Dans sa lettre mensuelle d’avril, le North P&I Club recommande de faciliter l’accès à internet aux membres d’équipage. « Des escales toujours plus courtes et des restrictions pour aller à terre augmentent le sentiment d’isolement à bord », estime Tony Baker, responsable de la prévention au N P&I C, « faciliter le maintien du lien familial ou amical est favorable au moral et au bien-être à bord et, donc, à des carrières plus longues. La demande est particulièrement forte de la part les jeunes navigants qui s’attendent à trouver à bord ce dont ils disposent à terre ». Le P&I Club ajoute également qu’une bonne connexion à l’internet constitue un facteur favorisant la formation continue à bord.
Outre le coût qui peut être élevé mais qui devrait baisser à plus ou moins court terme, l’usage massif de l’internet en mer nécessite quelques précautions. Ainsi, le téléchargement de fichiers « inappropriés » peut poser problème lors des escales dans certains pays. Ce qui peut se finir par des amendes, des détentions à quai ou des peines d’emprisonnement pour le propriétaire de l’ordinateur. Le P&I recommande donc à ses membres de peser chaque mot du contrat de travail de leurs navigants afin de tirer le plus grand bénéfice de l’internet dans le respect des droits des travailleurs et de leurs employeurs.
Ce n’est pas si simple
En mai 2005, lors du 6e séminaire sur les facteurs humains dans les Marines militaires, fut mis en avant le risque de déstabilisation du marin lorsqu’il reçoit des mauvaises nouvelles par internet. Durant des décennies, un changement comportemental pouvait survenir lors de l’escale après la distribution du courrier, rappelait le docteur Bruno Sicard. L’encadrement le savait et anticipait d’éventuels problèmes. Avec l’usage des courriels à bord, un choc psychologique peut survenir à tout instant.
Sans aller jusque-là, le syndrome de la « fuite de la machine à laver peut devenir gênant ». Traditionnellement, un marin se coupe progressivement de certaines contingences domestiques: à 15 jours de mer, que la machine à laver fuie ou non, il ne se sent pas directement concerné, d’autant qu’il l’apprend avec plusieurs jours de retard. Aujourd’hui avec internet, il peut le vivre en direct tout en restant à 15 jours de mer de son domicile. Cela peut générer un stress ou un sentiment de « culpabilité » assez inutile.
Cinq ans plus tard, le docteur Sicard (qui n’est plus dans la Marine nationale) constate que les Marines militaires se sont adaptées à l’usage privé de l’internet. Le « pétage de plomb » est toujours possible, mais l’encadrement en a conscience. Il y aura toujours un médecin voire, sur les petites unités, un infirmier capable d’aider le marin déstabilisé. En outre, même sur les unités les plus récentes, les plus jeunes marins militaires sont logés dans des cabines collectives. Tout est pensé pour favoriser les loisirs collectifs.
Le navire marchand moderne semble être le négatif du bâtiment de guerre, reconnaît Bruno Sicard: pas d’infirmier; équipage réduit donc rythme de quart favorisant l’isolement; cabine individuelle et peu ou pas de loisirs collectifs. Et last but not least, les différences culturelles. Un « pétage de plomb » philippin ou ukrainien est-il facilement détectable par un supérieur ouest-européen, par exemple, et comment le gère-t-il?
Auteur de l’ouvrage La conduite du navire marchand; facteurs humains dans une activité à risques
Éditeur: InforMer 13, rue du Breil, CS46305, 35063 Rennes Cedex.