Depuis son origine, les fruits et primeurs ont alimenté, voire façonné le port de Marseille. Sa manutention, longtemps réputée pour le traitement (et le grappillage) de ces denrées délicates, ses quais à proximité du MIN des Arnavaux… Et puis la première région primeuriste de France n’était-elle pas un balcon naturel sur l’Afrique, continent sur lequel elle recrutait ses principaux fournisseurs? Des données qui en ont fait une des principales plates-formes de distribution européenne. Aujourd’hui, le port a pris le virage de la conteneurisation à la corde, devançant la plupart de ses concurrents méditerranéens en nombre de prises reefers, plus de 570.
Les cartes des produits frais sont en train d’être fortement rebattues à Marseille-Fos. Ce secteur sait réagir aux mutations. En 1993, Marseille sort péniblement d’une longue et douloureuse réforme portant sur la mensualisation des dockers. Sans attendre, le groupe Léon Vincent lance un important programme d’investissements. Il injecte plus de 20 M€ sur des installations au môle Léon Gourret d’où naîtra le terminal fruitier de Marseille, et entre au capital des entreprises marseillaises de manutention. Le trafic de fruits et légumes, qui oscillait alors entre 600 000 t et 700 000 t, établissait le port de Marseille comme une des principales plaques tournantes de l’approvisionnement européen en produits frais.
Début du nouveau siècle, Léon Vincent, toujours lui, est le premier à miser sur Distriport. La zone logistique qui dessert le terminal conteneurs a des difficultés à démarrer. L’exportateur y croit et s’installe en 2004 dans le premier entrepôt livré où il dispose depuis de 10 000 m2 de surface à température dirigée pour la réception, le conditionnement et le stockage vers l’Europe des fruits frais. Un important trafic de bananes transportées en conteneur servira d’amorce à ce basculement vers l’ouest.
Fos dépasse les bassins traditionnels
Ce basculement sera confirmé par le groupe flamand Sea Invest après le rachat du spécialiste français en fruits cette même année 2004. Aujourd’hui, le site de Fos compte 420 prises reefers, de quoi profiter de la conteneurisation des fruits et primeurs qui représente près de 60 % du conditionnement. La récolte n’a pas tardé. L’an dernier, et pour la première fois, les bassins ouest totalisent un tonnage supérieur à celui des bassins traditionnels de Marseille. Fos monte en graine (+ 59 % en passant de 143 541 t à 228 379 t) alors que Marseille continue de se rabougrir (− 46 % en tombant de 402 681 t à 218 981 t). Le départ d’Agrexco du môle Léon Gourret a pratiquement divisé par deux le tonnage des bassins marseillais. Ce sont 100 000 t de légumes, de fruits frais, d’avocats, pamplemousses et autre pommes de terre qui ont été rayées de sa carte. À l’ouest, on remarquera que les pommes et les bananes représentent à elles seules la moitié du tonnage. Ce bon résultat amortit la chute du trafic des fruits et primeurs sur l’ensemble des deux bassins à − 18 % avec 447 360 t contre 546 222 t.
Reprendre des parts de marché
On s’attendait à pire après le départ de son premier client, Agrexco, pour Sète via l’Italie. Marseille-Fos a glissé sur une peau de banane, mais ne s’est pas éreinté. On évoque même les conditions d’un redressement. Une part du trafic de l’exportateur israélien, celle adressée au marché français, transite toujours à Marseille à la faveur d’un trafic de voitures. En 2009, de premier client produits frais du port, Israël a reculé à la 3e place, laissant la Tunisie et l’Algérie (par le biais des exportations) aux premiers rangs. Le pire n’est pas certain. Grâce au retour des bananes du Cameroun (OCAB) après quelques années de bouderie, ce pays africain occupe désormais le 5e poste, juste derrière l’Espagne. Côté perspectives, le Terminal roulier sud (TRS) accueille un notable trafic de remorques marocaines (légumes). Avec le retour d’une certaine stabilité sociale et le prochain lancement de Fos 2XL, les dirigeants du GPMM ne désespèrent pas de regagner des parts de marché grâce au conteneur. Leur prochaine mission au Salon international des produits frais de Sao Paulo cible le Brésil. Le vaste réseau de professionnels marseillais, une vingtaine d’entreprises d’export-import et de distribution qui disposent de plus de 200 000 m2 d’entrepôts réfrigérés à proximité de l’enceinte portuaire, constitue un argument majeur. Sans compter sur l’expérience logistique de Marseille-Fos dans la desserte européenne par la route et sur le fer. En réserve, les barges fluviales qui remontent jusqu’à Lyon et Macon sont déjà prêtes, la plupart sont équipées de prises reefers.
Comme pour les autres marchandises, la mise en boîte des fruits et primeurs a profondément bouleversé la chaîne portuaire. La race du docker primeuriste qui traitait vracs et palettes est-elle en voie d’extinction? L’activité des deux hangars sous température dirigée du Terminal fruitier de Marseille est aujourd’hui figée. Un premier appel d’offres du GPMM portant sur le hangar 23 à la suite du désengagement de Sea Invest-Marseille Manutention a été déclaré infructueux. Cet appel, qui vient d’être relancé, aurait rencontré des candidats à la reprise. Arrêtées depuis un an, les installations réfrigérées pourraient reprendre leur fonctionnement sous quinzaine, assure-t-on au GPMM. En attendant, réparties entre le môle Léon Gourret, le terminal conteneurs de Mourepiane et Pinède, plus de 150 prises reefers ont pris le relais du savoir-faire de la manutention traditionnelle.