Comment faire pour identifier les quasi-accidents et les analyser, s’interrogeait publiquement Éric Levert, directeur adjoint des Gens de mer et de l’enseignement maritime lors du récent colloque sur le facteur humain dans la sécurité maritime (JMM du 2/4; p. 8 et 9). En attendant de trouver une réponse pratique, il pourrait être judicieux de tirer avantage de la sérieuse avance dont bénéficie le Royaume-Uni, en ce domaine.
Depuis le 31 mars, le site internet de la Maritime Accident Investigation Branch diffuse son premier Safety Digest de l’année: 25 événements de mer y sont brièvement présentés et accompagnées des leçons que la MAIB souhaiterait voir apprises par tout le monde maritime. En effet, flotte de commerce, pêche et plaisance sont concernées même si 14 événements de mer ont été le fait de navires de commerce.
Dans sa brève introduction, Stephen Meyer, inspecteur en chef de la MAIB, fait part de sa consternation vis-à-vis de nouveaux comportements relatifs à la sauvegarde de la vie en mer. « En enquêtant sur les circonstances du décès d’un marin, nous avons découvert des preuves de l’abandon de l’une des obligations les plus fondamentales du navigant: l’assistance aux personnes en danger. Même en temps de guerre, les combattants civilisés sont venus de loin porter assistance à des marins qui armaient des navires ennemis coulés. Aujourd’hui, au xxie siècle, nous trouvons des navires qui ne répondent pas à des messages demandant une assistance immédiate. Dans le cas que nous étudions, une veille visuelle déficiente a fait que la majorité des gros navires qui naviguaient à moins de dix miles de l’unité en train de couler n’ont pas vu les feux de détresse. Cela est en soi décevant, mais le plus alarmant est ailleurs: la plupart de ces mêmes navires n’ont pas répondu aux Mayday Relay émis plusieurs fois par la garde côtière. Certains ont prétendu qu’ils n’avaient pas entendu la VHF (nouvelle preuve de la qualité de la veille à bord); d’autres qu’ils n’avaient pas reçu de messages d’alertes via l’ASN (!); des commandants ont même avancé qu’ils n’avaient pas compris qu’ils avaient une obligation légale (et morale) de réagir. » Stephen Meyer rappelle donc la totalité de la règle 33 de la convention Solas relative aux situations de détresse. « J’ai approché la direction générale de chaque navire impliqué. Je suis heureux de pouvoir rapporter que toutes ont exprimé leur consternation en apprenant que leurs navires n’avaient pas répondu et ont affirmé avoir émis rapidement des instructions claires afin que tous les équipages réagissent correctement dans de pareilles circonstances. Je voudrais rappeler à toutes les compagnies et à tous les équipages que l’assistance aux personnes n’est pas optionnelle. Je voudrais également leur rappeler que les stations côtières n’ont pas à demander aux navires de bien vouloir participer à l’assistance. Il est du devoir de chaque capitaine d’un navire en mer qui est en mesure de prêter assistance et qui reçoit, de quelque source que ce soit, une information indiquant que des personnes se trouvent en détresse en mer, de se porter à toute vitesse à leur secours, si possible en les en informant ou en informant le service de recherche et de sauvetage… ».
Les incontournables du trimestre
Parmi les 14 cas d’événements de mer mettant en cause des navires de commerce figure un incontournable: un caboteur de 2 500 tpl armé par deux officiers de pont. En mer d’Irlande, à minuit, le second prend son quart de six heures. Il se réveille vers 3 heures après l’échouement du navire. Il est souligné que le rythme de travail était de six heures de quart; six heures hors quart et qu’au moment de l’accident, les deux officiers étaient à bord depuis trois mois et demi. Les trois personnels d’exécution complétaient l’équipage mais personne n’était supposé renforcer la veille durant la période d’obscurité. L’alarme de passerelle, qui doit être activée lorsque le veilleur de nuit quitte son poste quelqu’en soit la raison, n’avait pas été activée. Durant les deux mois précédant l’échouement, le caboteur avait réalisé 21 escales. La MAIB souligne également l’importance du travail administratif qui devait être fait durant les 6 heures de « repos ».
Le navire est resté en cale sèche durant quatre semaines et 25 t d’acier ont été remplacées. La MAIB demande aux armateurs et aux États d’immatriculation de bien vouloir prendre en compte la charge réelle de travail devant être réalisée à bord pour déterminer l’équipage minimal. Il n’est pas précisé comment la MAIB pense obtenir un pareil résultant.
Autre incontournable: la route de collision en toute sérénité. Venant de Grande-Bretagne, un cargo de 2 500 tjb coupe le DTS de Douvres en direction d’un port belge, à la tombée de la nuit. Le veilleur est autorisé par l’officier de quart à quitter son poste pour effectuer une ronde de sécurité. Au même moment, un vraquier vide de 23 000 tjb remonte la voie Nord-Est réservée aux navires dont le tirant d’eau est égal ou supérieur à 16 m. L’officier de quart autorise le veilleur à quitter son poste. Personne ne songe à utiliser l’aide de pointage radar automatique dont sont équipés les deux navires qui suivent une route de collision. Après une manœuvre de dernière minute, l’avant du vraquier heurte le milieu du cargo. Ayant conservé l’intégrité de la coque, le premier reprend sa route pour être réparé au port de destination prévu. Dans un premier temps, les dommages subis par le cargo sont mal estimés par le bord. Après avoir été informé de la réalité des dommages, l’État côtier le plus proche demande que le navire rejoigne immédiatement un port pour y subir une inspection.
Une nouvelle fois, la MAIB évoque la « surconfiance » (complacent attitude) des officiers de quart. Elle regrette que les règles du Ripam soient mal suivies, etc.
Une étude approfondie des Safety Digests britanniques pourrait au moins compléter les cours d’anglais dispensés en France.