana (Nestor Percy Galley) ont exposé les mesures d'allégement des formalités et d'amélioration des conditions du trafic en transit. Ils ont aussi déploré le comportement de certains opérateurs qui compromettent leurs efforts, à savoir la répartition du fret, les pratiques tarifaires arbitraires, les tracasseries et rackets divers. Cependant, certains ports ont tendance à imposer des taxes injustifiées sur les marchandises en transit. L'Afrique de l'Ouest ne semble pas tirer suffisamment parti des avantages du conteneur pour les raisons suivantes: cautions et coûts de location élevés, longs délais d'acheminement et coûts élevés des opérations à destination. En outre, les pratiques des armements n'encouragent guère l'utilisation du conteneur de bout en bout. Les contrôles routiers multiples et les procédures complexes de transit ont nécessité la mise en place du programme régional de facilitation des transports et transits routiers entre les pays d'Afrique de l'Ouest, en vue d'améliorer la compétitivité de leurs économies. Selon Malang Faty (UEMOA), la levée des barrières non tarifaires le long des corridors est indispensable pour faciliter le développement équilibré de l'espace communautaire. Cela implique notamment un engagement fort des États membres et des ressources financières conséquentes.
Les pratiques anormales
Ali Traore, directeur général du CBC et Lacina Pakoun, coordinateur de la communication et du plaidoyer du West Africa Trade Hub (Accra), ont présenté les pratiques anormales en Afrique de l'Ouest. Celles-ci posent en effet divers problèmes aux pays concernés. Ainsi, au Burkina Faso, la présence de 15 postes de Douane entraîne le paiement de temps supplémentaires aux chauffeurs de camions pour les délais aux frontières, où sévissent police et gendarmerie. Des solutions existent: modernisation des opérations douanières avec suivi électronique des camions en transit; réduction de l'intervention humaine au minimum par la surveillance et la limitation des arrêts intempestifs des marchandises en transit; levée des goulots d'étranglement aux frontières. Au Ghana, les postes de contrôle se multiplient sur le corridor Tema-Ouagadougou: 10 de douane et 6 de police, sans compter les postes mobiles. S'y ajoutent un système électronique de suivi et de dédouanement (GCNet) limité et le manque de professionnalisme des transporteurs. Des solutions sont possibles: renforcement et extension du GCNet à davantage de camions; publication des la liste officielle des postes de douane; collaboration accrue avec l'unité des services internes pour déceler les pratiques anormales; amener la police à s'en tenir à ses quatre postes officiels; promotion du camionnage légal. Au Mali, un guichet unique regroupe gendarmerie, police, eaux et forêts, santé, vétérinaires, mairie, syndicats et douane! Les contrôles, multiples et répétitifs d'un poste à l'autre, entraînent pertes de temps et forts taux de prélèvements illicites. Des solutions existent: réduction au minimum du personnel aux postes fixes; distinction entre les postes de contrôle et ceux de sécurité sur les corridors prioritaires; mise en place d'unités de police/gendarmerie mobiles pour les patrouilles de sécurité; extension du suivi électronique des camions. Au Togo, la réduction des postes de contrôle à deux, décidée en août 2008 en conseil des ministres, n'est pas appliquée. L'escorte des camions en transit est inexistante. La police et la gendarmerie se relaient pour faire des contrôles à tour de rôle entre Lomé et Cinkasse. Il suffirait d'appliquer la décision du conseil des ministres, de rétablir les escortes et de supprimer les contrôles de l'un de deux organismes de sécurité. Au Sénégal, gendarmerie et police multiplient les postes de contrôle, surtout entre Dakar et Bamako lors des marchés villageois. Là aussi, il y a trop de transporteurs non professionnels. Les solutions restent encore la détermination des postes de contrôle officiels avec le démantèlement des autres et la promotion du camionnage légal.
Tous ces pays font l'objet d'une campagne dite « borderless » pour un commerce sans frontière en Afrique de l'Ouest.
Pré et post-acheminements
Marc Abeille, directeur général de Cope Trans, a présenté les particularités de la région en termes de modes de pré et post-acheminements. Le transport routier de conteneurs devient de plus en plus coûteux. La capacité en mètres cubes d'un ensemble routier conventionnel, supérieure de 50 % à celle d'un conteneur 40' ou de deux de 20' entraîne un surcoût en carburant et autres charges directes. Ainsi, dans des conditions comparables de contrôles routiers et de procédures, il faut 15 à 17 voyages de conteneurs contre 10 en routier conventionnel pour les mêmes volumes et 2,5 à 3 litres de carburant supplémentaires par mètre cube en conteneur pour 1 000 km parcourus. S'y ajoutent des contraintes particulières pour l'acheminement de conteneurs sur certains itinéraires. La voie ferrée, meilleure que la route pour le transport de conteneurs, ne dispose que de quelques axes sans réseau et coexiste avec la route selon les hinterlands. Elle est compétitive et fiable à condition de massifier les volumes. Les procédures et passages frontaliers sont plus sûrs et plus fiables que pour la route. Cependant, les réseaux routiers couvrent tout le territoire, alors que les possibilités de marché du rail sont limitées. De plus, la route est nécessaire pour accéder au rail, sauf pour les enlèvements et livraisons de marchandises par embranchements aux ports maritimes et aux gares (plates-formes intermodales). Enfin, l'usage de la voie d'eau reste exceptionnel. En conséquence, la tendance est à la structuration des corridors rail et route sur les principaux axes avec des installations autour des gares portuaires, ports secs et gares routières. Les systèmes d'échanges d'informations et de gestion de qualité de bout en bout se développent. Les offres intègrent les opérations et procédures de port à porte (import) et de porte à port (export). Un schéma intégré rail-route est déjà en place pour le fret conventionnel entre Abidjan, Ouagadougou et Nyamey.
Recommandations
Les participants au symposium ont formulé diverses recommandations pour améliorer les transports en Afrique de l'Ouest:
• une discipline collective de tous les acteurs concernés par l'application des mesures de contrôle de la charge à l'essieu pour éviter de défoncer les infrastructures routières;
• la nécessité de rationaliser l'utilisation des différents modes de transports terrestres, en vue de promouvoir le transport ferroviaire;
• l'appui des institutions financières et des organisations sous-régionales ainsi que des mesures fiscales étatiques pour faciliter le renouvellement et la modernisation des parcs automobiles;
• l'instauration d'un cadre de concertation entre les pays de transit et ceux sans littoral, afin de réduire les coûts logistiques comme l'ont réussi les compagnies maritimes;
• la redynamisation des observatoires nationaux des transports avec l'appui de l'UEMOA et de la CEDEAO;
• la création d'un observatoire régional des transports couvrant l'Afrique de l'Ouest et du Centre;
• l'harmonisation des systèmes de suivi de la traçabilité des cargaisons;
• une action conjointe des compagnies d'assurances et des conseils des chargeurs pour sensibiliser et former les chargeurs à la gestion rationnelle des risques du transport;
• une concertation entre les conseils de chargeurs, consignataires et autres parties concernées, pour alléger les contraintes de l'utilisation du conteneur de bout en bout;
• la nécessité de mesures de professionnalisation des transports routiers.
Translog Africa a mis sur pied un comité de suivi de l'exécution de ces recommandations.
Le port français de l'Afrique
Pour des raisons historiques, le port de Rouen a réalisé un « véritable compagnonnage logistique et portuaire » avec la côte occidentale d'Afrique avec un trafic de 1,6 Mt en 2009 et 30 000 EVP/an de groupage conteneurisé, a expliqué Martin Butruille, son directeur commercial et de la communication. Le premier partenaire est le Cameroun (281 872 t), devant le Gabon (188 681 t) et la Côte d'Ivoire (161 620 t). Dix lignes régulières assurent 24 départs et 208 touchées par mois. S'y ajoutent le barging (4 départs/mois), le fluvio-feeder (3 départs/semaine) et le conventionnel (5 départs/mois).
Selon Bruno Cordonnier, président du Syndicat des commissionnaires de transport et transitaires de Rouen, la desserte du Burkina Faso, pays enclavé, bénéficie, par le port de Lomé, d'un meilleur délai de réacheminement et sans incidence sur les marchandises dangereuses que par celui d'Abidjan, où les formalités douanières sont plus contraignantes et où les véhicules en conteneurs nécessitent une escorte douanière. Pour la desserte du Mali, le port de Dakar est plus compétitif que celui d'Abidjan, mais en conséquence plus engorgé.
Transport conteneurisé: crise et redressement
Alain Labat (cabinet conseil Maritime Logistics & Trade Consulting) a présenté la crise puis la reprise du marché du transport conteneurisé. Ce dernier a connu la plus grave crise de son histoire en 2009, avec des pertes cumulées de 15 Md$ pour les opérateurs de lignes régulières. Les taux d'affrètement des porte-conteneurs de 500 EVP à 4 000 EVP ont à peine couvert leurs coûts d'exploitation, sans possibilité d'amortir le capital et les intérêts et donc sans retour sur investissement. En outre, une surcapacité de transport s'est manifestée au second semestre 2008 et au premier de 2009. Cette année-là, il y avait en service 4 687 navires totalisant 12 367 723 EVP. Les opérateurs ont alors ajusté leurs capacités respectives, entraînant une baisse de 22 % de l'offre sur les liaisons Est-Ouest entre octobre 2008 et décembre 2009, où la flotte désarmée dans le monde a atteint 1,5 MEVP (12 % du total). Une quinzaine d'opérateurs de second rang ont cessé leurs activités. Le redressement s'est fait sentir au début de 2010 avec la reprise de la demande chinoise (préparatifs des fêtes du nouvel an), une remontée des taux de fret et les effets des mesures des opérateurs maritimes: immobilisation de la flotte; annulations ou reports de commandes; démolition, 3 % de la capacité existante; réduction de la vitesse, passée de 24/26 nœuds à 16/18 nœuds pour diminuer la consommation de soutes. En effet aujourd'hui, à 25/26 nœuds, un navire de 15 000 EVP consomme 350 t/jour de IFO 380 qui coûte 400/500 $ la tonne contre 200 $ en 2007. Toutefois, l'embellie laisse sceptiques les opérateurs qui n'envisagent un retour à l'équilibre offre/demande qu'en 2014 au mieux. À cette date et compte tenu des commandes en cours, la flotte mondiale de porte-conteneurs devrait compter 5 050 unités de 16 852 352 EVP. Alain Labat constate que l'Afrique de l'Ouest a mieux résisté à la crise économique que l'Europe et l'Amérique, car les flux restent très éclatés géographiquement. Depuis 15 ans, des opérateurs maritimes ont mis en place des plates-formes d'éclatement en Afrique pour concentrer et rationaliser les flux, mais n'ont pas encore trouvé de plate-forme régionale dominante.
Les grands armateurs et l'Afrique de l'Ouest
Le trafic maritime mondial par lignes conteneurisées a été multiplié par dix au cours des vingt dernières années, soit une hausse annuelle de 10,46 %, alors que la croissance économique mondiale n'a été que 6,9 %. Trois transporteurs de taille mondiale sont parvenus à dominer le marché: Mærsk Line avec 15,6 %, MSC avec 11,3 % et CMA CGM avec 7 %, a expliqué Alain Labat (Maritime Logistics & Trade Consulting). De son côté, Alain Cazorla, directeur des lignes chez MSC France, a notamment présenté les tendances des trafics entre l'Asie et l'Afrique de l'Ouest. En 2009, la répartition était la suivante: Nigeria, 32 %; Ghana, 18 %; Côte d'Ivoire, 17 %; Cameroun, 13 %; Bénin, 8 %; Togo, 5 %; Sénégal, 5 %; Guinée, 2 %. Le trafic mondial de conteneurs devrait passer de 550 MEVP en 2009 à 750 MEVP en 2012. Pendant le même temps, celui des pays asiatiques avec le Nigeria devrait passer de 200 000 EVP à 270 000 EVP, celui avec le Ghana de 140 000 EVP à plus de 200 000 EVP et celui avec la Côte d'Ivoire d'environ 100 000 EVP à un peu plus de 150 000 EVP. En revanche, il devrait stagner avec les autres pays de la région dans une fourchette entre 10 000 EVP et 40 000 EVP.