Le projet de directive, proposé par la Commission européenne le 10 juillet 2007, a été adopté par le Conseil et le Parlement européen en mars 2009. Il regroupe les principes cadres de la réforme qui doivent désormais être déclinés en mesures d'application pour une entrée en vigueur des nouvelles règles fin 2012. D'ici là, des travaux de simulation vont être effectués courant cet été afin d'évaluer la pertinence et l'impact du nouveau système auprès des acteurs du marché. Cette étude d'impact sera la cinquième depuis le lancement de la réforme. Elle permettra à la Commission d'ajuster les paramètres qui seront retenus pour les exigences finales.
Solvabilité II traduit la volonté commune de tous les intervenants de réformer une réglementation – Solvabilité I – qui apparaît aujourd'hui obsolète et d'introduire des exigences de solvabilité prenant mieux en compte les risques réels auxquels sont confrontées les sociétés d'assurances selon une approche économique. Cette réforme poursuit quatre objectifs: améliorer la protection des assurés; inciter les entreprises à calibrer leurs besoins en fonds propres, et à améliorer la connaissance et la gestion de leurs risques; moderniser la supervision; assurer une application européenne harmonisée.
La position des assureurs européens sur la réforme
Le changement de paradigme a jusqu'ici plutôt était bien accueilli par les assureurs européens. Cependant, le diable est dans les détails et les assureurs français, comme leurs homologues européens, sont extrêmement attentifs à la définition des mesures d'application de la directive. À l'occasion de l'atelier du 16 mars dernier sur Solvabilité II au Parlement européen, le Comité européen des assurances (CEA), relayé par l'ensemble des fédérations nationales, a publié un rapport intitulé “Why excessive capital requirements harm consumers, insurers and the economy”. Ce rapport démontre en quoi un calibrage excessif des mesures d'application envisagé pénaliserait les assurés, les compagnies d'assurance et l'ensemble de l'économie européenne. En pratique, un calibrage approprié est une étape cruciale pour atteindre les objectifs initialement fixés de protection des consommateurs et de promotion du développement de l'industrie.
Les assurés, particuliers ou professionnels, seraient les premiers à souffrir d'exigences de fonds propres trop prudentes. En assurance vie-retraite, les rentes versées pourraient diminuer significativement pour compenser les coûts de l'augmentation des exigences de fonds propres. Les assureurs seraient en effet amenés à revoir leur stratégie de placement au profit d'actifs moins risqués ayant un rendement inférieur pendant des dizaines d'années. De même, le prix des produits d'assurance non-vie pourrait augmenter, notamment s'agissant des assurances nécessitant une capitalisation élevée (risques de pointe et risques longs comme la responsabilité civile). À défaut, les couvertures d'assurance pourraient être revues à la baisse.
Les répercussions sur l'industrie de l'assurance seraient également nombreuses. En effet, des charges de capital plus élevées réduiraient la rentabilité des assureurs, ce qui entraînerait une baisse de l'attractivité du secteur pour les investisseurs ainsi qu'une baisse corrélative de sa flexibilité financière. De plus, une approche européenne trop conservatrice désavantagerait les assureurs européens dans les branches totalement internationalisées (par exemple, la couverture des grands risques industriels ou le transport). Plus généralement, cela engendrerait une inégalité au niveau du marché mondial, réduisant les opportunités de créer de l'emploi en Europe et limitant la croissance globale de l'industrie de l'assurance. Les plus touchés seraient les petits et moyens acteurs, qui, à cause de charges de capital élevées, en l'absence d'une taille suffisante et d'effets de diversification, pourraient être contraints à fusionner avec des groupes plus importants, voire à disparaître. Enfin, des exigences de fonds propres inappropriées limiteraient le rôle du secteur de l'assurance, non seulement en tant qu'absorbeur de risque, mais aussi en tant qu'investisseur institutionnel. Tout particulièrement, le rôle des assureurs dans le financement des entreprises par le biais de leurs placements actions ou d'obligations d'entreprises se verrait diminué, ce qui aurait un impact négatif immédiat sur la croissance économique. À cet égard, il faut tordre le cou à l'idée selon laquelle les assureurs investissent principalement leurs fonds en obligations d'État: sur les quelques 1 600 Mds€ de placements que détenaient les assureurs français à fin 2009, plus de la moitié étaient constitués d'actions ou d'obligations d'entreprises!
Solvabilité II et l'assurance transport
À ce stade, l'analyse n'a pas encore porté sur l'impact du futur cadre prudentiel de chacune des branches d'assurance. Cela vaut encore plus pour l'assurance maritime qui présente de nombreuses spécificités qui n'ont pas nécessairement été visées par les régulateurs européens. La question peut néanmoins être abordée de façon partielle et simpliste en s'interrogeant sur l'issue des match assureurs spécialisés versus assureurs généralistes, d'une part, et (ré)assureurs européens versus (ré)assureurs non européens, d'autre part.
Outre le renforcement des exigences en capital qu'il pourrait induire, le cadre Solvabilité II reconnaît les bénéfices d'une diversification de l'activité (conséquence directe de l'approche économique) qui sont aujourd'hui ignorés par les exigences de capitalisation actuelles. La crainte existe donc qu'il incite à la constitution de grands groupes d'assurance diversifiés et ayant accès aux marchés de capitaux au détriment des petits assureurs spécialisés et/ou mutualistes. Les choses ne sont cependant pas si simples. Tout d'abord parce que la directive Solvabilité II reconnaît les rappels de primes des P&I clubs au rang de fonds propres prudentiels à part entière en totale dérogation aux principes économiques qui sous-tendent la réforme. Cela devrait leur suffire à satisfaire aux nouvelles exigences sans difficultés. Ensuite, parce que les assureurs spécialisés ou multispécialistes auront un avantage compétitif certain lorsqu'il s'agira d'apprécier au plus près la réalité de leurs risques au moyen de statistiques propres (en lieu et place des statistiques de marché) ou d'un modèle interne (en lieu et place de la formule standard de calcul des besoins de fonds propres réglementaires).
En adoptant la directive Solvabilité II, les législateurs communautaires ont clairement eu l'ambition de définir un standard qui puisse servir de référence mondiale pour la modernisation des cadres prudentiels de l'assurance partout dans le monde. En attendant, seuls les réassureurs et les assureurs européens seront soumis à ces règles tandis que leurs concurrents étrangers continueront d'appliquer les leurs qui ne sont pas nécessairement aussi exigeantes (nous mentionnons les réassureurs au même titre que les assureurs compte tenu de leur rôle dans la couverture ultime des grands risques tels que l'assurance transport). Faut-il pour autant craindre des délocalisations d'activité et une perte de substance pour les places européennes d'assurance maritime et de réassurance? Nous ne le pensons pas. La capitalisation des acteurs de ces marchés « BtoB » est en effet déterminée en référence autant aux réglementations locales, qu'aux critères des agences de notation internationales. En outre, ces acteurs pourraient également tirer parti d'un renforcement de leur crédibilité en termes de solidité financière auprès de leurs clients et des investisseurs (via un coût du capital diminué).
Au final, il n'est pas acquis que la structure du marché de l'assurance maritime sera modifiée même si, à l'instar de leurs homologues des autres branches d'assurance, le mode de gestion des assureurs maritimes devrait être profondément bouleversé qu'il s'agisse de leur politique de réassurance ou d'investissement, ou même de leur politique de souscription.